L’APPARTENANCE, LE SACRE ET LA LIBERATION

Par Elizabeth Feld

Après les derniers articles de Jean Louis et de Pierre post conférence, je voudrais continuer sur des thèmes évoqués, je suis lente, je réfléchis, je digère encore toute cette riche expérience…

Stephen a ouvert la conférence en disant dans son keynote: ” Be accountable to the privilege you have.” Soyez responsable envers les autres par rapport aux privilèges que vous détenez.  . Il a évoqué ce qui est dit et ce qui est tu ( passé sous silence) (what is said and what is silenced) Toutes les conversations sont spécifiques à la culture (culture-specific).  Ces idées ont fait leitmotiv à travers toute la conférence, et me portent aussi dans mes réflexions.

Dans la conférence nous avons eu plusieurs présentateurs qui intègrent le côté ‘politique’ dans leur travail. Notamment trois ‘keynotes’ : le Just Therapy Team (“Just therapy” est un jeu de mots sur Juste de la thérapie et La thérapie juste- dans le sens de la justesse) avec Charles Waldegrave et  Taimalieutu Kiwi Tamase ,  Rosa Elena Aertega the Battered Women’s Support Services  (les services de soutien pour les femmes battues) et les membres de RainCity housing , une organisation communautaire pour l’accès à l’abri. Chacun soulevant des questions d’ordre différent.

J’ai retrouve 4 d’entre eux réunis autour d’une table ronde “Les influences de genre, race, et sexualité sur la pratique et les politiques”, avec Kiwi, Aaron, Gwen, Rosa, et Julie Tilesen. Julie est une thérapeute et professeur qui travaille beaucoup sur la question de genre et sexualité.

Autour des notions de “genre”, il ya eu parmi ces présentateurs, quelques différences culturelles importantes.  Kiwi, qui est une femme Samoane, mais elle nous a expliqué qu’on ne peut plus parler d’elle en tant que femme car elle a récemment reçu le nom Taimalieutu, ce qui veut dire Gentle rising tide,  ‘douce marée montante’;  en recevant ce nom, dans son village samoan, elle a rejoint le conseil, et est donc devenue ‘un homme’.  Ceci dit, avec elle, nous ne sommes pas dans le domaine de transgenre dans le sens d’Aaron et de Gwen qui ont fait le keynote de samedi matin et qui, eux, ont “traversé”, sont transgenre. Ceux d’entre nous qui n’avons jamais traversé, qui ont toujours gardé le même genre, nous sommes des ‘cis- genre‘.

Cette notion de cis-genre (du latin cis signifie « du même côté » et est le contraire de trans comme la Cisjordanie) vient de l’idée que si nous donnons des étiquettes aux gens minoritaires, comme les transsexuels – “trans” -pourquoi les autres, majoritaires,  n’auraient-ils pas d’étiquette?

Ce langage très politiquement correcte soulève bien-sûr des points importants, et je me pose des questions sur les raisons de mon inconfort.  Plus tard dans cette table ronde, j’ai eu quelques pistes de réflexion.

 

L’appartenance , le sacré et la libération:

Ceux sont des valeurs samoanes que nous a partagées Taimalieutu Kiwi Tamasese

Kiwi , qui a vraiment une énergie de marée montante douce (C’est exactement ça ! NDRL), m’a impressionnée par sa présence et une sagesse; quand elle intervient, on l’écoute.  Elle a parlé de l’importance de ne jamais perdre de vue ce qui est bon pour le client. Et elle met en garde de faire attention à la façon dont on utilise le langage. Elle suggère un langage plutôt  inclusif, qui prime le lien et l’appartenance à la communauté.

Elle parle de langage qui embrasse ou langage qui repousse et de prendre garde qu’un langage plus spécialisé ne devienne pas un langage de repoussage ou d’évitement. “Language to hug people or to shun people” dit elle, “More specialized language can become a language of shunning. “ ( Il y a un langage pour embrasser et un langage pour éviter ou repousser. Le langage plus spécialisé a le potentiel de devenir un langage d’évitement, de fuite ou d’esquivement. )

J’ai discuté avec quelques personnes, avec Kiwi par exemple, Samoane, et avec Alicia de Madrid, sur ‘mon impression que ces façons de voir et de pratiquer sont quand même issues de cultures anglo-saxonnes,  et qu’il faudrait explorer et trouver les pratiques qui conviendraient pour d’autres cultures.  Pour nous les praticiens en France il pourrait y avoir une réflexion à avoir autour de l’introduction d’une dimension plus “politique” dans notre accompagnement, pour être plus intentionnels sur les deconstuctions culturelles.


La culture et la communauté comme une expression primaire d’appartenance

Cette idée d’appartenance soulève également la question dans notre société, de savoir à quelle(s) cultures on appartient.

Julie Tileson à montre l’extrait d’une conversation qu’elle avait eu avec un jeune transsexuel canadien d’origine chinoise.  Elle lui a posé des questions autour de sa navigation entre les différents strates de son identité.  Il a dit qu’il se sentait le plus lui-même dans sa communauté de trans, mais à évoqué à quel point c’est compliqué de négocier et garder son appartenance à ces différents communautés avec leurs valeurs, leurs croyances, et leurs pratiques si diverses, surtout autour de la notion de genre.

Pour Kiwi, du point de vue de sa culture samoane, l’important tout d’abord c’est l’appartenance au village et à la communauté.  D’abord “ils appartiennent à une famille, un village et a une communauté.  Ils  font partie de nous. Ils contribuent tout d’abord à une communauté. ”

 

Le langage :

Rosa à posé une question : le fait de pouvoir s’identifier soi- même (s’auto identifier- self identify) n’est il pas un privilège? Le privilège de pouvoir décider de l’identité qui nous convient n’est pas donné à tous. Que faisons nous de ce privilège, si nous l’avons? Comment l’utiliser pour créer de l’inclusion et de l’exclusion? Comment mettre cela en pratique?

Kiwi a amené la notion de mettre en oeuvre, (enact them):

“Les mots mis en oeuvre, c’est cela qui importe”, dit Kiwi. “Il faut que le autres l’honorent pour qu’il ait une importance. ”

 

 Les notions de privilège, de pouvoir et de la position d’allié

Beaucoup des présentateurs ont soulevé la notion de la responsabilité des ‘alliés’. Un allié est une personne dans une position de privilège dans le groupe dominant et majoritaire qui soutient par ses actes et par ses paroles les personnes de la culture minoritaire.

Comme l’a mentionne Jean Louis dans un autre article, Rosa Elena Aertega, qui est d’origine mexicaine à préface son keynote en disant qu’elle allait parler dans sa deuxième langue de colonisation, la première étant l’espagnol.  Je soutiens Jean-Louis dans le regret qu’elle n’ait pas parlé dans sa langue natale (au moins ce n’aurait pas été en anglais). Il y a une vraie notion de privilège pour les anglophones dans la communauté internationale narrative.  La notion de privilège s’est vue adressée dans le workshop de Pierre, au moins ça a été nommé. Pierre et  Chené ( Chené Swart, de l’Afrique du Sud, pour qui la langue maternelle est l’afrikaans,) ont annonce ‘au départ’ qu’ils auraient pu donner leur conférence dans leurs langues natales mais qu’ils ont décidé pour la facilite de leur public de le faire en anglais…

Dans le domaine linguistique, je suis une alliée des francophones, car en tant qu’ anglophone de naissance, j’occupe une place de privilège dans la communauté narrative francophone. J’essaie d’honorer cette position de privilège en partageant les contenus des conférences avec vous par ces blogs, dans mes groupes de pairs, et qui sait, il y a peut être d’autres choses que je pourrais faire ?  Comme le soulever lors d’une prochaine conférence pour sensibiliser les autres? Autres idées?

Car s’il y a une chose que je retiens de tout ce que j’ai vu et entendu à Vancouver c’est que de déconstruire les places de privilège que nous occupons (et nous en occupons tous) nous rend plus accountable, plus responsable envers les autres qui n’ont pas ce même privilège. Cette déconstruction peut amener à des prises de conscience  qui nous permettent d’occuper de vraies places d’alliés, en actes et pas seulement en paroles.  Ce qui contribue à créer de vraies communautés d’inclusion où la position de privilège n’implique ni une position de pouvoir, ni de l’exclusion.

Stephen nous invite à défier dans nos accompagnements les idées dominantes sur l’identité dans la culture occidentale (challenge the dominant notions of identity in Western culture), de voir l’identité en termes de culture.  il met en défi la notion de “je et de “moi” dans l’accompagnement, car la “je” est localisé à l’intérieur de la personne, pour que le praticien puisse le “soigner” ou le “corriger”.

Qu’en pensez-vous?

 

 

5 réflexions au sujet de « L’APPARTENANCE, LE SACRE ET LA LIBERATION »

  1. Quelques résonances sur cette riche expérience que tu nous as livrée généreusement et je t’en remercie infiniment car elle ouvre pour moi d’immenses réflexions sur notre place et notre intention de praticien narratif et plus largement la manière dont nous nous « plaçons » dans notre propre vie, dans les groupes et les communautés. Je retiendrais quelques idées que je voulais faire partager et en lien avec le keynote de Stephen « Be accountable to the privilege you have » et aussi avec ma propre vie.

    L’alliance et l’appartenance à une communauté : attacher de l’importance au langage plutôt inclusif qui relie, qui embrasse (magnifique expression) par opposition au langage qui évite, qui sépare.

    La culture et les identités : chercher une appartenance à une communauté, une famille, un groupe ne signifie pas avoir choisi une identité ou plusieurs identités. Je laisserai un champ libre d’expression sur la manière de se définir en lien avec d’autres personnes avec lesquelles on se sent bien et en accord avec sa manière de penser et de vivre sa vie. Le sentiment d’appartenance à une culture, une communauté ne nous dispense pas d’être en lien, en alliance avec d’autres cultures et de les honorer.

    Nos privilèges et ce que nous en faisons : partager et relier, être en alliance avec les autres tout en honorant les privilèges des autres personnes avec lesquelles nous sommes reliées.

    NOUS détenons tous des privilèges. Nous est un mot qui appartient au langage d’inclusion et que je traduirais dans ma posture de praticien par aider les personnes et les groupes avec lesquelles NOUS allons faire un bout de chemin ensemble (c’est ce que je leur dit souvent). Peut être que la déconstruction commence par cette posture et le regard que l’on porte sur la notion d’alliance comme si cette position de privilège pourrait passer d’un côté comme de l’autre, s’embraser et s’embrasser. Cette idée pourrait ouvrir une nouvelle signification sur la notion de privilège : nous allons ensemble passer d’une position de Je à une position de Nous et aider à mettre en lumière dans les savoirs et expériences racontées, les positions de privilèges des personnes et des groupes.

    Les personnes et les groupes que nous accompagnons détiennent eux aussi des privilèges. Déplacer la notion de privilège vers les personnes que nous accompagnons pourrait être aussi une forme de déconstruction de notre place de privilège tout en gardant à l’esprit l’importance de la responsabilité envers les autres par rapport aux privilèges que nous avons. Redevenir auteur de sa vie pourrait aussi traduire une nouvelle intention du praticien narratif qui est de poser le projecteur sur la place de privilège que nos clients occupent dans les groupes et communautés de leur vie ? Et repartir avec cette question : que vont-ils faire de cette position de privilège maintenant dans leur vie ?

  2. Merci Pierre et Natacha pour la richesse de vos contributions qui apportent encore de la lumiere a ces réflexions. 🙂

  3. Ton article me permet de revisiter la conférence de Vancouver avec quelques jours de recul et de bénéficier de ce que tu appelles ta “lenteur” et qui pour moi est un précieux processus de mûrissement et de percolation des idées. Je me rends compte combien moi aussi j’ai été sensibles aux interventions du Just Therapy, de S Madigan et d’Aaron sur la conscience de cette notion de privilège et de ses effets sur la relation, notamment thérapeutique ou coachique.

    La notion d’allié me parle d’autant plus que dans cette conférence, j’ai bénéficié d’un certain nombre de privilèges (être un “présentateur” connu, faire partie des amis de tel ou tel…) que je me suis efforcé de déconstruire et de mettre en récit en direct live, en essayant de ne pas trop me prendre les pieds dans le tapis.

    Ce qui est intéressant sur l’histoire de l’anglais, sur laquelle tu reviens avec beaucoup de pertinence, c’est qu’il s’agit d’un des terrains où je faisais partie de la minorité, appréciant beaucoup ta posture d’alliée, y compris accepter de parler avec moi en anglais quand je te parlais en anglais et en français quand je te parlais en français.

    Mais je peux témoigner de la puissance de la reconnaissance symbolique de cette relation de privilège car dans notre interview avec Chené, le fait que Bill Madsen ait passé un petit moment à poser les enjeux et les idées sur le langage a vraiment beaucoup compté pour moi et a changé la place depuis laquelle je faisais l’interview. En effet, ma place traditionnelle par rapport à l’anglais est d’être un français qui le parle très couramment, mais qui reste quand même limité et gêné aux entournures par rapport aux anglophones, à la fois pour exprimer finement les nuances de ma réflexion, et pour saisir les nuances de la leur lorsqu’ils parlent vite, tous en même temps ou sans faire d’efforts. Donc c’est quand même une position basse, alimentée par la tradition que les Français sont nuls en langues et aussi par une scolarité d’apprentissage de cette langue dont on nous a dit qu’elle était tellement essentielle à notre survie au 21eme siècle et que l’on peut appeler sans vexer personne une langue coloniale.

    Et bien ces quelques réflexions de Bill auxquelles tu fais allusion nous ont permis de nous sentir non pas en position d’échec et de minorité (encore que pour Chené, venant d’Afrique du Sud, sa pratique de l’anglais est impressionnante selon nos standards), mais dans une position de générosité, allant sur un terrain qui n’était pas familier pour faciliter la compréhension du public, et y allant non pas parce que nous y étions obligés mais après avoir réfléchi à d’autres options possibles, parce que nous avions le choix et que nous avons pris cette décision dans une intention de partage et de générosité. Je te jure, ça change absolument tout !

  4. OUPS ! une de ses forces philosophique, politique ET thérapeutique, son efficacité étant aussi le résultat de cette synergie.

    Natacha
    😉

  5. Merci Elisabeth pour ce partage.

    En te lisant me vient à l’esprit l’incroyable richesse générée par le respect des cultures et la profonde (spirituelle) acceptation de leur diversité. J’ai sans doute une grande sensibilité sur cette question qui me semble vitale pour nous tous les humains et j’aimerais partager la grande joie que cela m’inspire.

    Il y a dans ton témoignage 2 éléments (et plus) qui sont symboliques de cette richesse :
    – l’idée que le privilège implique une responsabilité supplémentaire et qu’il aboutit, non pas à une domination possible, mais à une générosité (contribution). Cette idée me rappelle celle des sociétés humaines qui ont choisi la non accumulation et les pouvoirs non centralisés à l’inverse de la nôtre.

    – L’autre point est la notion de “trans” qui implique “cis “. cela rappelle que notre culture occidentale moderniste est une culture de la division (pauvre ou riche, gauche ou droite, exploitant, exploité, dominant, minoritaire…). Comment affirmer une identité sans diviser ? de nombreuses cultures cultivent l’indivision – mis à part celle des genres- mais il semble que les Samoas aient trouvé une façon de traverser les genres.

    Cette attention à honorer les cultures tout en s’autorisant à déconstruire les idées qui en sont issues me semble être une spécificité (unique?) de la pratique narrative et une de ses forces philosophique et politique.

    Natacha

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