Par Chantal Caumel
ccaumel@elancoach.com
Un texte important qui met bien en lumière les enjeux de l’approche narrative dans les entreprises, notamment dans sa prise en compte des “symptômes” en tant que résistances et les savoirs locaux au service d’une reconstruction identitaire préférée.
Dans un contexte où les entreprises remettent en cause fréquemment leurs organisations pour faire face à une évolution permanente de l’économie mondiale, à une concurrence exacerbée, à une logique incessante de réduction des coûts, l’environnement de travail se trouve fortement ébranlé. La pression forte qui s’exerce à tous les niveaux du management alourdit les relations entre managers et collaborateurs. Les signes de reconnaissance s’affaiblissent. Le temps précieux des échanges et de la convivialité disparaît peu à peu pour faire place à une cascade de contrôle et de suivi de la performance et de la rentabilité. L’écoute, le partage et le soutien managérial prennent parfois une place secondaire. Les signes de reconnaissance s’affaiblissent et l’épanouissement au travail est mis en second plan pour privilégier le résultat « à tout prix ».
L’indispensable lien social
Le lien social se dissout peu à peu. Les messages sont moins lisibles, les malentendus se multiplient, la confiance et la motivation se dégradent. Certains soutiennent que c’est une opportunité pour renforcer l’autonomie alors que c’est finalement le sentiment d’isolement qui prend pour certains une place de plus en plus grande. Puis vient le sentiment d’échec, de culpabilité, de perte de confiance et d’estime de soi. Les dommages importants sur la santé physique et morale des gens s’amplifient et la réalité met en éclat des problèmes de plus en plus lourd de souffrance au travail. Pourtant ce lien social s’avère indispensable pour mieux vivre les changements. Il apporte la connexion fondamentale à la culture de l’entreprise, à ses valeurs, ses principes d’actions, à ce qui finalement donnent aux gens l’envie d appartenir à une communauté et de s’y engager.
La démarche narrative donne toute la place aux résistances identitaires
De nombreuses histoires apparaissent dans l’entreprise et autour de l’entreprise (les médias par exemple) qui contribuent à épaissir la souffrance au travail et ces mêmes histoires deviennent peu à peu insidieusement celles des gens qui se retrouvent seules dans leur travail et dans leur vie. Ces nouvelles histoires qui ne leurs appartiennent pas se confondent avec leurs propres identités et donnent le sentiment de perte de soi. Plutôt que d’épaissir les histoires de souffrance racontées majoritairement par ceux qui ne les vivent pas directement, la démarche narrative donne toute la place aux histoires de résistances identitaires individuelles et collectives et met en lumière les récits et expériences de vie de la propre représentation de soi pour enfin retrouver une identité et être fier de ce que l’on EST et de ce que l’on FAIT.
Mettre en lumière l’expertise individuelle et collective
Retrouver son identité, c’est redevenir auteur de son histoire, c’est prendre position par rapport à un problème, à ses effets sur soi, les autres, son environnement. C’est mettre en évidence ses expériences de vie parfois totalement oubliées et savoir celles à qui on accorde de l’importance. C’est aider à retrouver dans les histoires racontées, un contexte qui démontre la capacité des gens à prendre des initiatives pour agir en conformité avec leurs valeurs. C’est mettre en relief le savoir faire, l’expertise des gens pour faire face à une situation, à un problème dans leur vie.
Concrètement quelques questions fondamentales visant à de nouvelles conclusions identitaires positives
La démarche narrative met l’accent sur l’expertise des personnes à passer à l’action :
- Comment avez-vous fait pour résister à l’adversité ? Sur quelles expériences personnelles et professionnelles vous êtes vous appuyés pour savoir ce qui vous semblait important de faire ?
- Qu’est-ce qui vous a amené à garder l’espoir et vous a soutenu à passer à l’action ? Y a-t-il d’autres histoires dans votre vie où vous avez été amené à résister à l’adversité ? Comment cela a été possible ?
- Qu’est-ce qu’expriment ces actions ? Sur quels principes de vie, quelles valeurs étaient fondées vos actions ?
- Retrouver un chemin possible où chacun peut s’inscrire dans ces changements, deux questions essentielles se posent :
- A titre individuel : Qu’est ce que je souhaite préserver et accomplir qui est important pour moi ?
- Sur le plan collectif, mon appartenance à un groupe, à une équipe, à une communauté, à une entreprise : Qu’est ce que nous souhaitons préserver et accomplir qui est important pour nous ?
Mettre en relief des initiatives individuelles et collectives
En s’appuyant sur l’expertise des personnes, la démarche narrative met en relief des initiatives individuelles et collectives et ouvre des chemins possibles pour mieux vivre l’adversité. Elle souligne la capacité des gens à se mobiliser, à faire preuve d’initiatives, de solidarité et de partage avec les autres. Deux lignes de force se dégagent :
1 – la capacité à intervenir de manière innovante et parfois hors « normes » dans la mise en œuvre des changements, en prenant appui sur leurs savoirs, leurs expériences.
2 – la capacité à créer du lien avec d’autres personnes pour coordonner les multiples actions imbriquées les unes aux autres à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. Il s’agit de parler, de dire les choses, de transmette ce qui est important pour soi et de le partager avec les autres.
Pour reconstruire une identité individuelle et collective et redonner du sens à sa vie
L’approche narrative facilite la (re) construction d’une identité individuelle et collective et ouvre de nouvelles possibilités de développement professionnel. Si l’avenir est incertain et si le changement de cap est une réalité quotidienne, chacun va pouvoir trouver des repères, sa propre boussole dans une histoire préférée guidée par ce qui est important pour soi.
L’envie de faire partie d’une communauté et de partager une nouvelle aventure sera soutenue par l’expression de choix identitaires clairement explicités et valorisés.
La démarche narrative permet de mettre en lumière les savoirs issus de l’expérience des gens et facilite la confrontation entre leurs histoires et ce qui est important pour eux dans la vie. Retrouver le lien entre ce que l’on FAIT et ce que l’on EST, c’est redonner du sens à sa vie professionnelle. C’est être fier de sa contribution dans les changements mis en œuvre. C’est renforcer son positionnement influent dans la transformation de l’entreprise en accord avec ses valeurs et ce qui est précieux pour soi. C’est aussi prendre position sur sa carrière et ses choix professionnels en accord avec ses valeurs, ses principes de vie et le sens que chacun veut donner à sa vie.
Je rebondis sur ce que dit Françoise car ce sont bien nos tricotages d’enfants desarticulés qui se rejouent en entreprise. Manque d’écoute, de possibilités d’expression, de protection par moments, etc C’est pourquoi je n’arrive toujours pas à me figurer comment peut-on travailler sur du professionnel pur quand on intervient en entreprise. Et c’est peut être parce que c’est ce qui me reste à faire.
Enfant on a résisté à tout. C’est le propre des enfants. Adulte, arrive un moment où on ne supporte plus rien. Alors, même si on a eu des ressources et qu’on peut les retrouver, qu’est-ce qui se passe si on décide enfin de renoncer à elles ? S’avouer fragile. Demander aux autres au lieu de toujours donner. Comment la Narrative intervient elle pour “améliorer” la communication autour de nos besoins et satisfactions. Pour tout vous dire j’ai en tête la CNV à laquelle je suis formée (Communication Non Violente) et cherche à voir des passerelles ici…
Merci à vous pour cette mise à disposition de toute votre richesse collective de professionnels de la Narrative.
La question de l’identité me parait fondatrice de toutes nos actions; et je voudrai mettre l’accent sur tout le travail en amont de l’entreprise.Une fois dans l’entreprise , ne sommes nous pas amenés à faire ressurgir notre histoire dominante? Histoire dominante tricotée par nos parents, nos instituteurs, notre frere, notre nourrice…et c’est là que nous devons faire preuve d’une grande lucidité et de discernement, en tant que parents, educateurs, bref dès que la chaine éducative (au sens large) est en construction.
Alors, arrivés dans l’entreprise, du dialogue,du partage,du gout de la reussite collective pourront ressurgir comme des valeurs individuelles qui font ce que “je suis”.francoise
Merci Chantal pour ce texte. Je retiens surtout la 1ere partie où tu mets de mots si clairs, sur la situation que vivent tant de salariés dans les entreprises. Je retiens surtout les mots : signes de reconnaissance (absence …), autonomie (comme challenge) et solitude (comme résultat). La manière dont tu racontes le changement inexorable du climat des entreprises vers plus d’individualisme, me fait penser au “tartre dans le robinet”. On ne s’en rend pas compte tout de suite, et parfois, il faut beaucoup de tartre pour réaliser que l’eau éclabousse dans tous les sens. La question est : comment faire pour prendre conscience plus tôt que le robinet s’est entartré ?
Les questionnements narratifs nous permettent, je trouve, de prendre conscience que nous avons pris des habitudes qui ne nous conviennent en fait pas. Par la prise de conscience, alors, on peut changer (et mettre du vinaigre sur notre robinet ;-)).
Merci à toi et à la Fabrique pour ces partages à plusieurs voix.
Michèle