LE RWANDA, RETOUR

Photo Julie Epp

L’univers me reparle du Rwanda.

Pierre Claver, le chanteur à la voix de bronze de “la chanson des survivants”, remet en ligne sur Facebook une photo de lui, Aya Okumura et moi prise le jour de l’enregistrement de la chanson. Patrick Pastor, l’ingénieur du son, est à Paris et il prend contact avec moi pour que l’on se revoie. Et puis le même jour, mon ami et collègue Luc Pouyanne m’invite à Toulouse à une représentation d’une pièce de Jean-Pierre Azagar et Bruyère Robb sur ce même sujet du génocide Rwandais. Interprétée par un jeune comédien époustouflant, Franck Delpech, de la Compagnie de l’Improviste, cette pièce propose une mise en abyme narrative, un peu comparable au parti-pris d’écriture cinématographique de Maïwenn le Besco (“Pardonnez moi”, “le bal des actrices”, “Polisse”) où la création du récit et les questions qu’elle pose font partie intégrante du récit. Ainsi, la pièce, intitulée à juste titre “Répétitions”, nous emmène sur trois lignes narratives parallèles qui s’entrecroisent et s’entrechoquent en permanence : l’horreur vécue par les victimes du génocide de 1994 (sans masquer l’attitude très complaisante pour ne pas dire activement complice de notre pays), les dilemmes posés à un comédien et un metteur en scène blancs et bobos par la création d’un spectacle sur un tel sujet et la façon de parler de l’indicible, et enfin la relation difficile entre un fils et un père, qui se joue elle aussi en deçà des mots. Le moment où, en pleine répétition sur le drame de l’église de Niamata (10.000 personnes dont beaucoup de bébés et d’enfants massacrées avec une sauvagerie inouïe alors qu’elles cherchaient refuge dans cette église), le père apprend au fils à danser le tango est d’une grande beauté.

“On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui”, disait le regretté Coluche. Didactique et précise, mais jamais ennuyeuse, pudique, démesurée, follement intelligente et portée par le jeu halluciné et précis de Franck Delpech, “Répétitions” me ramène à Kigali et dans cette église même de Niamata, face aux empilements de vêtements tachés de sang, de chaussures orphelines, aux étendues de crânes fracassés, où l’on voit la profonde trace laissée par les coups de machette mortels.
Qu’ai-je fait depuis 2 ans pour Ibuka ? Quelques chansons, quelques bonnes intentions, une rencontre avec Marcel Kabanda, le représentant en France de l’association, des échanges de courriers plus rares avec le temps… Ai-je dérapé dans cette ornière dont parlait Cheryl White en mars dernier à Adelaide, de ces praticiens qui vont dans les pays déchirés par les guerres et par les traumas, qui sanglotent, qui vivent une expérience qui change leur vie, promettent qu’ils n’oublieront pas, qu’il seront témoins et acteurs, et puis en font quelques lignes valorisantes sur leur CV ?
À l’heure où l’Afrique allume dans ma vie ses soleils d’ivoire et d’ébène, il est temps de retourner à Kigali.
Pierre Blanc-Sahnoun

5 réflexions au sujet de « LE RWANDA, RETOUR »

  1. merci Pierre pour ce partage. Que pouvons-nous faire au delà de la
    découverte, de la stupéfaction, de l’émotion, lorsque nous revenons chez
    nous ? Que pouvons nous faire qui sera utile aux survivants, au delà de
    notre égo ? … déjà … ne pas oublier !
    Il y a des personnes qui agissent, comme Franck et Jean-Pierre, en passant
    pas leur art, l’un celui d’être comédien, l’autre celui d’écrit. Et toi
    Pierre, cela passe aussi par ton art, celui d’écrit et celui de parler,
    celui de témoigner.
    Ont-ils besoin de plus que tu devrais faire ? …
    avec toute mon amitié, … encore toute touchée et émue par ton billet !
    merci à toi Pierre

  2. Merci Pierre pour votre venue à Toulouse et pour cette rencontre dans ce théâtre. Échanger comme nous avons pu le faire après la pièce, me rappelle pourquoi je m’accroche à poursuivre ce travail d’amateur avec tant de hargne et de souffrances ; c’est pour récolter ensuite, la “raisonnance” de personnes comme vous.
    Au théâtre il faut de bons comédiens, mais il faut aussi de bons spectateurs et tout mon bonheur réside dans ce fil ténu qui relie les deux, le temps d’une soirée et peut-être au-delà.
    Merci encore.

  3. Merci d’avoir si bien écouté et entendu notre pièce “Répétitions”. Votre ami Luc Pouyanne est le cousin de Christophe Pouyanne l’un des fidèles et bénévoles comédiens du théâtre de l’improviste et agriculteur bio de son état. Cette anecdote pour dire combien sont fragiles les hasards de rencontres qui nous font nous sentir moins seuls.
    Pour étayer le propos voici le texte du programme accompagnant ces représentations toulousaines de “Répétitions”
    “Le sujet premier de ce spectacle est un scandale. Un scandale moral universel. C’est le fait qu’un génocide puisse non seulement être perpétré mais que nous ayons un mot pour le nommer. Il y a l’eau, la terre, le ciel et le génocide. Nous avons réussi à nommer l’innommable. Gé-no-ci-de. Notre vingtième siècle en a connu tout au long de ses cent années depuis celui des arméniens en 1915 jusqu’à ceux des Balkans à la toute fin en passant -si l’on ose dire- par celui des juifs et des tsiganes sous la férule nazie des années quarante.
    Il s’est agi cette fois d’un évènement extra européen dont on a été informé grâce au travail d’un journaliste – Jean Hatzfeld, un belge de langue française- qui a su transcrire les témoignages des victimes comme celui des bourreaux à travers trois livres “Dans le nu de la vie”, “Une saison de machettes” et “La stratégie des antilopes” parus entre les années 2000 et 2007.
    A leur lecture nous avons été abasourdis par la révélation de ces évènements dont comme la plupart de nos concitoyens nous ignorions tout. Nous avons été aussi émus par la beauté et la sérénité du langage des Tutsi rescapés et troublés par l’allure bonhomme des Hutu massacreurs. Aucun n’ayant bien évidemment “la tête de l’emploi”.
    Nous avons beaucoup travaillé et réfléchi. Avions nous le droit de “faire spectacle” d’un sujet pareil ? Et qu’avions nous à en dire vraiment nous qui ne sommes pas rwandais, pas noirs, pas victimes et pas bourreaux ? Un sujet “délicat” nous a-t-on dit parfois, nous incitant ainsi à changer de sujet … Et en quoi est-ce “délicat” que des artistes décident de dire leur incompréhension, leur trouble, leur peur devant de tels évènements eux qui ne sont ni des politiques ni des religieux mais des témoins sensibles. Des témoins faits pour alerter. Et si leurs contemporains en font des “Cassandre” – cette troyenne mythique qui prêchait la vérité sans jamais être entendue- alors l’humanité civilisée continuera sa marche en arrière vers la barbarie.”

    Jean-Pierre Agazar

  4. Pierre,
    Merci de partager ce….qui nous sauve et nous redéploie chaque jour, j’entends le doute, ne pas être sûr d’être des gens si bien que ça au fond. Et ce, sans névrose supplémentaire versus notre paquet individuel, simplement une hygiène personnelle, sorte d’examen de conscience libre- et souvent secret.
    Tu le mets en lumière, et sans doute cette énergie du dire impulsera encore davantage ton retour à Kigali. Le verbe ça-crée. Moi j’aime bien les synchronicités quand l’évidence qu’elles renferment se traduit en actes, promptement et fermement posés. Oui la vitesse, à la vérité des décisions immédiates, inspirées du coeur, qui jailissent en éclair quand le cerveau n’a pas commencé ses – lents, toujours trop lents- ébranlements.
    A ton voyage, ton re-voyage en vérité, et celui-là sera….inespéré.
    Un abrazo,
    Florence

  5. Dear Piere,
    so are you really planning to go back to Rwanda? if so is it possible maybe to do it together. I’ve been in contact with Claver here and there but would love to go there again.
    what do you think
    Yishai Shalif

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