L’enseignement de l’approche narrative en France est essentiellement fondé sur la maîtrise des “micro-cartes”, outils pédagogiques qui ont permis à Michael White de formaliser sa pratique afin de la transmettre.
Ces micro-cartes sont des sortes de schémas globaux de différents types de conversation narratives, qui permettent au praticien d’avoir des points de repère et de s’orienter à l’intérieur de ces conversations de façon, d’une part, à mieux comprendre ce qui s’y passe et d’autre part, à la faveur d’une métaphore “conversation = voyage”, devenir capable de forger des questions qui emmènent le client dans des endroits où il ne serait jamais allé, favorisant ainsi une description riche d’histoires alternatives.
Mais voir l’approche narrative uniquement sous cet angle risque de polariser l’attention des nouveaux praticiens sur les cartes, l’application des cartes, l’orientation dans les cartes, le respect des cartes, et de perdre de vue l’essentiel d’une conversation thérapeutique qui est de favoriser chez le client l’émergence d’une compréhension intentionnelle (se substituant aux compréhensions internes de type névrose, symptômes, caractère, traits de personnalité, etc. proposées par les traditions psychologiques classiques) et de renforcer son sentiment d’initiative personnelle.
Ce risque est encore renforcé par le fait que les cartes constituent le seul corpus constitué directement orienté vers l’apprentissage d’une pratique opérationnelle, dans les formes classiques dominantes de l’apprentissage scolaire ou universitaire. Après la mort de Michael White en avril de l’année dernière, de nouvelles cartes ont été proposées par ses successeurs australiens, plus complexes que les 5 cartes de base, comportant plus d’étages et d’étapes, spécifiques à une problématique (la carte du sentiment d’échec…) Le danger est de voir apparaître une sorte d’ingénierie pédagogique de production de micro-cartes orientées vers le traitement expert de telle problématique au lieu de se borner à être des outils de détection et d’enrichissement d’identités préférées.
Sans compter qu’une carte spécialisée sur une problématique du client peut aboutir, si ce genre de carte se multiplie, à une sorte de recentrage expert du praticien afin de déterminer quelle carte correspond le mieux à l’indication induite par le récit du client. Et là on est carrément centré de chez centré. Il ne faudrait pas que les cartes prêtent le flanc à une sorte de marketing pédagogique, avec obligation d’en sortir de nouvelles, chacun s’appliquant à avoir le modèle le plus récent afin de rester à la pointe de la flèche.
Appliquées comme des outils suivant une méthodologie, les riches questions narratives perdraient dès lors toute efficacité, les praticiens obnubilés par les cartes ne seraient plus en contact avec l’intention de la conversation. L’enseignement de Michael White évoluait en permanence, au rythme de ses découvertes, de ses explorations et de ses passions du moment. Lorsqu’en 2007, il a développé le concept d’ “absent mais implicite”, la question de savoir s’il s’agissait d’une sixième carte lui a été posée. Cette question, il l’a balayée d’un revers de la main en disant : “je ne revendique absolument aucune cohérence dans mon travail”. A savoir que la cohérence, d’après ce que j’en comprends, c’est nous qui la fabriquons en reliant les points en fonction de nos propres revendications identitaires préférées et donc, pour quelqu’un comme Michael White, la façon de rester décentré consistait à occuper cet espace de non-cohérence, toute revendication à une théorie cohérente et construite aboutissant au fantasme expert de faire rentrer le client dans la théorie, quitte à lui appuyer un peu dessus ; de passer, comme le disait Bachelard, “une redingote au monde”.
Les micro-cartes ont été développées a-postériori en tant qu’outils pédagogiques explicatifs. Pour les établir, Michael White a dû re-visionner des heures de vidéos d’entretiens en recherchant les mécanismes de ce qu’il faisait car il n’en avait pas (par contruction, peut-t-on supposer) de compréhension interne, mais uniquement une compréhension intentionnelle. Regarder les vidéos de Michael White en train de mener une conversation thérapeutique ou lire des transcriptions de ses conversations, c’est écouter Mozart improviser au clavecin.
Salut Cyril. Pour Mozart c’est une image mais je te conseille quand même les concerti pour piano notamment les n° 20 à 27. Par contre pour les vidéos de Michael, elles font effectivement partie depuis sa mort d’un fonds d’archives privées administré par le Dulwich Center (dont la directrice est Cheryl White) et leur consultation est réservée pour le moment aux seuls praticiens qui ont la possibilité d’aller sur place.
tu donnes envie d’écouter Mozart…
Ou peut on trouver ces concerts?
faut ‘il se tourner vers le pôle sud pour trouver ces fameuses “cassettes”?
“conversation = voyage”
Au Musée du Quai Branly, la visite commence par une très longue déambulation blanche, ponctuée de rares projections au sol, images, ou bouts de phrases ; c’est peut-être ce moment qui m’a le plus marquée.
Voici le message que j’ai retenu :
tu marches, lentement ; tu es ici, en toi, et tu vas vers un autre, vers la rencontre ; tu es dans cet intervalle entre toi et l’inconnu, le différent ; entre ton présent et celui que tu vas découvrir.
Oui, la conversation est un voyage
Merci Pierre pour cet éclairage qui résonne bien en moi ! Comment en effet transmettre autrement qu’en modèlisant : Mickael a donc créé ses cartes. D’un autre coté, les cartes ne sont pas une fin en soi. Elles sont là pour nous permettre d’apprendre. A nous de garder en tête le sens, la finalité des conversations narratives dans notre pratique, apprentissage.
Les informations que tu partages ici sur la manière de faire de Mickeal me parlent aussi du comment faire après lui. A nous de pratiquer, à notre manière, puis de partager sur notre pratique, sans enfermement, avec ouverture et créativité ! Voilà ce que ton article éveille en moi. Merci à toi et à bientôt.