par Dina Scherrer
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Lors d’un de nos derniers groupes de pairs, où nous avions décidé d’expérimenter « l’arbre de vie », je me souviens m’être sentie un peu ridicule, au moment de présenter mon arbre, à la lecture du mot « couscous » que j’avais écrit impulsivement entre les racines de mon arbre. Aux racines d’un arbre de vie j’imagine que l’on trouve plus souvent des mots comme « père », « mère », « pays », « ancêtres », « langue », que le nom d’une spécialité culinaire. Pourtant, j’y ai repensé et je suis persuadée que certains aliments sont une vraie composante de notre identité, une invocation à la mémoire, une source d’histoires à raconter ou, seulement, à rêver.
Un plat comme le couscous, pour moi, c’est un « hyperlien » vers ma saga familiale. Je revois ma mère, le dimanche matin, émietter la semoule brûlante entre ses mains pendant que le fumet du bouillon emplit la maison. Je revois mes frères et sœurs, mes oncles, mes tantes, les jeunes, les vieux, se retrouver chez nous et raconter leurs vies, souvent baignées de nostalgie pour les plus anciens, contraints, quelques années plus tôt, de quitter l’Algérie. Je revois notre vie d’alors, si différente… Le couscous de ma mère était le confluent d’une multitude d’histoires qui se rejoignaient le dimanche pour n’en former qu’une. J’ai repris la tradition et je sais ce qu’il me faut faire aujourd’hui pour rassembler une famille qu’éparpillent les emplois, les intérêts et les obligations : j’annonce à qui veut l’entendre que, tel dimanche, je vais faire un couscous, et je sais que toute la fratrie sera là.
Cette réflexion m’a amené à sonder quelques connaissances et j’ai été rassurée de voir que telle ou telle cuisine occupait chez les uns et les autres, comme chez moi, des fonctions symboliques. Chez certains de mes amis, il n’y a pas d’anniversaire ou de célébration sans canard. En foie gras d’abord, puis en magret ou confit, le volatile rappelle à ces exilés les doux paysages de leur Sud-ouest natal. Accompagné de pommes de terre cuites dans la graisse, relevé d’ail, arrosé d’un cahors, il parle des repas d’antan, des parents qui ne sont plus, des maisons qu’on a dû quitter, des enfances qui se sont évanouies – mais aussi des amis qu’on a encore « là-bas ». D’ailleurs, parfois, on s’approvisionne en conserves ou en vin chez les amis en question et cela renforce de complicité réelle une consommation symbolique.
Le choix des boissons qui accompagnent ces repas vient parfois ajouter des nuances particulières. « Dans les grandes occasions – me dit l’un – je sers du veuve clicquot : c’était le champagne préféré de mon père. C’est comme si je l’invitais à être de nouveau parmi nous. Mais c’est seulement pour les évènements vraiment familiaux ». Un autre m’a avoué : « Je sais bien qu’il en est de meilleurs, mais, pour nous autres Basques, il a une valeur tellement symbolique que j’achète tous les ans quelques caisses de vin d’Irouléguy ». Et un autre encore, quand il reçoit des amis de jeunesse, ne craint pas de marier des plats bien français avec un certain vin d’Australie en souvenir d’un voyage qu’ils firent là-bas.
La cuisine est une mémoire, un langage. Et aujourd’hui j’ai conscience que réunir ma famille, mes amis autour d’un couscous est une manière de rendre hommage à mon histoire, à mes origines.
Coucou Dina
je me suis rendu compte il y a quelques jours combien comptaient pour moi les tartines. Souvenir : dès que j’arrivais avec ma petite soeur chez ma grand mère, le rituel était de dire combien nous étions affamé quelque soit l’heure et le rituel se poursuivait avec une tartine aromatisée à la moutarde douce alsacienne… un vrai régal.
J’aime les tartines et je suis sur d’aimer ton couscous, même si pour moi il sera moins identitaire ;-))
Ce qui est très intéressant aussi, au delà de la forte résonance des saveurs et des odeurs comme “gâchettes” narratives qui font remonter des histoires et des contextes entiers, c’est de voir comment l’expérience de vie (très forte dans le cas d’un plat, d’un parfum ou d’une musique) font appel à des sens plus archaïques et contournent la construction corticale dominante.
Il y a toute une école de la narrative à travers la musique, par exemple, à la suite de David Denborough et de “power of song” (un atelier que je proposerai l’année prochaine dans les master class). Le travail consiste à identifier un morceau de musique ou une chanson que les gens écoutaient en boucle à une certaine époque de leur vie, ou qu’ils utilisent pour se remonter le moral lorsque ça va mal, et par un jeu de questions en échafaudage, relier ce morceau à des intentions, espoirs et engagements préférés. Puis de là, relier ces intentions et espoirs à leur histoire sociale et relationnelle et voir comment ils permettent à la personne de se relier à une culture, une communauté, une religion, une famille, qui ont contribué à la construction de ses identités préférées, avec un effet “d’alignement” et de puissance pour la personne.
HELLO
Je constate que lorsqu’il s’agit de nourriture , beaucoup de plumes se réveillent!
Le volatile s’envole vers la découpe, la marmite et la casserole.Les langues se délient et salivent les mots, le corps s’exprime,et la personne vit ou revit.
Ou bien le souvenir du repas familial la ramene dans un foisonnements de sensations désagréables; cela arrive et c’est la le plus riche à mon sesns car cela peut etre le depart d’un nouvel ancrage.
merci, Dina, de ce beau témoignage
ma famille aussi a ses rites culinaires, et c’est bien autour de la table que les liens se renouent.
Tu m’en as fait prendre conscience. Je vois une pierre brillante, chauffée au soleil, lieu de rassemblement des miens, qui nous attend
je t’embrasse
Dans ton récit sur ton arbre de vie, le mot couscous a eu et a toujours une forte résonnance dans mon histoire. Il est connecté à une multitude de mes histoires préférées. Il réveille avec joie cet amour profond de la vie que je transmets par la cuisine, comme un acte d’amour, une envie de faire plaisir à l’autre et ce désir immense de vouloir prolonger à ma façon la vie de chacun. Le mot couscous met toujours mes papilles en éveil, il me transporte vers des odeurs d’épices, des saveurs du monde, des couleurs, des moments d’échanges et de partages, des voyages, des rencontres, des marchés colorés, des cris d’enfants joyeux… Enfant, je ne pensais pas regarder ma mère préparer le couscous. Aujourd’hui, lorsque je tourne la semoule dans mes mains, tous ses gestes me reviennent comme si elle me les avait appris un à un. Elle m’a écrit la recette il y a plus de 20 ans dans une lettre comme un récit où elle se raconte entrain de préparer son fameux couscous avec moi à ses côtés. Elle l’a écrit comme une conversation et à chaque fois que je refais un couscous, je suis en conversation avec elle, avec ses mots, ses gestes, sa voix, ses mains et tout ce qui nous relie au travers de la cuisine, l’expression de notre joie, de notre envie de partager, de se réunir pour transmettre notre amour de la vie. J’ai été frappé par tes mots « rassembler une famille, …..réunir » que tu as relié à cette symbolique familiale qui est le couscous. Ton texte met en lumière l’importance des mots et du langage qui nous relient à nos histoires préférées et nous transportent avec puissance vers ce qui est précieux pour soi dans la vie. C’est pour toutes ces raisons qu’ils peuvent trouver et revendiquer leur place d’honneur comme toi tu l’as fait avec le mot couscous dans ton arbre de vie.
Merci pour ce voyage ensoleillé et joyeux que tu m’a permis de faire aujoud’hui.
Chaleureusement
Merci pour vos commentaires. Je suis ravie d’avoir fait voyager Luc à l’heure du café avec ma cuisine orientale et je trouve que c’est une belle idée Françoise ce recueil de recettes identitaires. Et puis c’est vrai que c’est la fête des pères aujourd’hui et que j’ai une petite pensée pour le mien qui est, bien heureusement toujours parmi nous, même si depuis la fin des années 70, il fait couscous à part avec ma mère.
Je sors justement d’un repas 100% idéntitaire et tombe dans le faitout du couscous ! Fête des pères ? Une façon de rendre présent l’absent ? Il aurait aimé je crois…
Bonjour Dina
Première lecture au réveil ce matin, ta note sur “errances”… I
Merci Dina, tu as éveillé en moi tant de souvenirs liés à mes racines,
me famille maternelle dont j’ai gardé gravée en moi la tradition transmise
par cette cuisine qui était sienne, “la gastronomie judéo-espagnole”
Ce n’est pas un commentaire que je pourrais écrire, mais une note
entière, que dis je une note, un livre, un roman… une saga !
En promenant les chiens je me suis passé le film de ma grand mère
dans sa cuisine, que dis-je cuisine ? “son laboratoire”… des gestes rapides, précis… Je n’ai d’elle aucun souvenir de câlins, de conte de fées
qu’elle m’aurait tendrement racontés sur ses genoux… une phrase, une seule : “tu sais les grands parents aiment mieux leurs petits enfants que leurs enfants”…. et peut être leurs arrières petits enfants, elle passaient de longs moments à raconter ses souvenirs à ma fille Marianne lui disant “je ne me souviens pas de ce que j’ai mangé hier, mais je peux te raconter le grand tremblement de terre d’Istanbul”…
Tu vois où nous emmène une “recette identitaire”… De ma grand mère j’ai “hérité” de son carnet de recettes. Une seule manque, celle de ce gâteau que nous appelions “pichti”… un gâteau de Pâques juives… j’ai tout essayé, je n’arrive pas à le faire comme celui de ma Mamy !
Luc ton commentaire fait écho à ce que je ressens… comme il doit être beau ton “jardin narratif”…
Que de tendresse et de vie dans vos mots… merci !
Une idée lancée “en l’air” : à la lecture de la note de Dina, j’ai eu envie de me lancer dans l’écriture de “recettes souvenirs”… Si certains d’entre vous ont “une recette identitaire/narrative” liée à sa vie, ses racines ou que sais-je encore… je vous propose de les réunir en un livret “Les recettes de la Fabrique” diffusé par le biais de notre blog…
Quel plaisir de vous lire ce dimanche chers amis narrapeuthes,
et juste après le thé au miel, je salive aussi…
Oui, les fumets et les saveurs me rapprochent aussi de mon histoire identitaire : Les paëllias, les tapas et les sangrias me rapprochent irrésistiblement de mes lointaines origines espagnoles. Ce phénomène m’a longtemps interpellée car, aussi surprenant que ça puisse paraitre, je n’ai pas connu mes ancêtres espagnoles, pas vécu dans ce pays ni appris la langue…mais ils ont bien existés ces Ballestéros et autres Cabaléros pour donner naissance à ma maman, et j’aime cette idée de continuité, d’origine, de lien.
Dans le prolongement du jardin de Luc, je vais aller marcher dans les vignes, qui symbolisent la connexion avec Bordeaux, qui s’est naturellement installée en moi il y a 9 ans. Et peut-être trouverai-je au marché du village de quoi régaler ma famille pour ce repas dominicale, jadis traditionnel.
Biz aussi
Dina,
Alors que ce dimanche matin, devant mon café, je lis ton couscous narratif, je m’en lèche les babines. Ton couscous est alléchant et me renvois illico presto vers tout ce que l’on aime. je suis un passionné de cuisine, de bonnes chères entres amis et en famille, de nouvelles boutanches pleines d’aromes a déguster avec bonheur.
Dans la cuisine aussi les émotions s’expriment, Qui n’a pas essayé de refaire tel dessert dont grand mère avait le secret et dont le souvenir émeut encore tous les sens des frères, soeurs, cousins et cousines…
Et j’aime beaucoup cette idée de couscous narratif. Le couscous étant par excellence ce plat partagé par tous, qui réuni tout le monde pour manger autour du même plat accroupi sur le sol, avec les doigts. J’aime tous ces légumes aux multiples saveurs, j’aime cette image du chef de famille qui pose devant l’invité les meilleurs morceaux de viande de ce plat communautaire. N’est ce pas ce que nous faisons tous les jours avec congruence et bonheur pour faire avancer nos idées, notre vision du monde, et que nous partageons tous les jours ?
Oui, Dina, oui. J’aime ton couscous ce dimanche matin, il m’envoie au delà de mon jardin ensoleillé ce matin, ou enfin, je vais pouvoir m’occuper de mes fleurs, de mes pieds de tomates, courgettes, poivrons et autres piments.
Biz