Une grande glaciation s’est abattue sur l’économie européenne, et les petits oiseaux que sont les coachs indépendants sont les premiers à avoir les pattes gelées.
Par Pierre Blanc-Sahnoun
Plusieurs que je connais, et non des moindres, sont déjà tombés de l’arbre ou bien ont de réelles difficultés à continuer à voler à la même altitude. Indépendamment de leur talent et de leur compétence, ils se heurtent au fait que les entreprises ont tendance à serrer tous les boulons, et en premier lieu les budgets d’accompagnement de leurs salariés. Le coaching est un produit de croissance…
Ceci se combine avec le fait que les écoles de coaching tournent à plein régime, profitant de l’engouement pour notre magnifique métier et mettant sur le marché chaque année au moins 1000 ou 1500 coachs supplémentaires, qui ont tous besoins de manger.
On ne le dira jamais assez : le métier de coach est d’abord un métier de vendeur. Démarrer aujourd’hui, c’est avant tout démarrer une prospection commerciale hallucinante, dans un contexte où personne ne vous attend, se faire claquer au nez les portes de verre et de métal des grandes entreprises, de façon parfois violente.
Une petite anecdote à ce sujet : nous avons eu il y a deux ans, avec une collègue, un premier rendez-vous avec une grande société d’assurances. La personne que nous avons rencontrée a manifesté beaucoup d’intérêt pour nos activités et pour ce que nous proposions (une application des idées narratives à l’accompagnement culturel du changement et à la mise en place de parcours individuels d’évolution pour les salariés qui devaient changer de métier ou de posture vis-à-vis de leur métier.)
Et puis pendant deux ans, alternance de silence radio et de rendez-vous ratés sur Paris ; nous prenions nos billets et au dernier moment, pour des raisons indépendantes de sa volonté, l’entreprise annulait en s’excusant. Au bout de trois annulations, et n’ayant plus trop envie d’y retourner, je me permets donc d’envoyer une lettre au prospect en suggérant que ces annulations du dernier moment avaient peut-être valeur de processus, qu’elles nous indiquaient une piste à suivre dans notre travail éventuel, une sorte de reflet systémique de quelque chose que l’entreprise ferait peut-être vivre à son insu à d’autres personnes que nous, et qu’il y avait là éventuellement matière à élaborer quelques réflexions sur les pratiques de relations de cette entreprise.
Par ailleurs, je pointais le fait que nous avions pu ressentir ces annulations comme quelque chose d’un peu violent, et que ceci nous plaçait à chaque fois en position d’attendre bien sagement que l’on daigne nous fixer un nouvel entretien.
La réaction du client ne s’est pas faite attendre : puisque nous le prenions comme ça, tout contact à l’avenir serait interrompu. Game over.
Comment pourrions-nous oser revendiquer que l’on nous traite comme autre chose que des fournisseurs, avides d’avoir nous aussi, comme les centaines de cabinets de tout poil qui se pressent aux portes de cette entreprise, quelques miettes du gâteau ? Y a t-il dans le fait de poser une parole sur des processus implicites qui nous recrutent une sorte de d’inconvenance ? un crime de lèse-majesté ?
Au-delà de cette mésaventure que l’on pourrait résumer par : « ah, je te marche sur les pieds ? Prends donc une baffe, tu m’en diras des nouvelles », il y a certainement ici une réflexion intéressante sur ce qui est “permis” à un fournisseur vis-à-vis d’un client ou plutôt la façon dont la relation client-fournisseur vient parasiter la posture et le travail du coach.
De même que dans certaines entreprises, il y a quelques années, les missions de conseil qui faisaient élaborer les différents services en interne sur l’existence de « clients internes » dont ils étaient les fournisseurs et de « fournisseurs internes » dont ils étaient les clients avait pour effet la plupart du temps d’importer artificiellement dans la culture de collaboration de l’entreprise des notions de pouvoir et de privilèges liées à l’idée dominante de la royauté du client et de la sujétion du fournisseur.
Car comme je l’écrivais à ce prospect, le fait de pouvoir pointer des processus, interroger le contexte, déconstruire les pratiques relationnelles, éventuellement nous tromper et faire fausse route, revendiquer nos divergences d’analyse et d’opinion, exprimer nos ressentis, fait partie intégrante du travail d’un coach. Mais dès lors que ce travail est envahi par l’histoire dominante du fournisseur discipliné à l’échine souple, reconnaissant implicitement que « le client est roi » et qu’il a tout pouvoir d’annulation, de report, d’exigence, sur le fournisseur, quel est l’espace qui nous reste pour coacher ? Ou plutôt quels est le moment à partir duquel nous pouvons nous permettre de commencer à coacher ?
Peut-on coacher respectueusement ? Nous respectons les personnes et les communautés, mais respecter tous les processus du client et nous faire recruter pour des raisons commerciales parfaitement compréhensibles par ses histoires dominant de problème, est-ce que cela ne constitue pas une faute professionnelle ?
« Lorsque j’interromps un client, je ne lui manque pas de respect mais je subvertis les activités du problème », disait Stephen Madigan l’année dernière Arcachon. Interrompre un client qui reproduit avec nous en reflet ou en hologramme des pratiques violentes inspirées par les règles du jeu du pouvoir et du privilège dans la relation commerciale, cela nous condamne définitivement à ne pas travailler avec certains clients ? Quitte à mourir de faim ? Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Est-ce que cela ne devient pas un luxe dans une période où nos petites pattes gelées ont besoin de façon pressante de trouver des missions pour pouvoir continuer à avancer ?
Salut Pierre
Je suis arrivée sur ton blog un peu par hasard, en surfant sur le thème des processus créatifs…. mais maintenant que j’ai commencé à creuser le sujet, j’ai vraiment très envie d’en savoir plus sur les pratiques narratives… je suis donc inscrite à la jourée de présentation de vendredi prochain
… et ce sera un grand plaisi de te revoir !
A très bientôt
Bises
Tiens, salut Véronique. Ils se font rares, ceux qui se souviennent de “a long way from Lacanau”! J’espère que tu as une belle vie 🙂 Bises,
Le client-roi : juste un histoire de plus…?
Cher Coach,
Ton client te contacte, s’intéresse, voire s’enthousiasme….
Il te fait miroiter d’hyopthétiques missions, te fait poireauter et finalement te claque le porte au nez… surtout si tu mets un miroir sous le sien !
Et si, en fait, ton métier le faisait rêver ? rêver de jours meileurs, d’un “après la crise”, quand la dictature du “cost cutting” aura cessé, quand les “high performers” et autres “top-leader” auront laissé place… à des humains qui essaient de changer d’Histoire…
Ton métier de coach prendrait alors encore plus de sens : il faudrait réapprendre les petites chose (ou les grandes) qui permettent aux êtres humains d’agir ensemble, celles qui auront été oubliées à force « d’efficiency », de « downsizing » de « profitabiliy metrics »… et j’en passe.
Et si ton client arrogant était en fait plus souvent en colère, en panique, voire en détresse, que tu ne le suposes ? Peut-être qu’il doit mettre en oeuvre un plan social, fermer une usine, revoir la copie de son business plan toujours pas assez rentable pour l’actionnaire ?… il va même peut-être devoir tout boucler et sortir le dernier (il faut bien que quelqu’un éteigne la lumière et coupe les compteurs).
Bien souvent, chez ton client, ça ne se voit pas encore, mais il est déjà trop tard pour “pointer les processus” ou du moins n’est-ce plus le moment : le bateau coule, la question est plutôt “où sont les chaloupes ? qui va pouvoir être sauvé ?”….
Mais parfois, tu seras appelé par un client (on va l’imaginer représenté par son DRH), qui a encore un peu de temps (c’est à dire un peu d’argent), qui croit que ça peut encore changer et qu’on pourra éviter le naufrage. Il sait que ses managers ont besoin d’aide, il guette les demandes de coaching… il tente même parfois de faire une proposition, après avoir détourné, à force de ruse et d’opiniâtreté, les miettes d’un budget déjà “rationné”…. mais attention, soyons prudents … ça pourrait être mal interprété ! Mal interprété par le futur coaché (“on veut me montrer la sortie ?”), mal interprété par le coach (“quoi, on m’utilise !”)… Ca devient compliqué, mais tant pis…. Alors avec d’infines précautions, il propose au collaborateur de rencontrer deux coachs susceptibles de répondre au mieux à sa demande et à la situation… On avance vers le cap du premier entretien… ouf ! passé… il obtiendra alors un premier engagement du manager : choisir son coach !… malheureusement, tout allait trop bien…. la ronde infernale des rendez-vous annulés au dernier moment, reportés, manqués, ne tarde pas à se mettre en place. Même l’ascenseur est complice : il est tombé en panne quand le coach est venu rencontrer le “N+1″… rendez-vous manqué pour le coach qui s’est levé à 5h du mat pour prendre le premier TGV (“A long long way from Lacanau…”). Horreur, fureur, envie de tout casser….
Ce que le coach n’imagine pas forcément, c’est que le DRH est tout autant en colère, furieux et désespéré de constater que “ce n’est touours pas le moment”…. ou pire : “il n’y a rien à faire, le bateau fonce tout droit vers un iceberg que personne ne veut voir”…
Variante possible de cette histoire : si, d’aventure, ce DRH est un éternel optimiste, croyant qu’il va bien finir par y arriver (sans se rendre compte que le temps passe), cela peut donner deux ans de rendez-vous de loin en loin, pour “raviver la flamme”… et puis la rupture fatidique intervient, d’autant plus dure qu’elle a tardé et runiné les derniers lambeaux de rêves qui restaient au client-roi qui se meurt….
Dure réalité. Pitoyable client. Pauvre coach, ni mécanicien, ni magicien, ni courtisan… alors… fou du (client-) roi ? Rudoyé, malmené, moqué… mais…
… Mais tellement utile ! Appartenant à la famille des grands dérangeurs d’une humanité toujours prompte à s’installer dans une histoire qu’elle s’est raconté pour éviter l’inconfort d’évoluer. Diseur de vérité, ouvreur de chemin, luttant contre vents et courants de pensées… en avance d’une Scoop ou d’une histoire… sa vie n’est pas une sinécure… mais, lui, il est humain à plein temps….
Enfin tout ça, ce ne sont que des histoires que se racontent les clients….
“Tenir son impatience en laisse” dit Allan Holmgren, praticien narratif et néanmoins danois.
Le sens que l’on accorde à une histoire crée un « esprit », une « atmosphère », s’accompagne de « signes » qui génèrent à leur tour un nouveau sens au sens que l’on accorde. C’est ce second niveau de sens créé par celui qui raconte qui ouvre de nouvelles perspectives de compréhension sur ce que l’on est en train de raconter et permet de se déterminer sur plusieurs types d’actions : ce que je peux dire ou non, ce que je peux faire ou non, ce que je peux penser ou non.
Par exemple, la notion de coaching dépend de la signification que le mot crée lui-même dans l’esprit de celui qui l’entend. Il crée du sens et c’est ce sens qui détermine la manière dont chacun se positionne à l’égard de ce mot. Pour certain il voudra dire, « diriger », pour d’autres « conseiller », pour d’autres encore «thérapie», pour d’autres enfin «mentoriser »…Le coaching permet de se représenter un problème de manière conceptuelle. Et par rapport à ce problème, de se demander « quelle est la question que je me pose ? » et à travers cette question « quelle est l’histoire de cette question ? ».
La manière de se présenter produit du sens, et le coach narratif est le plus à même de se poser cette question : quel sens est-il produit lorsque je me présente comme cela à telle communauté, à telle personne ou à telle entreprise ? Quelle est l’histoire que l’entreprise (se) raconte à partir du sens qui est produit ? Qu’est ce que cela peut dire de ce qui est important pour elle ? etc…
En coaching narratif, de mon point de vue, le maître mot c’est la curiosité. Tout le temps, à tous les sujets. Curiosité sur toutes les réponses données dans l’entreprise ou la communauté interrogée de manière à l’aider à connecter ce qu’elle raconte avec ce qui est important pour elle : l’aider à produire du sens. « La curiosité, c’est le soin » dit Foucault.
De quoi parlez-vous ?
Avec quoi ce que vous me dites est en relation ?
Quelle est l’histoire qui se cache derrière ce que vous me dites ? Derrière les préférences que vous affirmez ?
Qu’est ce qui vous a amené à faire ce choix ?
Quelles sont vos expériences qui sont connectées à ces choix ?
La vie est composée essentiellement de compétences de vie mais celles-ci ne sont pas forcément des connaissances. La connaissance c’est le sens que l’on donne à ces expériences que l’on raconte sous forme d’histoires ou de récits.
Faire raconter l’histoire du problème, puis l’histoire des choix effectués pour faire face ou échapper à ces problèmes, puis demander aux membres de la communauté ou de l’entreprise de relier les deux, crée toujours une prise de conscience, crée le sentiment de voir les choses différemment, de se sentir différent.
« Se sentir différent, c’est vivre différemment et agir différemment » dit Maturana. Mais tout cela ne sont que des interprétations : « Il n’existe que des interprétations. La connaissance est l’interprétation des interprétations » dit Nietzche.
C’est pour quoi on peut considérer qu’en tant que coach narratif, la recherche de la vérité est vaine puisqu’il s’agit d’une lutte entre différentes interprétations. La notion même d’histoire dominante ou d’histoire préférée peut être interrogée car ce sont des interprétations.
Pour autant, il existe des « trous » dans chaque interprétation, de même que des réciprocités. Des trous de sens. Des plis, selon Deleuze. Des absents implicites selon Michaël. Des présences non visibles dit Allan Holmgrem, compagnon de longue date de Michael lorsqu’il était vivant et coach narratif depuis 20 ans.
Le job du coach narratif est donc d’aider à rendre des actions, des idées, des histoires visibles dans l’entreprise et moins d’enquêter et de ramener quelque chose qui serait absent même si c’est implicite.
Si l’on rapporte cette idée au concept d’identité : ce que nous sommes, n’est qu’une interprétation, un ensemble de sens, de conscience de significations ou de sentiments. Nous ne pouvons appréhender cette identité de manière globale du fait même de l’existence de trous. C’est vrai aussi pour une entreprise. Et c’est par l’action que nous remplissons ces trous. Nous produisons par l’action ce que nous sommes. L’identité n’est pas une construction mais une « production » dit encore Allan Holmgrem.
Ainsi, de mon point de vue, le job du coach narratif commence par le choix qu’il effectue dans la manière qu’il a de se présenter et de présenter sa démarche – et il en faut bien une.
Ensuite, il s’agit d’aider l’entreprise à recenser ou mettre à jours des faits, des expériences et à les relier sous forme d’histoires, de récits. Le bonheur dépend du nombre d’histoires que l’on peut se raconter et de la manière dont elles s’accordent entre elles. Les problèmes apparaissent lorsqu’il y a conflit ou rupture de sens entre ces histoires ; on peut parler de dilemme. Le job du coach narratif est d’aider l’entreprise à identifier et comprendre ces dilemmes.
Article rédigé à partir des histoires merveilleuses que nous contât Allan lors d’un séminaire lumineux.
Bruno
Et bien, c’est peu dire qu’il y a du beau monde qui vient nous rendre une petite visite à l’occasion de ce thème ! L’objectalisation de l’autre, c’est vraiment le coeur du sujet. Avec la production de l’autre comme objet et sa reproduction dans la relation avec le coach. L’histoire dominante de performance qui voudrait faire du coach à la fois un mécanicien, un magicien, et un courtisan. Comment ne pas se prendre les pieds dans ces multiples casquettes ?
Bonjour Pierre,
merci pour cet article instructif – et bien narré 🙂
Je ne suis pas sûr que le marché du coaching soit en baisse en valeur absolue. En revanche, il faut bien admettre que l’offre est en hausse, avec beaucoup de nouveaux formés dans les écoles de coaching. Et la phase commerciale a toujours été inconfortable pour les coachs indépendants, obligés à un exercice mixte (vendre son service, montrer comment on travaille).
Peut-être aussi votre mésaventure est-elle en rapport avec des éléments conjoncturels : une certaine montée du niveau de violence relationnelle, que l’on peut sans doute relier à l’incertitude quant à l’avenir, aux tensions, aux peurs (d’être licencié, placardisé, etc) dans les organisations. De quoi exacerber les comportements de petit chef…
Au delà du de la relation “business” qui fait du coach un prestataire de services, c’est l’objectalisation de l’autre dans la relation qui pose problème en ce monde hyper-connecté, hyper-instantané, hyper-métrics-é.
Dans mes coachings à moi, le mandataire et le client sont une seule et même personne, qui s’auto-finance le coaching et qui veut avoir pour son argent. Aussi, les questions du “c’est combien, combien de fois, pendant combien de temps” me font penser la dose de moi que je vais mettre dans la pesée, et la tare à part… Et ceux clients là ne manquent pas ! Et leurs budgets ne sont pas restreints. Chefs de petite entreprise qui ne connait pas la crise et veut être plus grosse que le boeuf, salariés chèrement payés qui s’ennuient ou se font “harceler”. Enfants rois. Petits Princes râtés.
Puis, aujourd’hui, ma cliente renchérit :
– Je fais comme nous l’avons travaillé : je suis sortie de ma coquille, je suis en lien, je fréquente plusieurs réseaux sociaux et sociétés secrètes, et pourtant, toujours rien de concret !
Je la regarde interloquée. Elle ajoute :
– Cela fait donc deux mois. Combien de temps devrai-je encore miser ?
Je ne sais pas si le client est roi, mais qu’il est nu… ça je le vois bien !
Qui est le roi ? ou la Princesse ?
Cela me fait penser à Cendrillon qui mange les miettes sous la table, mais finalement son “Prince” sait bien la reconnaître entre toutes. C’est bien elle sa Princesse.
Le coach n’est donc t-il pas le Roi ?
Tout est une question de posture, donc de regard. Le coach sait bien jouer son rôle, mais il ne dévoile pas nécessairemnt son jeu. A qui sait le reconnaître, il trouve chaussure à son pied, et justement cela tombe bien !
Bises
Véronique
Je vois avec beaucoup de plaisir que des collègues, et non des moindres, ont commenté ce post. Je pense aussi qu’il s’agit d’un problème qui se pose à la fois en termes éthiques et économiques, et que l’économie est souvent la principale ennemie de l’éthique, surtout en période de vaches maigres. J’ai bien aimé cette allusion au “Vendredi” de Michel Tournier, un livre que j’ai adoré dans les années 70, à l’époque où je l’ai lu. Cela m’a donné envie de le relire. Cette question sur la pureté me rappelle aussi un autre livre que j’ai lu à la même époque, « les mains sales » de Sartre, qui raconte aussi une histoire de pureté et l’oppose à l’efficacité. Il me semble que ce débat dépasse nos petites histoires de coachs pour s’enraciner dans des questions beaucoup plus vastes sur la morale de l’action…
J’adore, Pierre, la pureté de ta démarche.
Elle me rappelle une conversation que j’ai eue avec un de mes profs de coaching qui m’avait poussée dans mes retranchements pour conclure : “Bref, tu cherches la pureté”. Je n’aurais pas osé le dire mais j’en avais convenu. Il attendait ça pour me lâcher cette citation de Michel Tournier dans Vendredi ou les limbes du Pacifique : “La pureté, c’est du vitriol”.
Je l’ai reçue comme un jet de vitriol au visage. J’avais adoré le roman de Tournier et je détestais cette phrase qui… vitriolait la pureté en me mettant si mal à l’aise.
Mais j’ai rouvert Vendredi ou les limbes, retrouvé la citation. C’est celle du capitaine du navire ou d’un membre de l’équipage, d’un marin assez grossier en tous cas, au narrateur. Mais justement, le narrateur qui aime la pureté est le seul membre de l’équipage qui survit au naufrage et revient raconter l’histoire.
Alors oui, la pureté ça décape. Mais ça met sur la bonne voie.
Je ne suis pas sûre que l’intégrité du coach survive à un traitement aussi grossier que celui que tu racontes. Alors le « game over » était sans doute la meilleure voie avec ce client. Tu as réussi mieux que ce que tu cherchais : quitter vite. C’est moins toi qui as été condamné à ne pas entrer, que le client qui s’est condamné à ne pas travailler avec toi.
Il reste, certes, à affiner la différence particulièrement ténue avec le coaching, entre un prospect qui n’attend pas d’être coaché, et un client engagé dans un coaching. Et aussi, comme l’écrit Daniel, à accepter d’ignorer ce que ta remarque a pu produire de changement dans cette entreprise.
Pour nous, plutôt que se couler dans un système corrompu et couler avec lui, mieux vaut l’aventure hasardeuse et douloureuse, mais vivante, qui conduit à rencontrer Vendredi dans les limbes du Pacifique.
Affectueusement,
Juliette
La Stratégie de la bienveillance (c)
Comment s’y prend le système de pensée dominante pour rendre le coaching acceptable dans les entreprises ? il fait passer le coaching pour une aide au développement, quelquefois à l’adaptation des collaborateurs, pour une aide à la performance, éventuellement au bien être du manager ; ce faisant, il “psychologise” et situe les difficultés chez le coaché. Le coaché est “traitable”. Même si l’on connait le plaisir et la richesse du changement individuel, le changement ne concerne pas l’entreprise dans ses modes de fonctionnement, ses crispations, ses histoires dominantes, qui nécessite me semble-t-il un travail collectif sur la culture et les systèmes organisationnels.
Lorsque tu proposes d’aider l’entreprise à prendre conscience de ses processus et la confronte à ses pratiques, j’ai bien peur que ce ne soit pas l’attente… de ton prospect qui pourrait y voir une remise en cause de son rôle et de ses méthodes.
Et du coup pour ne pas situer le problème chez lui, le situer … chez toi en te renvoyant dans tes baskets de coach.
Je propose que ton post soit étudié dans les différentes école de coaching pour en tirer trois belles dissertations : 1) jusqu’où respecter le cadre de référence du client ? 2) un très bon coach peut-il faire des erreurs ? 3) le conflit avec vous peut-il faire évoluer votre client à terme ?
bises
daniel
“Le client est roi”, c’est pour cela qu’il nous paie, pour être confronté : vous vous rappelez le fou du roi payé pour se moquer des travers de la cour !
–> J’assume cette posture et les habits depuis peu (rire), je dois juste trouver mon Roi hi hi.
Un prospect lui n’a rien demandé, mais s’il accepte une rencontre, il ne peut pas feindre d’avoir oublié qu’il rencontre un Coach lol Encore que …
Par contre je constate souvent que les prospects (DRH, DG, Dir Commercial etc.) ont perdu l’habitude d’un rapport d’égal à égal confrontant, où le verbe est posé comme la pensée et parfois l’émotionnel !
Oh my God, comment osez-vous ?
Et bien, je coach donc je suis ou j’essuie (rire)
Il y a peu une entreprise a préféré me missionner en CDD, j’avais des doutes. Puis j’ai compris, elle pensait pouvoir museler ma posture : raté lol J’ai préféré ne pas poursuivre la période d’essai.
Quand tu viens avec une histoire, une autre vision/paradigme de l’entreprise, avec ton Toi Complet (sans masques), il n’est pas étonnant de constater la somme d’énergies colossales dépensées rien que pour avoir un RDV. Et quand tu as le rdv, transformer en missions. Et en mission, rappeler le cadre, la posture et la déontologie du Coach. En permanence c’est une bataille pour préserver le cadre. Et puis il y a toujours ce débat entre obligation de moyens et obligation de résultats. Pouf pouf pouf, trouvez l’intru
Bref l’entreprise est malade, elle veut des sauveurs, des outils magiques et nous rappelons que nous sommes la pour l’accompagner à trouver ses propres solutions, à faire par elle-même et donc à ouvrir les yeux sur ses contradictions (et cela peut faire mal). Elle veut et en même temps elle ne veut pas, courage fui …
Et puis parfois, je donne des coups de pieds au cul ou je rappelle que j’existe en tant qu’identité indépendante, et cela énerve lol
Bref cela vous rappelle quelque chose ? Moi, mon travail personnel …
@Tony
Synchronicité : voici un article qui tombe à pic, juste au moment où je discute avec un prospect étranger un contrat (de formation) qui comporte quelques clauses qui me semblent bien léonines…
Quoi qu’il en soit, ton article montre aussi qu’on ne peut pas coacher un client contre son gré et lui mettre le nez dans… son histoire dominante. Il met aussi en évidence la différence de posture (pas toujours souhaitée par le coach, surtout s’il est imprégné de l’approche narrative) entre la phase commerciale et la phase de “production” !