Toutes les communautés humaines depuis 5 millions d’années environ se sont retrouvées autour de chansons.
Qu’ils soient religieux, liturgiques, folkloriques, engagés, les chants permettent à un groupe de réaffirmer son identité de façon récursive, d’intégrer de nouveaux membres en leur apprenant ces chants et en les invitant à les interpréter en même temps que le groupe. Le « pouvoir des chansons » a donné lieu à un certain nombre de techniques narratives développées en Australie par David Denborough, qu’il a exprimées dans son livre « les pratiques narratives collectives » (traduction par Catherine Mengelle aux éditions Hermann-l’Entrepôt), et qu’il a partagées avec nous lorsqu’il est venu en France il y a deux ans avec Cheryl White.
Dans notre pays, la chanson n’a plus le statut central d’une pratique fédératrice identitaire pour les communautés, notamment dans les entreprises. Mentionnant l’idée de la remettre au centre du processus de construction identitaire collective, je me suis même fait traiter il y a quelques années de « boy-scout ». Pourtant, les nombreuses expériences que j’ai faites en tant que musicien, soit en France (notamment avec les élèves de SEGPA dans le cadre du travail effectué avec eux par Dina Scherrer et qu’elle raconte dans son livre « échec scolaire : une autre histoire possible » – Editions l’Harmattan) ou à l’étranger (au Rwanda avec “la chanson des survivants”, en Australie dans le cadre de renarrations individuelles) me fait penser qu’il y a là une mine à exploiter dans la partie de notre travail qui consiste à relier les vies des gens.
Tous les musiciens connaissent cette qualité de relation instantanée, profonde et vraie, qui s’établit entre musiciens de n’importe quel contexte et de n’importe quelle culture. Nous cherchons parfois désespérément à recréer ce type de relations à l’intérieur des équipes ou des communautés sans penser une seule seconde que la musique nous offre une fantastique opportunité pour cela, car nous avons une vision culturelle dominante de la musique et de la chanson comme un territoire « récréatif», « pas sérieux », ce qui correspond aussi vraisemblablement à une tentative réussie de l’économie pour mettre les arts de côté et raboter un peu de ce pouvoir de mise en perspective et de déconstruction du monde qu’ils pourraient ressentir comme une menace.
Apportée par Christophe Belud, cette conférence de TED d’Abigail Washburn présente un magnifique exemple du pouvoir de la musique, et également une magnifique histoire alternative à l’idée que toutes les relations entre les peuples doivent passer par des accords économiques et commerciaux et pas par des accords de guitare. Nous pourrions y réfléchir nous-mêmes dans notre critique de la construction de l’Europe et des problèmes qu’elle rencontre aux limites du raisonnement économique tout toute construction culturelle a été expurgée depuis 50 ans, sinon les timides tentatives pour créer de toutes pièces une langue commune (l’Espéranto) et les initiatives locales d’associations ou de communes dans le cadre de jumelages et de festivals.
Une conférence émouvante, drôle et profonde, qui me ramène encore une fois au Rwanda, lorsqu’une dame que je ne connaissais pas m’a dit : « je vais t’envoyer les histoires de mes parents et tu écriras une très belle chanson pour eux ». Et lorsque j’ai répondu : « c’est une grande responsabilité et un grand honneur, je ne suis pas sûr de leur rendre hommage de façon convenable », la dame a répondu : « tu feras bien ».
PBS