Jeff Zimmerman a beau avoir l’air d’un Pink Floyd et commencer ses conférences par 5 bonnes minutes de jazz-rock-funk(1), c’est l’un des chercheurs les plus prometteurs dans les relations entre la neurobiologie et la construction des histoires, ce qui se passe dans le cerveau lorsque des récits préférés commencent à émerger.
Il distingue le “soi expérientiel”, immergé dans les expériences de vie, et le “soi mémoriel”‘qui définit notre identité narrative, insistant avec Dan Siegel sur la différence entre cerveau et esprit, le second utilisant le premier et les expériences relationnelles qu’il reçoit pour se constituer en permanence. Notre cerveau est une machine à anticiper et à prédire, avec des flux descendants (liés aux récits) et montants (liés à l’expérience) qui s’équilibrent plus ou moins. Le conflit entre les deux flux ou la prédominance des représentations, très influencées par l’émotion, sur les perceptions nous rend aveugle à notre propre expérience (d’où l’intérêt de la méditation par exemple qui “remet les compteurs à zéro”). Le cerveau n’est pas organisé autour des neurones (électriques), comme on le pense depuis Freud, mais des synapses (chimiques). Jeff insiste sur le rôle des neurones miroirs dans le traitement de l’information relationnelle : ils nous aident à détecter les intentions des autres en regardant leurs actions, agissant comme une “éponge” qui nous permet de copier et de nous approprier les actes d’autrui. La neurophysiologie montre que toutes nos perceptions sont filtrées en premier lieu par notre centres émotionnels, qui les redistribuent vers les neurones miroirs qui interprètent les intentions tout en influençant considérablement cette interprétation… C’est la que les ennuis commencent, dans la relation, dans le couple, dans le cabinet du thérapeute ou le bureau du coach.
La neuroplasticité est la capacité du cerveau à se reprogrammer en fonction de l’expérience, réorganisant ses connections neuronales. La mémoire est la probabilité d’activer certains schémas neuraux. Améliorée par l’émotion, la répétition, la nouveauté, elle peut évoluer en fonction de la réorganisation des schémas synaptiques. Chaque fois que l’on se souvient, on modifie le souvenir (en fonction de notre état présent). Ceci recoupe exactement la conception de Michael White et David Epston sur l’influence des histoires sur nos vies, le fait que certaines expériences sont mémorisées de façon implicite sans être mises en récit. Différentes formes de mémoire, situées dans différentes zones de notre cerveau se combinent pour nous permettre de construire l’histoire de notre vie et de la situer dans un contexte approprié. Sous stress, certaines zones (l’hippocampe) se contractent ou arrêtent carrément de fonctionner. Nous devenons incapables de comprendre notre expérience.
Jeff construit un pont depuis plusieurs années entre les pratiques narratives et la façon dont le câblage de notre cerveau conditionne notre perception, nos apprentissages, notre capacité à changer et à créer des options fondées sur la connaissance et la conscience plutôt que figées dans les émotions négatives. Maître Ioda avait tort : dans notre cerveau, c’est le côté obscur qui gagne.
Pourtant, il y a un espoir : la conversation narrative permet d’externaliser les mécanismes neurologiques au lieu de rester dans une “lutte intérieure”. Jeff insiste sur l’importance de l’émotion et de l’affect dans les récits, et sur la vigilance face aux histoires racontées froidement et de façon intellectuelle. Contrairement aux médicaments qui “dupent” les synapses et aux TCC qui renforcent uniquement les connections amygdale – cortex, le travail narratif agit sur tous les plans en même temps.
Jeff réintroduit fortement la notion d’affect et d’émotion dans le travail narratif, souligne la communication entre les deux hémisphères permise par la construction à partir des “moments d’exception” (un terme qu’il préfère à exception) et le va et vient entre paysage de l’identité et de l’action, vise un renforcement de la communication entre le corps et l’esprit, la sensation de l’émotion dans le corps comme passerelle vers la mémoire et clé de voûte de notre édifice psychique.
PBS
(1) le groupe s’appelle Galactic, avec (selon Jeff) l’un des meilleurs batteurs de tous les temps surnommé “le monstre à huit bras”
Dan Siegel : The developing Mind, how the relationship and the brain interact to shape who we are
voir aussi Joseph Ledoux : Synaptic Self: How Our Brains Become Who We Are. 2002, Penguin Putnam, 2003 paperback
merci Pierre,
ça rejoint ce que dit Marie-Nathalie Beaudouin , entre autres, à savoir que : l’environnement le meilleur pour apprendre est lorque nous menons 3 expériences simultanément,
1) une émotion positive
2) recevoir une information pertinente pour nous
3) être intéressé, passionné ou curieux
et que toute émotion négative bloque notre capacité à penser rationnellement et raisonnablement
ça rejoint aussi les découvertes D’Antonio Damasio sur le cerveau et le sentiment du moi
ce serait un bonheur de travailler avec Jeff Zimmerman
Bien évidemment, en écoutant et en écrivant cela, j’étais en contact avec nos nombreuses conversations sur le sujet et fasciné par les analogies entre ces différentes approches qui s’inscrivent toutes dans une pratique de “recâblage” de nos représentations, avec cette notion de travail sur le retraitement de l’émotion qui apparaît dans l’EMDR et beaucoup moins dans le travail traditionnel de l’approche narrative… Sauf que Jeff justement le met au premier plan !!! C’est très excitant, d’autant que je viens de discuter avec lui et qu’il est tout à fait d’accord pour venir en discuter avec nous à Bordeaux 🙂 Bises.
Merci Pierre. C’est très très intéressant!
Ca me fait penser à la pratique de l’EMDR qui parle du cortisol sécrété sous stress qui va se nicher dans l’hippocampe et qui, en cas de trauma, reste coincé au lieu de partir au traitement par le néocortex. Toi, tu écris que l’hippocampe peut se bloquer voire arrêter de fonctionner.. Igual?
Plus loin, tu parles aussi de l’importance de la communication entre les deux hémisphères, des va-et-vient entre paysage de l’action et paysage de l’identité..
Egalement de l’importance des émotions et de l’affect dans les récits..
Que de ponts entre la narrative et cette pratique EMDR, que je ne connais que peu et dont je parle ici très mal, mais quand même!
Un workshop à Bordeaux de neurobio! trop bien..!