PARLER DU COACHING NARRATIF

Parler des idées narratives à des dirigeants d’entreprises impose d’inventer une nouvelle façon de les présenter. 

Nous avons été formés par des gens magnifiques, qui de l’Australie au Rwanda en passant par la Palestine, s’attachent à renouer le fil de vies fracassées par des histoires de traumas, de guerres, de génocides. Mais ceci n’a pas été neutre sur notre façon de parler de la narrative lorsque nous allons la présenter en entreprise ou que nous faisons des conférences sur le sujet.

Ainsi, une récente animation de séminaire au cours de l’université d’été de l’Académie Régionale des Dirigeants d’Aquitaine, un groupe de leaders économiques venant à part égale du public et du privé, m’a permis de réfléchir à la façon dont se construit notre discours sur la narrative, ce qui informe, et éventuellement déforme ce discours.

Les entreprises ne sont pas confrontées aux mêmes problèmes, ni aux mêmes types de traumas, que les communautés en difficulté. Ceci nécessite donc un discours différent, une caméra posée ailleurs. Pour la part, j’ai compris qu’une présentation qui débute par le travail sur les problèmes a toutes les chances de désorienter les acteurs économiques, et d’apparaître comme essentiellement thérapeutique et vouée à être pertinente uniquement dans des contextes de crise ou de difficultés.

Le coaching narratif est beaucoup plus facile à illustrer lorsque l’on entre dans le sujet par le biais de l’histoire alternative et de la création d’une identité intentionnelle autour d’un ensemble de récits préférés. C’est la façon dont nous avons organisé l’enseignement de la Fabrique Narrativ en première année (ne surtout pas commencer par l’externalisation) mais elle ne se reflétait sans doute pas suffisamment, ou pas du tout, dans la vision que nous partagions avec les entreprises. Mettre l’accent sur la cohésion des communautés de travail, sur  le partage de leurs savoirs et compétences, sur le fait d’honorer leurs résistances permet de libérer la narrative des contraintes de la thérapie et de la souffrance, qui ont présidé à son développement outre-atlantique, et de la rendre beaucoup plus familière aux chefs d’entreprises à qui nous l’expliquons.

Les problèmes se fabriquent pareil dans les entreprises que dans toute autre communauté : dans l’interstice entre les prescriptions de la culture dominante de l’actionnaire et l’expérience locale de la vie au travail des communautés de salariés. Mais entrer dans le sujet par l’histoire de problème risque de disqualifier la démarche auprès d’un grand nombre de responsables qui seraient tentés de se déconnecter à ce moment précis au motif qu’ils n’ont pas ce type de problèmes dans l’immédiat, même si par ailleurs, ils peuvent considérer l’option narrative comme très valable… mais uniquement en cas de crise déclarée.

13 réflexions au sujet de « PARLER DU COACHING NARRATIF »

  1. Il y a aussi l’idée de base de deux mouvements philosophiques très proches, le constructivisme et le constructionisme, qui considèrent que nous construisons la réalité à travers la perception que nous en avons et l’histoire que nous choisissons de raconter à son sujet. Ces deux mouvements ont largement inspiré la vision narrative, qui considère que la réalité n’existe pas “en soi” comme une donnée immuable dont les récits chercheraient à rendre compte le plus exactement possible, mais qu’elle est produite en permanence par ces récits qui (comme le disait Bachelard), “passent une redingote au monde”.

  2. @ Jean-Louis : ce serait chouette – si on pouvait goupiller un pow wow narratif et bien arrosé avant la fin de l’année.
    @ Bruno : merci Bruno d’attirer mon attention sur les raccourcis que je produis. Comme un pli de ma pensée ou se situerait… Se situerait quoi d’ailleurs ? Voyons, déplions.
    Construire, renvoie de mon point de vue à la notion de « construction mentale » qui pose l’identité comme une construction, une représentation articulée, architecturée de ce que l’on serait. Par exemple, la psychanalyse pose la construction de soi comme un iceberg avec une partie émergée, le conscient, et une partie immergée, l’inconscient, dont la connaissance serait réservée à un expert. Sur le plan narratif, MW a proposé de se représenter l’identité à travers une construction beaucoup plus ouverte et souple, qu’il a appelé « le paysage de l’identité » ; une construction cependant. Ces différentes représentations ont la caractéristique de figer la représentation que l’on peut se faire de soi. Le fait de remplacer la notion de construction par la notion de production, c’est ouvrir le champ du mouvement, de l’expérience et donc de l’action. Sait-on ce que l’on est et cherche t-on a le confirmer à travers nos actions ; quand nous n’y arriverions pas, nous serions « dominés » et quand nous y arriverions, nous serions dans une histoire de nous alternative. Ou bien, ne sait-on pas ce que l’on est et nos actions se chargent à travers les réactions qu’elles suscitent ou ne suscitent pas, de nous renseigner sur ce que l’on est. La réponse est sans doute entre les deux. L’avancée d’Allan Holmgrem se rattache ainsi a 2 notions : à celle de « phénoménologie radicale » (j’adore cette expression, je ne sais pas pourquoi) et à celle de « translocutionarisme » (étymologie : ce qui se passe à travers l’action de parler). D’un point de vue narratif, cela veut dire que la force de l’approche narrative pourrait se situer autant dans le fait qu’elle donne à produire, c’est à dire à parler et à fabriquer toujours plus d’histoires – c’est une vision quantitative de la narrative qu’on peut replacer comme une action de renforcement de notre collaboration sociale – que ce qu’elle donne à construire à travers le fait de parler, c’est à dire le sens des histoires elles-mêmes que nous produisons – ce qui est de mon point de vue, une vision plus qualitative de la narrative.
    A titre de curiosité, l’étymologie du verbe « construire » voudrait plutôt dire « entasser par couche » tandis que « produire » voudrait plutôt dire « conduire en avant ».
    Pour un coach narratif, cela ouvre une perspective différente qui consiste à chercher à interagir avec l’entreprise d’abord et surtout pour faire produire de la parole et le plus d’histoires possibles et d’aider ensuite l’entreprise à se déterminer par rapport à la totalité des différentes histoires produites, d’identifier les dilemmes et ensuite d’aider l’entreprise à choisir, l’entreprise qu’elle veut être.
    Concernant la personnalisation des entreprises, savez-vous Bruno, je l’ai découvert moi-même il y a seulement 2 ans, que la proportion d’entreprises FAMILIALES s’établit à plus de 50 % dans l’Union européenne (UE), varie de 65 % à 90 % en Amérique latine et dépasse 95 % aux États-Unis. Leur poids économique est un autre indicateur significatif. Les entreprises familiales génèrent entre 35 % et 65 % du produit national brut (PNB) des États membres de l’UE, environ 40 % à 45 % de celui de l’Amérique du Nord, entre 50 % et 70 % de celui de l’Amérique latine et entre 65 % et 82 % de celui de l’Asie.
    Pour un coach narratif, cette information peut permettre de rebattre les cartes de son approche des problématiques de ce type d’entreprises en considérant – lorsqu’il travaille avec un de leurs dirigeants – qu’il doit y a voir autant d’histoires d’entreprises que d’histoires de familles et que dans chaque entreprise, il doit y avoir autant d’histoires qu’il y a de membres de cette même famille.
    Plus globalement, je me permets de vous renvoyer à la lecture – si vous en avez le cœur et le temps – d’un petit ouvrage de Christian Thuderoz « sociologie de l’entreprise » – troisième édition – dans l’excellente collection Repères et qui montre que la sociologie d’entreprise est d’abord un vrai sujet, qu’il est somme toute récent et qu’il pose l’entreprise comme un objet d’étude à part entière, au-delà de la question légitime de son rapport à la notion de travail. C’est quoi une entreprise ? Pour quoi faire ? C’est qui ? Ca marche comment ? Une étude qui concerne, je cite page 6 « son mouvement historique, ses formes multiples et successives ; comme un lieu de pratiques sociales, un espace abritant des relations sociales, des jeux et des règles ; enfin (un acteur) dans son rapport à la société, comme une institution à la fois ordinaire et spécifique, en tout cas fondamentale, à qui incombent des responsabilités sociales ».
    Voilà, j’espère avoir répondu à vos questions et vous remercie de l’avoir fait, le sens se PRODUISANT (aussi) à travers la collaboration.

  3. @Petit Kangourou.
    Questions de béotien :
    – “L’identité n’est pas une construction mais une « production » dit Allan Holmgrem”. Pouvez-vous me préciser ? (Dans ma culture de technicien, construire, c’est aussi produire).
    – Personnaliser l’entreprise comme vous le faites est-il justifié ?

  4. @jean-louis : je suis d’accord avec toi, quand on parle de décideur, on devrait parler des décideurs, comme des entreprises, comme des coachings et respecter les histoires spécifiques de chaque individu ou de chaque communauté y compris lorsqu’elle est “de travail et d’intérêts économiques”. Bises.
    @pierre : et réciproquement 🙂 On pourrait se faire un pow wow à mi-chemin, non ? vers Poitiers ? Bises aussi.

  5. Je vais faire ce que j’ai appris, il y peu en travaillant dans le cadre d’un exercice, et écrire ce qui me vient de manière à sortir de moi ce que j’ai à écrire et mon ressenti.
    Je voudrais dire que ton post est intéressant ; il met en lumière l’idée que l’entreprise n’est pas le Rwanda et que, effectivement, les traumas que vivent les Palestiniens n’ont aucune mesure avec l’entreprise européenne. Toutefois, les pratiques narratives sont des outils au service d’un travail thérapeutique et elles se définissent comme tels. Je comprends pour l’avoir moi-même pratiqué, c’est- à- dire m’être vendu dans le cadre d’une intervention auprès d’une équipe en danger, que parler de thérapie en entreprise n’est pas aisé, voire impossible.
    Je pense que le discours est encore plus difficile à concevoir, si l’on prend en compte que le mot « coaching » a été caricaturé, raillé, disqualifié et médiatisé à outrance et que le terme narratif peut renvoyer à une confrontation directe avec le sentiment d’être en lien avec une secte (c’est du vécu récent). N’a-t-on pas là une double contrainte en intitulant les choses, tel que nous le faisons ? C’est aussi une manière d’être récupéré par la pensée dominante qui stigmatise le coaching et l’action des thérapeutes, consultants liquidateurs ourdis d’idées géniales en entreprises sous couvert d’action de formation, de restructuration, de licenciement et de misère. Rappelons que la narrative ne résout rien et qu’elle n’a pour vocation que de créer des paysages peints par nos interlocuteurs.
    Pourquoi nommer les choses ? Comment les nommer ? N’est t’il plus envisageable de rencontrer simplement une personne, un décideur, cadre, ouvrier et ouvrir en l’écoutant une relation des possibles ? Nous sommes toujours en train de proposer des éléments de moyens supplémentaires. Sommes-nous là pour vendre ou écouter ce qui est important pour celui qui nous accueille ? Ne peut-on, pour une fois, demander l’autorisation à notre interlocuteur de l’accompagner dans ce qu’il énumère de son dilemme ? En ce qui concerne la question de Thierry Groussin la réponse est dans le discours de victimisation qui a le mérite de s’exprimer et parce que la plainte donne à voir ce que l’histoire préférée pourrait nous en dire. Nous devrions expérimenter cette situation en 2012 sur le territoire de communes.
    Parler à des décideurs, c’est avant tout leur demander ce qu’il leur serait possible de faire différemment quand ils nous racontent les histoires impossibles qui les entourent. Ce qui les a coupés de l’aide précieuse des personnes présentes dans leur environnement. Comme nous l’avons vu avec Madigan, le décideur ou/et d’autres personnes sont aussi inscrits dans un environnement où ils sont en relation avec des soutiens précieux. Parler avec des chefs d’entreprise de ce qui est l’histoire alternative c’est commencer par « recevoir » ce qu’ils ne veulent plus de leur situation actuelle, de ce qui les fait souffrir. Comment l’image qu’ils avaient d’eux quand ils ont envisagé d’être décideur les discrédite aujourd’hui ? Y a-t-il là, une cause à effet entre un futur pensé et un présent agressif ? Bien sûr que présenter aux décideurs une méthode de résolution de problème qui envisage qu’il y ait des problèmes qui puissent exister n’intéresse en rien les décideurs. Car leur parler des problèmes, c’est peut être leur parler de leur impuissance à répondre à des valeurs humanistes. J’ai toujours été émerveillé de l’énergie que les décideurs mettent à proclamer leur action solitaire.
    Parler de narrative dans les entreprises, c’est parler du moment présent en tenant compte que l’histoire est en lien avec le « passé-présent » de la narration qui nous en est faite. En cela, c’est parler des histoires alternatives qui créent un futur différent construit à partir d’une projection que nous avons tous la capacité d’élaborer. C’est-à-dire une action identitaire construite sur l’intentionnalité des personnes. Mon sentiment, est que la narrative en entreprise est reliée au sens que donne, chacune des personnes à ce qui les relie entre elles. Quant on met la narrative en action dans les communautés, entreprises ou autres, où que ce soit dans le monde, c’est avoir à l’esprit que les valeurs que porte la communauté, ou la société que l’on rencontre, sont uniques pour chacun des membres qui les composent et que ces mêmes valeurs sont inscrites dans une démarche collective d’identification à ses propres intentionnalités.
    Bises à tous.

  6. Juste en lien (ou pas) avec ton dernier post …
    Il y a 2 ans une photographe a pris des photos des visages du personnel d’une usine en grève pour ensuite les exposer en tant que témoignage sur les murs entourant l’usine …cette usine est fermée depuis cette année.

    http://www.veroniquevercheval.net/royalboch.pdf

    un hommage mais aussi un outil à exploiter : faire une photo et parler de l’autre et de soi, pour se réapproprier en partage l’histoire

  7. Merci pour ce post et pour le chemin engagé en direction des dirigeants du public et du privé qui se réunissent et partagent, au sein de l’Académie Régionale des Dirigeants, leur volonté de ne pas subir et de s’engager pour construire un monde professionnel où les valeurs et la place de l’homme sont centrales.
    Pour partager leur route depuis plus de 12 ans, je peux témoigner qu’ils ne veulent pas attendre qu’un drame arrive pour “épaissir” leurs histoires préférées, les partager avec celles de leurs équipes, et veulent construire l’avenir en tenant compte des espoirs, des projets des personnes de tous niveaux engagées avec eux dans l’aventure humaine de la vie au travail.
    Merci pour eux de leur permettre, avec les idées narratives, de poursuivre leur engagement pour résister collectivement aux histoires dominantes d’impuissance face au pouvoir supposé total de l’actionnaire ou de la haute administration.

  8. Merci , Pierre, je trouve très utile ton récit pour ceux qui cherchent à travailler avec les entreprises en tant que communautés.. Surtout que la “souffrance” est souvent un effet d’une histoire dominante et vécue par les employés et non pas forcément (ou du moins pas de la même façon) par les dirigeants et prescripteurs de nos missions.

    En ce qui concerne la question de Thierry Groussin,Il existe toujours une histoire préférée. Dans mon expérience, autour de plein de différentes intitulés de missions, j’ai pu partir des histoires alternatives et préférées en solicitant tout d’abord avec les équipes des histoires de moments positifs vécus dans l’entreprise. Ceci est particulièrement adaptable à des interventions narratives autour de la cohésion d’équipe, ou la gestion du changement, ou bien tout autre…
    Quand l’on commence par chercher des histoires communes autour du vécu positif, on peut arriver aux valeurs partagées et au sens que trouvent les membres de l’équipe. Faire le lien avec eux entre le paysage de l’action, le vécu, et le paysage de l’identité intentionnelle permet de libérer de l’énergie qui est alors disponible pour le changement , ou pour les solutions…

    J’ai eu récemment le membre d’une équipe qui est parti de la séance en disant “j’ai cru qu’on allait venir et parler des problèmes, mais de partir ainsi avec vous d’abord sur les éléments qui marchent bien nous a permis d’être beaucoup plus disponibles pour regarder les problèmes ensuite et y apporter un nouveau regard…”

  9. Pour faire suite à ton post, voici où je propose de poser “la caméra du coach narratif” en entreprise.

    Le sens que l’on accorde à une histoire crée un « esprit », une « atmosphère », s’accompagne de « signes » qui génèrent à leur tour un nouveau sens au sens que l’on accorde. C’est ce second niveau de sens créé par celui qui raconte qui ouvre de nouvelles perspectives de compréhension sur ce que l’on est en train de raconter et permet de se déterminer sur plusieurs types d’actions : ce que je peux dire ou non, ce que je peux faire ou non, ce que je peux penser ou non.

    Par exemple, la notion de coaching dépend de la signification que le mot crée lui-même dans l’esprit de celui qui l’entend. Il crée du sens et c’est ce sens qui détermine la manière dont chacun se positionne à l’égard de ce mot. Pour certain il voudra dire, « diriger », pour d’autres « conseiller », pour d’autres encore «thérapie», pour d’autres enfin «mentoriser »…Le coaching permet de se représenter un problème de manière conceptuelle. Et par rapport à ce problème, de se demander « quelle est la question que je me pose ? » et à travers cette question « quelle est l’histoire de cette question ? ».

    Autre exemple : se présenter d’un point de vue personnel, c’est à dire en tant qu’être humain, et ce, dans un cadre professionnel a une signification très profonde sur la manière dont notre pouvoir va s’exercer à l’égard de nos interlocuteurs. Se présenter de manière professionnelle – coach, consultant, thérapeute – crée du sens et ce sens peut générer un sentiment d’infériorité, de crainte, un sens critique ou générer de d’agressivité. En tout état de cause, cette manière de se présenter ne crée pas une atmosphère de coopération. Ce qui est sans doute un des éléments les plus importants dans le cadre d’un travail d’accompagnement, voire même dans le cadre d’une formation.

    La manière de se présenter produit du sens, et le coach narratif est le plus à même de se poser cette question : quel sens est-il produit lorsque je me présente comme cela à telle communauté, à telle personne ou à telle entreprise ? Quelle est l’histoire que l’entreprise (se) raconte à partir du sens qui est produit ? Qu’est ce que cela peut dire de ce qui est important pour elle ? etc…

    En coaching narratif, de mon point de vue le maître mot c’est la curiosité. Tout le temps, à tous les sujets. Curiosité sur toutes les réponses données dans l’entreprise ou la communauté interrogée de manière à l’aider à connecter ce qu’elle raconte avec ce qui est important pour elle : l’aider à produire du sens. « La curiosité, c’est le soin » dit Foucault.

    De quoi parlez-vous ?
    Avec quoi ce que vous me dites est en relation ?
    Quelle est l’histoire qui se cache derrière ce que vous me dites ? Derrière les préférences que vous affirmez ?
    Qu’est ce qui vous a amené à faire ce choix ?
    Quelles sont vos expériences qui sont connectées à ces choix ?

    La vie est composée essentiellement de compétences de vie mais celles-ci ne sont pas forcément des connaissances. La connaissance c’est le sens que l’on donne à ces expériences que l’on raconte sous forme d’histoires ou de récits.

    Faire raconter l’histoire du problème, puis l’histoire des choix effectués pour faire face ou échapper à ces problèmes, puis demander aux membres de la communauté ou de l’entreprise de relier les deux, crée toujours une prise de conscience, crée le sentiment de voir les choses différemment, de se sentir différent.

    « Se sentir différent, c’est vivre différemment et agir différemment » dit Maturana. Mais tout cela ne sont que des interprétations : « Il n’existe que des interprétations. La connaissance est l’interprétation des interprétations » dit Nietzche.

    C’est pour quoi on peut considérer qu’en tant que coach narratif, la recherche de la vérité est vaine puisqu’il s’agit d’une lutte entre différentes interprétations. La notion même d’histoire dominante ou d’histoire préférée peut être interrogée car ce sont des interprétations.

    Pour autant, il existe des « trous » dans chaque interprétation, de même que des réciprocités. Des trous de sens. Des plis, selon Deleuze. Des absents implicites selon Michaël. Des présences non visibles dit Allan Holmgrem, compagnon de longue date de Michael lorsqu’il était vivant et coach narratif depuis 20 ans.

    Le job du coach narratif est donc d’aider à rendre des actions, des idées, des histoires visibles dans l’entreprise et moins d’enquêter et de ramener quelque chose qui serait absent même si c’est implicite.

    Si l’on rapporte cette idée au concept d’identité : ce que nous sommes, n’est qu’une interprétation, un ensemble de sens, de conscience de significations ou de sentiments. Nous ne pouvons appréhender cette identité de manière globale du fait même de l’existence de trous. C’est vrai aussi pour une entreprise. Et c’est par l’action que nous remplissons ces trous. Nous produisons par l’action ce que nous sommes. L’identité n’est pas une construction mais une « production » dit Allan Holmgrem.

    Ainsi, de mon point de vue, le job du coach narratif commence par le choix qu’il effectue dans la manière qu’il a de se présenter et de présenter sa démarche – et il en faut bien une.

    Ensuite, il s’agit d’aider l’entreprise à recenser ou mettre à jour des faits, des expériences et à les relier sous forme d’histoires, de récits. Le bonheur dépend du nombre d’histoires que l’on peut se raconter et de la manière dont elles s’accordent entre elles. Les problèmes apparaissent lorsqu’il y a conflit ou rupture de sens entre ces histoires ; on peut parler de dilemme. Le job du coach narratif est d’aider l’entreprise à identifier et comprendre ces dilemmes.

    Autre choses, je pense qu’une entreprise a besoin de représentations, de modèles, on dira alors sur un plan narratif : « un système de métaphores actives et possibles ». Le modèle que l’on appelle « paysage individuel de l’identité » en fournit un excellent pour peu qu’on ait pris le soin de l’adapter à l’identité d’une entreprise. Ce travail nous l’avons entamé ensemble, Pierre, il y a déjà 5 ans, et en compagnie de Pascal que j’ai vu d’ailleurs hier et qui t’embrasse… Je l’ai poursuivi, approfondi et stabilisé depuis. On pourra ainsi faire un parallèle entre « qualité préférée » et « compétences préférées », « buts et intentions » avec « stratégie », « valeurs et croyances » avec « valeurs de l’entreprise », « rêves, espoirs, aspirations » avec « raison d’être ».

    Le job consiste alors à faire travailler l’entreprise sur ces différents sujets, le mode collaboratif – top down, bottom up, top down – ayant évidemment ma préférence,

    Dès lors que l’entreprise commence à travailler à partir d’un modèle, je crois que la posture du coach narratif évolue de fait. Il se transforme alors en ce que j’appelle un « consultant narratif ».

    Et cela est une nouvelle et une tout autre histoire.

    Merci Pierre d’avoir suscité chez moi cet élan narratif par ton post et l’envie de partager une partie de ma pratique avec les narratonautes que je salue.

    Des bises.

  10. Pierre,
    Comme je suis heureuse de lire ce post ! J’ai eu cette impression, sans pouvoir formaliser les choses aussi clairement après le séminaire centré sur l’entreprise et quelques discussions avec Monique.
    Ce qui était clair pour moi c’était cette difficulté tout à coup à communiquer avec des interlocuteurs de l’entreprise mais je n’avais pas identifié d’ou venait ce décalage. Errances fructueuses !!!
    Un grand merci

  11. Très pertinent.

    La question que je me pose – je ne suis pas un spécialiste de la Narrative – c’est: comment démarrer une intervention narrative quand il n’y a pas de “plainte” ? Ou, en tout cas, pas de plainte avouée ?

    Je pense au développement local, qui va selon moi redevenir une préoccupation de premier plan, notamment avec la nécessaire relocalisation des productions vivrières et de l’économie: comment inviter une population – celle d’un village, d’un quartier, d’un “pays” – à sortir de son histoire de victime pour construire une histoire préférée ?

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