La Narrative est-elle soluble
dans les micro-cartes ? (2ème partie)

clapton-knopfler

Ma métaphore personnelle des cartes narratives est plus liée à la musique populaire qu’à l’espace.

C’est une métaphore de guitariste : il existe dans le blues des grilles d’accords que connaissent tous les musiciens et sur lesquelles chacun est libre d’improviser, qu’il soit saxo, bassiste ou pianiste, en contact permanent avec sa musique intérieure et en contrepoint du chant déployé par le client. Que l’on soit dans l’univers de la randonnée ou dans celui de l’impro musicale, les cartes, les grilles d’accords, ont une fonction métaphorique certainement utile, mais ne disent rien sur le pays, ne font résonner aucune musique.

« Maps » sera bien malgré lui le livre-testament de Michael White mais il n’était absolument pas destiné à poser un point final sur son chemin de chercheur-randonneur, c’était un cadeau généreusement fait à tous ceux qui souhaitent utiliser les idées narratives dans le cadre de leur travail d’accompagnement. C’était un partage infiniment riche et généreux des trésors que Michael White a découverts avec ses clients tout au long de son chemin de thérapeute. Il propose ses cartes avec modestie comme des métaphores qui l’ont énormément aidé, sans jamais se poser en détenteur ou en propriétaire d’un quelconque savoir.



Mais du coup, ceci remet sur les micro-cartes un coup de projecteur supplémentaire,
surtout en France où, lorsque sa traduction sera terminée, il s’agira d’un des 4 seuls ouvrages disponibles sur l’approche narrative* et certainement le plus didactique. Donner aux cartes narratives plus d’importance qu’elles n’en méritent, c’est passer à côté de l’essentiel, c’est condamner les jeunes praticiens à faire éternellement des gammes au lieu de faire de la musique. De nombreux praticiens, et non des moindres, ne les ont jamais utilisées ou ne les utilisent plus. On peut citer David Epston qui compose ses questions de façon à résumer l’étape précédente (et même parfois les 3 ou 4 étapes antérieures) dans la question suivante** . On peut citer Stephen Madigan qui se concentre sur la localisation politique et philosophique de chaque question et explore inlassablement la question de savoir : « pourquoi posons nous les questions que nous posons ? »

J’imagine un enseignement de la Narrative où les cartes joueraient un rôle technique mais secondaire, articulées autour de l’intention centrale d’épaissir une riche histoire alternative, travail de « reauthoring » (redevenir auteur) considéré comme le plexus solaire de toutes les cartes, chacune des autres étant un affluent qui viendrait nourrir et épaissir ce travail de reauthoring, soit en explorant l’origine sociale et relationnelle des compréhensions intentionnelles alternatives et préférées (remembering / regroupement), soit en replaçant les problèmes dans le contexte culturel qui les détermine (externalisation), soit en identifiant une exception et en l’élargissant jusqu’à ce qu’elle débouche sur le paysage de l’identité, soit enfin en proposant à des témoins extérieurs de « refléter » l’impact du récit alternatif du client sur leur propre vision de leur vie (cérémonies définitionnelles). Et en gardant toujours au centre la puissance de la narration, la métaphore de la vie comme texte, la recherche de la compréhension intentionnelle là où règne la tradition des mécanismes intérieurs, l’accompagnement du client dans son propre projet éditorial.

Les références théoriques et les textes viendraient dans un deuxième temps se greffer sur cette architecture pour l’éclairer et l’enrichir, mais peut-être uniquement à l’usage des professionnels de la relation d’aide (thérapeutes, coachs, infirmières, éducs spés, travailleurs sociaux…) qui veulent se consacrer de façon plus poussée à introduire dans leur pratique les idées narratives. Stephen Madigan écrit en substance dans un échange récent : « enseigner la narrative ressemble beaucoup plus à enseigner la peinture que des formules mathématiques. La Narrative est une forme d’art dialectique qui nous apprend à écouter la relation de pouvoir et à construire nos réponses à cette relation au delà de la souffrance. Elle explore ce que le thérapeute amène dans l’interaction et pourquoi. Elle fait la synthèse des découvertes dans beaucoup de domaines de réflexion post-structuraliste sur la connaissance de la relation humaine. C’est complexe et c’est beau. Et cela nous donne une très grande responsabilité ».

C’est ce genre d’idées que j’ai envie de mettre au centre de la Fabrique Narrative, centre d’enseignement et d’échanges sur l’approche narrative que nous lançons à Bordeaux d’ici quelques jours.

* Les trois autres sont à ma connaissance « Les moyens narratifs au service de la thérapie » (Satas) qui date un peu, « Comprendre et pratiquer l’approche narrative », rédigé par un collectif de praticiens français et à paraître chez Interéditions en septembre prochain, et un livre que je suis en train de terminer, dont le titre n’est pas définitif et qui sortira en octobre ou novembre.
**J’ai fait un post « australien plus détaillé sur le séminaire auquel j’ai participé avec lui l’hiver dernier.

Une réflexion au sujet de « La Narrative est-elle soluble
dans les micro-cartes ? (2ème partie)
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  1. Ceux qui ont pu voir Michael White à l’oeuvre, par exemple dans ses vidéos d’interventions narratives, ont pu constater qu’il ne suivait presque jamais la structure des cartes de manière linéaire, séquentielle. Au contraire, il jonglait littéralement avec les catégories de questionnement, passant d’une question “de regroupement” à une question “pour redevenir auteur” ou à une question “d’externalisation”.

    Ce qui me semble le plus puissant pour garder le cap au cours d’une conversation narrative, au-delà des micro-cartes que l’on peut garder dans un coin de la tête (ou pas), c’est cette posture de journaliste d’investigation, qui cherche à comprendre de manière authentique ce que le client a fait dans telle ou telle circonstance, et ce qui était important pour lui à ce moment-là.

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