Ce qui me frappe depuis le début de cette Conférence est le point auquel les entreprises semblent appartenir à un univers parallèle.
Les champs couverts vont de l’homosexualité aux traumas, sur les hommes en prison, les communautés rescapées des génocides, les hopitaux, les écoles, mais en évitant le lieu d’où s’exerce le pouvoir absolu sur notre monde et qui est lui aussi un lieu social et communautaire : les entreprises.
A part un workshop ce matin sur une méthode appelée “appreciative inquiry”, qui présente des similitudes intéressantes avec ce que nous faisons à la Coop RH sous le nom de “formation narrative”, et aussi des différences encore plus intéressantes qui représentent autant de pistes d’amélioration de notre méthodologie, il n’y a rien sur l’entreprise. C’est l’absent mais implicite du discours social qui se préoccupe d’accompagner les souffrances aux marges, dans les lieux où le tissu social est déchiré, brûlé ou inexistant. Mais il y a une thérapie de la normalité, ou plutôt une conscience de la souffrance des personnes au travail, des cadres, des dirigeants qui en dépit de leur intégration sociale apparente, de leurs moyens financiers qui semblent les mettre à l’abri de la précarité, de leur enracinement dans une identité qui se présente comme stable, se trouvent au point exact où le maximum de pression est exercé sur eux. A ce point où leur identité préférée fait le grand écart avec les prescriptions du pouvoir moderne qui sont véhiculées par la culture managériale ambiante. Je pense que nous sommes particulièrement bien placés en France pour proposer des réflexions pertinentes sur ce champ, car les praticiens narratifs français viennent pour une bonne partie d’entre eux du coaching professionnel et ils peuvent se permettre d’expérimenter les idées narratives sur le terrain des entreprises à la faveur de la connaissance qu’ils ont de ce terrain et de la confiance que leur font leurs clients. Et à chaque fois que nous intervenons en entreprise avec des projets narratifs d’accompagnements d’équipes, de l’ensemble du personnel ou d’individus, nous assistons au développement collectif d’histoires et de compétences qui aident à changer, à dépasser une crise ou tout simplement à se maintenir dans une dynamique de création.
Ma petite idée, cher Pierre from down under, est que précisément ce monde de l’entreprise est vécu comme tellement cynique que les souffrances qui s’y développent sont finalement le prix à payer du capitalisme ambiant, “it’s a given” me disent souvent mes interlocuteurs. Ce que j’interprète comme la vie des entreprises est ainsi faite que trahisons, alliances, coups de poignards, rivalités quotidiennes, échecs et succès se succèdent au jour le jour et plusieurs fois par jour pour créer un contexte des plus anxiogènes. Mais d’après ce que tu nous narres dans ce blog australien, cette mesquinerie, cette “plus grossse des pires infamies du business” n’est que finalement que peu de choses face aux souffrances des maladies incurrables, des désespoirs sociétaux et autres maladies de nos temps présents soi disant modernes… Et que ces souffrances-là méritent des méthodes et protocoles psychologiques bien avant de s’appliquer au monde de l’entreprise. Mais courage, l’histoire nous a montré que ce qui naissait dans la vie tout court finissait par pénétrer le monde de l’entreprise.