Pascal Picq est paléo-anthropologue. Il applique les découvertes de l’anthropologie aux processus de l’entreprise, mais également propose une vision globale et reliée de l’évolution humaine et dans l’entreprise.
Voici pour ceux que cela intéresse des éléments assez détaillés extraits de la conférence passionnante qu’il a donnée à l’université d’été du CECA, le 24 août dernier.
Freud aurait dit que la science a infligé trois blessures à l’amour propre de l’humanité : la copernicienne, la darwinienne, et la freudienne. Trois millions d’années, c’est une durée qui nous dépasse (surtout vers la fin). Charles Darwin a construit sa théorie en 20 ans, ce qui serait impossible aujourd’hui du fait de l’accélération des publications. La science ne réfléchit plus, elle “fonctionne” (Deleuze). Le temps de l’épistémologie a disparu, la possibilité de penser une construction du savoir et de produire une histoire des sciences.
M. Picq appartient à un mouvement qui se nomme “slow science”, sur le modèle du “slow food”. Il fait référence à la notion de “temps profond” : le temps n’existe pas, nous avons l’impression que nous menons un combat contre le temps mais c’est la détérioration de nos structures qui définit le temps perçu. Les fossiles n’ont pris sens qu’à la lumière d’une théorie (une histoire) de l’évolution. Freud a parlé de la blessure psychologique et narcissique, mais jamais de la blessure du temps. Toutes nos philosophies et nos idéologies ne nous ont pas préparés à l’idée qu’un monde sans nous puisse être possible, probable dans l’avenir, et vraisemblablement fonctionnera mieux.
Pour que les espèces changent, il faut du temps. Pendant longtemps, on a pensé qu’il s’agissait d’un processus graduel, puis Stephen J. Gould a montré qu’elle se faisait par événements brutaux et par a-coups. La description de l’évolution est façonnée par la perspective anthropomorphique-centrée.
Nous n’avons aucune incidence sur les catastrophes, même si nous en connaissons les lois physiques. S’il y avait tout le temps des catastrophes, il ne pourrait pas y avoir d’adaptation. C’est comme l’histoire de la Reine Rouge dans “Alice au pays des merveilles” : Alice court et le paysage la suit. Elle s’en étonne. La Reine lui dit : “ici, il vous faudra courir très vite pour rester à votre place”. Donc ce sont les communautés, interconnectées, qui déterminent les mécanismes d’adaptation.
Récemment, une dizaine de patrons ont sorti un livre intitulé “empreintes sociales, en finir avec le court terme”. La crise a deux dimensions : elle se décompose en événements perturbateurs et en représentation de la crise. La génération des Baby boomers, qui n’a jamais connu de crise, sur-représente la notion de crise et se met en situation de réaction court-termiste rapide.
L’homme appartient aux espèces de type K. Il y a 2 grandes stratégies dans l’évolution en termes de reproduction : d’une part celle des rongeurs (gestation courte, naissances immatures et portées nombreuses, adaptées aux ressources fluctuantes rapides). D’autre part, la notre qui privilégie le temps des individus (écosystèmes complexes, forte compétition, longue gestation, un seul petit, espèces dotées d’empathie et besoin des autres, maturité somatique et sexuelle tardive).
Depuis la seconde guerre mondiale, l’espérance de vie a augmenté d’un tiers bien que nous n’ayons pas changé génétiquement. Mais en modifiant notre environnement, nous avons permis à des gènes muets de s’exprimer. Il n’y a pas de gène de l’obésité (juste une prévalence) mais surtout une très grande influence du contexte. Ce qui détermine notre survie, c’est notre extrême plasticité. Bien vieillir, ce n’est pas lutter contre le temps mais optimiser sa structure : continuer à être actif physiquement, affectivement et socialement. Accepter la décroissance et rester actif socialement. L’isolement provoque la dégénérescence. Notre cerveau est une machine sociale et il peut compenser tant que nous restons relié et actif, tant que nous utilisons nos structures.
Le temps des ouvriers et des employés est fragmenté : en le fragmentant, on a tué leur temps social. Sous couvert de réduction du temps de travail, on a promu la désocialisation et l’affaiblissement des liens. Il y a 30 ans, il y avait trois âges de la vie, aujourd’hui ces âges sont bousculés. Les espèces K sont des espèces à longue vie qui ont besoin des autres. En tuant ou en laissant mourir les individus âgés, on efface la mémoire du groupe. C’est le cas des éléphants, protégés puis chassés “écologiquement” C’est aussi le cas dans les entreprises.
L’innovation est également une question importante dans l’évolution. Si on a la tête dans le guidon, on n’aperçoit aucun chemin divergent. Darwin fait l’éloge des petites différences qui nous définissent beaucoup plus que les points communs. Le chimpanzé est un animal politique, sa stratégie sociale est l’épouillage. Chez lui, le vainqueur n’est pas le plus fort mais le plus habile à créer des coalitions, prendre le pouvoir et redistribuer les ressources. Ce qui définit l’humain, c’est le temps social, le temps passé avec les autres. Pas tout le temps ensemble, mais du temps qualitatif avec des lieux rituels qui incluent les jeunes et leur permettent de rencontrer les anciens. Il est important de manger ensemble. Si les hommes et les femmes français sont les plus minces en Europe, c’est parfaitement corrélé (statistiquement) avec le temps social passé à manger et avec la structuration des repas. il existe deux types d’innovation : Lamarckienne (ingénieur, améliore des filières existantes) et Darwinienne (les mutations génétiques : créer de la variation sans augurer de ses usages possibles)
Les rituels de passage ont disparu de toutes les sociétés humaines. Les Néanderthal avaient déjà des rituels funèbres. Les primates ont des préoccupations autour de la mort. L’idéologie de progrès a conduit a dégrader le passé, ce qui est une énorme erreur. Depuis homo Erectus, depuis au moins un million d’années, le propre de l’homme est de donner du sens, de créer une émotion esthétique et d’y consacrer plus de temps que nous. Nous sommes des êtres de sens, plongés en permanence dans la nécessité d’une intéraction sémantique. Ce n’est pas l’évolution qui a un sens, c’est l’évolution qui a permis de donner un sens à l’évolution.
Par contre, Les bactéries étaient les premières formes de vie sur la terre, et elles nous enterreront, même si elles ne sont pas capables de réfléchir au sens de la vie.
Merci de rendre hommage à l’anthropologie qui maintient une approche non déterministe et de nous résumer le témoignage de Pascal Picq qui en effet s’est passionné pour l’utilité sociale de l’épouillage chez les grands singes et de son équivalence humaine appelée le cirage de pompe, l’être “politique” et sa version plus élaborée de “faire son réseau”.
J’aime bien l’idée de la slow science ce qui est quand même un comble pour un paleo * !!! HIHI
Mais je suis quand même partagée sur le caractère social de l’homme. l’homme est aussi un être solitaire. Solitaire et social c’est une de nos spécificités. L’homme pensant a besoin d’intériorité et donc de solitude; c’est bien la difficulté de notre civilisation qui occupe sans arrêt notre esprit avec du bruit, des images, des occupations et des relations sans intérêt qui perturbent notre besoin de temps profond, celui où s’enracinent nos histoires préférées. Oui l’autre manque et le soi aussi.
Sur les bactéries je conseille le livre de l’excellent Jean Michel Truong (S.F) : le successeur de pierre.
* clin d’œil : il faudrait 25 ans à un médecin pour lire une année de publication médicale.