par Catherine Mengelle
www.dclictonavenir.com
Cinq cartes et deux guides pour un voyage narratif qui réorganise avec simplicité toute l’expérience narrative de Catherine, et nous rappelle qu’une conversation narrative est une randonnée, avec cartes et boussoles (les deux “guides”, intentions conversationnelles transversales mises en valeur de façon très élégante dans cet article).
Dans « Maps of narrative practise », Michael White avait fini par accepter de modéliser son travail d’accompagnement. Il savait en écrivant ce livre que ce n’était qu’une simple pause, le temps de cartographier les pratiques qu’il avait mises au point jusque là et d’expliquer les idées qui les avaient nourries. Il ne souhaitait pas que l’approche narrative devienne une approche figée et encore moins un dogme. Aujourd’hui, après sa disparition, des praticiens continuent à lui rendre hommage en faisant vivre et grandir l’esprit et les idées narratives dans le monde entier et en les enrichissant de nouvelles réflexions et de nouvelles cartes – par exemple pour collecter auprès des gens et selon des intentions très précises, la matière nécessaire à la création de documents narratifs collectifs (« Collective Narrative Practise », David Denborough, 2008).
Pour ma part, j’avais envie de revenir aux sources et de replonger dans le livre, « Maps of narrative practise », qui m’avait initiée à cette approche peu avant le décès de Michael White. J’en propose une relecture en cinq cartes opérationnelles et au moins deux principes qui les guident.
Cinq cartes aujourd’hui encore au cœur du travail narratif
Au centre du territoire narratif, est située :
• la carte des conversations pour redevenir auteur (re-authoring),
qui permet à la personne de reprendre le récit de sa vie à son compte en développant une histoire alternative préférée. Quatre autres cartes peuvent être placées, en périphérie, au service de cette carte majeure, et peuvent être utilisées à tout moment des conversations selon le besoin du praticien pour :
– faciliter l’émergence d’une histoire alternative en permettant à la personne d’affirmer ses préférences :
• la carte de déclaration de position 1 qui explore les effets d’un problème en particulier (Statement of position 1)
• la carte de déclaration de position 2 qui explore les effets d’une exception (unique outcome) en particulier (Statement of position 2)
– épaissir une histoire alternative en recrutant un public de supporters autour d’elle :
• la carte de re-membrement du « club de vie » (re-membering)
• la carte des re-narrations des témoins extérieurs lors des cérémonies définitionnelles (outsider-witness retellings – definitional ceremonies)
Le praticien utilise tour à tour ces cartes au gré des territoires qu’il choisit d’explorer avec la personne venue le consulter et n’hésite pas à les reprendre chaque fois que le voyage l’y incite, quand par exemple un nouveau problème pointe son nez, qu’une recrue potentielle frappe à la porte du club de vie ou qu’une exception inattendue se manifeste. Je ne reviendrai pas sur ces cinq cartes, les ayant déjà décrites en détail dans la fiche de lecture que j’ai rédigée sur Maps.
Ce qui m’intéressait, c’était de dissocier de ces cartes directement « productives » deux principes conversationnels généraux qui relèvent plus, à mon avis, de l’attitude, de la posture, de l’état d’esprit, de l’intention du praticien narratif que de cartes opérationnelles de conversations à proprement parler : il s’agit des conversations externalisantes (externalizing) et des conversations échafaudantes (scaffolding).
Deux guides au service des cartes narratives
Il me semble que les conversations « externalisantes » et les conversations « échafaudantes » occupent une fonction transversale, en colorant les cartes « productives » ci-dessus et contribuant de façon absolue à leur tonalité narrative. Les unes (conversations externalisantes) seraient le vocabulaire, les autres (conversations échafaudantes), la grammaire de la langue narrative, le langage et la structure, la mélodie et l’harmonie de la musique narrative.
Les conversations externalisantes
Une conversation externalisante se caractérise par une façon de s’exprimer très particulière qui lui donne un ton assez étrange, mais qui répond à une intention très précise de la part du praticien. On le sait, le problème est le problème, le problème n’est pas la personne. Il convient donc de réellement différencier dans les conversations les problèmes et les personnes. Ce qui donne des choses de l’ordre de : « Quels sont les effets du Perfectionnisme dans ta vie ? Quand est-ce que le Perfectionnisme est apparu pour la première fois ? » Externaliser conduit souvent à donner un nom à la « chose » externalisée, mais pas forcément. Une petite fille avait appelé le problème qui l’empêchait de vivre tranquillement « Idiot-bête ». Lorsque, grâce aux questions posées par le praticien dans cette langue étrange, le problème finit par exister par lui-même, il devient possible à la personne de l’affronter (les problèmes n’aiment pas être démasqués !), de penser une relation entre lui et elle et donc de négocier une forme de relation préférée. Le problème n’est pas la personne mais le problème n’est pas non plus le problème à vrai dire, le problème se situe dans la relation inadéquate entre le problème et la personne. Toutes les conversations narratives sont externalisantes. On peut aussi externaliser et nommer le thème d’une histoire alternative, « Joie de vivre » par exemple. C’est une manière de s’exprimer, et comme toutes les langues, un véritable mode de pensée intentionnel.
Voici d’autres exemples de questions externalisantes : « Est-ce que tu dirais que ce qui t’es arrivé hier est plus proche de Silence et Solitude ou de Joie de Vivre ? Comment s’y prend Joie de Vivre pour te contacter ? Qu’est-ce qui a permis à Silence et Solitude d’envahir ta maison ? Idiot-bête intervient-il seul ou a-t-il des alliés ? etc. »
En fait, les conversations externalisantes respectent la relation qui existe entre la personne et ses histoires et lui permettent de décider le degré et la qualité de relation souhaités. Cela participe fortement à son sentiment d’initiative personnelle (personal agency).
Les conversations échafaudantes
Elles constituent aussi un guide général. Toutes les cartes de « Maps of narrative practise » sont construites sur ce modèle et c’est ce qui fait leur force. L’échafaudage fourni par le praticien permet à la personne de traverser des zones inconnues, de franchir des obstacles, de prendre les risques nécessaires avec un maximum de sécurité et de quitter les lieux rassurants du connu et du familier pour avancer progressivement vers un nouveau territoire des possibles. Somme toute, l’humanité génère peu d’explorateurs : l’inconnu inquiète et nous nous y aventurons d’autant plus volontiers qu’un guide nous y accompagne. La notion de progressivité est très importante : l’échafaudage est là pour soutenir mais aussi pour permettre de passer des fossés ou des cols autrement infranchissables. Grâce à l’échafaudage, la personne prend peu à peu confiance. Bientôt elle pourra continuer à s’aventurer sur les chemins de la vie par elle-même. Il appartient au praticien d’adapter et de déplacer cet échafaudage au gré des routes choisies par la personne. Il pourra parfois se contenter d’une structure légère, d’autres fois avoir besoin d’une structure plus imposante. Il faudra parfois traverser des rivières, d’autres fois longer des précipices, franchir des gorges, des marais inondés, passer des cols de montagne. Peu importe la forme tant qu’il permet de s’éloigner pas à pas du connu et familier bloquant pour passer dans des mondes où il devient possible d’agir. Il aide la personne à avancer mais aussi à revenir sur ses pas, à repartir sur de nouvelles routes. Un peu comme un alpiniste qui doit parfois accepter de redescendre pour finalement privilégier une autre voie ou bien pour consolider ses ancrages dans la paroi avant de s’aventurer plus haut.
Là aussi, toutes les conversations narratives, quelle que soit la carte utilisée, cherchent à être échafaudantes, toutes partent du connu et du familier, aident la personne à traverser une zone inconnue (la « zone de développement proximal » de Vygotsky), pour accéder à un nouveau domaine de possibles.
Cette relecture de Maps en cinq cartes (plutôt opérationnelles) et deux guides (fonction plutôt transversale) correspond évidemment à une compréhension et une re-narration toutes personnelles et je serais ravie de savoir si certains d’entre vous ont des idées complémentaires ou des points de vue et des éclairages différents.
Note : Cet article m’a été inspiré par les échanges du dernier atelier de la Fabrique Narrative (à Bordeaux) auquel j’ai participé. Pour nous tous, compagnons de route, « artisans-chercheurs », ces ateliers constituent une façon locale, au plus proche de nos expériences narratives, de faire évoluer notre pratique et la compréhension que nous en avons.
Références :
• « Maps of narrative practise », Michael White, 2007, traduction française « Cartes des pratiques narratives », Médiat-Coaching, 2009
• Fiche de lecture « Maps of narrative practise » rédigée à partir de la version originale de l’ouvrage de Michael White, Catherine Mengelle, mars 2008 révisée novembre 2009
• « What is narrative therapy ? An easy-to-read introduction », Alice Morgan, 2000,
traduction française La Fabrique Narrative : « Qu’est-ce que l’approche narrative ? Une brève introduction pour tous », 2010