Boris Cyrulnik , célèbre neuropsychiatre et éthologue (et Bordelais, cocorico !) s’est-il rapproché au fil des années d’une pratique que l’on pourrait qualifier de narrative ?
C’est une question que l’on peut se poser à la lumière de l’inflexion de son oeuvre, en gros depuis les “vilains petits canards“. Les tuteurs de résilience, un concept qu’il a créé et développe depuis plus de 10 ans, se présentent au fil des livres de plus en plus sous forme d’histoires de résilience dans la vie du client. Des histoires qu’il a généreusement illustrées par son parcours personnel et la façon dont sa propre vie a servi de source et de finalité à son oeuvre.
Cet entretien, issu d’Identités Créatrices, blog de Wahid Choueiri (et signalé sur celui de Françoise Quennessen) revisite ce qu’est la rencontre, à la fois combat, affrontement et croise(ce qui nous évoque également le combat thérapeutique, cher à nos camarades André de Châteauvieux et Eva Matesanz, et développé par le psy Gérard Salem).
La résilience en elle-même est une idée proche de ce que nous connaissons dans notre domaine sous la forme de “pratiques de résistance”, que nous cherchons à identifier chez nos clients et dont nous cherchons à retracer l’histoire sociale et relationnelle, remontant ainsi vers des figures et personnages qui jouent ou ont joué ce rôle dans la vie du client.
Sans doute certains d’entre vous ont-ils une connaissance approfondie du travail de Boris Cyrulnik. Ce serait intéressant de connaître vos idées sur les passerelles qui apparaissent chez lui vers une construction du monde à travers le récit alors qu’à l’origine, venant de l’éthologie, il fondait plutôt ses idées sur l’attachement.
Merci pour ce partage (vidéo et commentaires)
J’aime tellement cette Boris Cyrulnik pour son parcours de vie et sa capacité à rendre accessible ses belles trouvailles !
Très belle explication d’une “vraie rencontre”… Qui peut donner beaucoup de sens à notre positionnement en tant que praticien.
Le tuteur de résilience de Boris me fait toujours penser au rôle du témoin exterieur que l’on peut voir dans les Pratiques. Narratives.
D’autres liens faciles à faire entre lui et les Pratiques Narratives…
“tisser un lien”, “pour me développer j’ai besoin d’un autre” = réparer des relations et paysage de la relation (c.f approche narrative).
Je me suis régalée avec son livre “la nuit, j écrirai des soleils”.
“ce qui ne s’exprime pas s’imprime”, le fait d’écrire et donner du sens permet souvent de se libérer et d’écrire pourquoi pas son histoire préférée.
Pour finir voici un passage de son dernier livrre livre : “En écrivant, en raturant, en gribouillant des flèches dans tous les sens, l’écrivain raccommode son moi déchiré. Les mots écrits métamorphosent la souffrance.”
Kia ora Pierre;
je viens de visionner la vidéo de Boris Cyrulnik et vraiment je tiens à te remercier de l’avoir postée sur le site de La Fabrique.
J’ai retrouvé, en l’écoutant, les discours, le ton, la sensibilité, l’intelligence de mes profs et de mes collègues thérapeutes narratifs.
Je qualifierai donc volontiers sa pratique de Narrative!
Merci encore,
Laure Romanetti
Counsellor
Post Graduate Diploma in Counselling
New Zealand Association of Counsellors
Mille mercis Catherine pour ce commentaire passionnant. Les concepts d’identité trouée et de niche sensorielle sont vraiment très intéressants, le premier parce qu’il reprend des choses que nous connaissons bien dans les pratiques narratives mais en les exprimant par une métaphore très puissante. Le second parce qu’il va dans le sens de la reconnaissance du “vase émotionnel” dans la construction et la mémorisation des récits qui nous promettent de nous en sortir, une architecture de l’émotion qui est étudiée actuellement dans le domaine narratif par des gens comme Jeff Zimmermann (USA) et Marie-Nathalie Beaudoin (Française vivant aux USA). Enfin, le point sur le temps comme construction soumise à la relativité culturelle rejoint à la fois les travaux avec des communautés ayant des représentations différentes, et le décalage entre le récit discursif et l’imaginaire global nourri par l’affectivité, les rêves et les légendes.
bonjour à vous,
merci d’avoir diffusé cette belle interview.
Concernant les réflexions de B. Cyrulnik sur le rôle des récits, et sur la question du lien entre récits et la théorie de l’attachement, voici quelques éléments tirés de la Conférence de Boris Cyrulnik, du 24 mars 2010 ” Résilience – et Culture”, donnée à Sainte Anne, dans le cadre du Séminaire « Prise en charge des migrants et compétence culturelle – Regards Croisés » Centre Minkowska et Hôpital Sainte Anne.
Pour réparer une identité trouée, il faut d’abord rechercher les récits d’alentour.
Dès le départ, les théoriciens de l’attachement sont partis de l’interculturel et de l’observation dans les différentes cultures de comment les enfants font pour s’attacher.
Cyrulnik souligne l’importance de la niche sensorielle, enveloppe de signifiants créée autour du bébé, pour son développement.
Cette enveloppe sensorielle qui entoure le bébé est phonétique et phonémique, et permet la transmission du monde interne de la figure d’attachement au monde mental du bébé. Cette enveloppe sensorielle est médiatisée par le corps de la figure d’attachement, autant le corps que les récits et les mythes.
Selon le vécu de la figure d’attachement, la niche sensorielle peut être chaude ou froide, et si elle est froide, on peut modifier cette enveloppe quand on modifie l’enveloppe phonétique, qui est la plus petite unité de sons possibles (phénomène du nanisme affectif pour des enfants abandonnés, par exemple).
Les stéréotypes culturels jouent dans la constitution de l’enveloppe phonémique.
Les représentations du temps sont différentes selon les cultures, ce qui modifie complètement les comportements de l’entourage d’une personne qui va pas bien, et la niche sensorielle autour des personnes souffrant (adultes ou enfants) est différente.
Cyrulnik marque sa proximité avec les recherches de G. Devereux, et, dans une épistémologie différente, celles de Daniel Stern (et son concept de transmodalités) sur les stimulations phonétiques du bébé selon les cultures. On a ainsi des niches sensorielles différentes.
L’attachement prend des formes différentes selon les mythes culturels, du père, de la mère, de la grande sœur, etc… de ce que Cyrulnik appelle les tuteurs de développe-ment. Pour lui, ce qui compte, c’est qu’il y ait une niche sensorielle.
B. Cyrulnik a également étudié les tuteurs de résilience présents dans certaines cultures pour épauler le dévelop-pement de l’enfant en cas de malheur au cours du développement. En cas de blessure affective générée par une carence de la figure d’attachement, l’enfant se développe en investissant le ou les tuteurs de résilience.
Le principe de base est que l’on ne peut devenir que si autour de soi il y a eu une altérité. Mais ce besoin du vivant est structuré très différemment selon les cultures. Ainsi, chaque culture a un style d’intégration de la niche sensorielle selon son mythe d’origine.
Je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager cet extrait d'”Autobiographie d’un épouvantail’“ du même Boris Cyrulnik, publié en 2008. Un ouvrage dans lequel, à la manière d’un biographe, il raconte à l’aide de multiples exemples, comment la force du récit peut réparer les blessures et transformer en force de vie ce qui semblait être une blessure inguérissable.
“Un récit n’est pas le retour du passé, c’est une réconciliation avec son histoire. On bricole une image, on donne une cohérence aux événements, comme si l’on réparait une injuste blessure. La fabrication d’un récit de soi remplit le vide des origines qui troublait notre identité. Un enfant abandonné ne sait pas d’où il vient, son image commence avec l’impossible représentation de sa mère et de son père : un gouffre à l’origine de soi !
Quand un enfant s’inscrit dans une famille stable, son identité commence avec les parents et les grands-parents dont il vient. Ses origines remontent le temps, l’histoire de sa vie commence avant sa naissance et les événements utilisés pour construire son identité servent aussi à justifier ses humeurs. Quand il est triste, il part dans les temps anciens à la recherche des événements qui pourraient expliquer son état et quand il est gai, il découvre d’autre faits, tout aussi vrais, qui donnent à son passé une forme qui explique son présent.”
Extrait de “ Autobiographie d’un épouvantail” – Boris CYRULNIK –
Publié chez Odile JACOB – 2008