ÊTRE AUTEUR DE SON PARCOURS PROFESSIONNEL

Par Noellyne Bernard

Comment accompagner les salariés et les chercheurs d’emploi à dénicher des histoires alternatives suffisamment fortes ? Comment de façon pragmatique pourrait-on contribuer à relier les espoirs et les rêves de ces candidats, dans ce monde si inquiétant?

Des histoires collectives, dominantes, écrasantes, informent notre représentation du monde économique :
• Il y a un taux de chômage plus élevé que jamais et nombre d’individus sont sans travail, très difficile de trouver un job,
• Les usines, les entreprises ferment, les unes derrières les autres, y compris celles qui versent des dividendes à leurs actionnaires,
• L’entreprise ne peut plus garantir l’emploi,
• Il faut partager le travail, et être compétent,
• Il faut aménager le temps de travail, le réduire, l’augmenter …
• Il faut se reconvertir, il faut être mobile, il faut changer, il faut s’adapter, être flexible…

Comment ne pas conforter et soutenir ces histoires dominantes qui contribuent à plonger les salariés dans un futur sombre, candidats au coaching, au bilan de compétences, en recherche d’emploi ou porteur de projet ou autre, que je rencontre ? La relation de chacun avec ces histoires l’empêche d’envisager librement et aisément la suite de son parcours professionnel. Le devenir professionnel de chacun appartiendrait à l’entreprise, à la croissance, à la société, aux politiques …

Comment les accompagner à dénicher des histoires alternatives suffisamment fortes ? Comment de façon pragmatique pourrait-on contribuer à relier les espoirs et les rêves de ces candidats, dans ce monde si inquiétant ?
Il existerait une histoire, dans laquelle, il serait possible et simple, pour chacun, de changer, d’avoir une activité professionnelle, un emploi, (salarié ou pas), indépendamment de sa formation, de son âge, de ses expériences, de ses aptitudes, de son métier, de l’endroit où il habite, de son sexe, de son origine … de façon à réaliser, de manière durable, le potentiel que chacun a en lui, cette histoire alternative aurait comme nom : l’employabilité. Cela permettrait à l’individu de s’éloigner du contexte dominant, de se procurer un espace pour prendre en compte ses idées et ses convictions propres, son identité à travers ce que pourrait être son parcours de travail … j’essaye de mener des conversations dans ce sens.

La question est devenue pour moi : Comment les individus peuvent –ils devenir acteurs (auteurs) de leurs parcours professionnel ? Comment peuvent- ils regarder, cette question de leur devenir professionnel en se détachant du contexte politico-socio-juridico-économique ?

Je m’appuie sur des travaux de collègues coachs systémiques suisses qui travaillent en permanence à faire évoluer un questionnaire individuel autour des thèmes de ses propres ressources, des perceptions de chacun à l’égard de son ouverture au changement, de sa flexibilité, de son réseau, de sa carrière …etc. : un solide appui pour démarrer la conversation, quand le candidat a déjà démarré sa réflexion à partir de ce questionnaire.
Quels changements observe-t-on à l’issue de la conversation narrative ? Quels sont les effets sur la question : être auteur de son parcours professionnel ?

Je peux dire que, la plupart du temps, le coaché/client se connecte avec une possibilité de réorienter le regard qu’il porte sur son parcours, ceci est l’effet classique d’un entretien narratif mais spécifiquement sur ces questions de mobilité, d’agilité, de compétences. Ce nouveau regard qu’il porte sur lui-même va le soutenir et l’aider en se détachant des histoires dominantes, à se projeter dans le futur, à accepter une situation, … il va sentir qu’une liberté existe pour lui. Il ne s’agit pas d’une simple forme de connaissance de lui-même d’apparence réaliste, il ne s’agit pas non plus simplement de donner du sens pour lui-même- encore que cette nouvelle histoire sur lui-même pourrait le soutenir et l’aider dans un moment compliqué à vivre – mais bien de lui permettre d’être acteur dans le contexte soit de son entreprise, soit d’une autre entreprise, soit d’une recherche d’emploi, soit d’un tout autre projet professionnel.

Il ne s’agit pas évidemment pas non plus de remplacer une histoire dominante “dysfonctionnelle” pour l’individu par une autre dominante “plus fonctionnelle”. La question est de savoir si la nouvelle vision du parcours professionnel sera « utilisable » dans la sphère sociale extérieure à ce contexte de l’entretien : l’entreprise, les entreprises, les organismes de formations, Pôle Emploi, la famille, les enfants …
Bien sûr il s’agit de relation, de la relation que l’individu entretien avec sa vision de son parcours et c’est bien sur cette vision, restituée par le questionnaire suisse, que l’entretien démarre. Libérés de l’influence des idées qui font vivre les histoires dominantes, ces conversations, modifient le point de vue de chacun à l’égard de son emploi et de sa façon de s’y sentir, ou d’en chercher un autre, ou d’en créer un. A l’issue d’un entretien, je ne manque pas l’occasion de visualiser comment ce point de vue a évolué. Comment l’histoire d’employabilité s’est glissée peu à peu comme une alternative ?

Attention cette histoire peut fait peur, elle annonce des individus « libres », et donc pour les entreprises :
• Accepter d’avoir des salariés acteurs, autonomes, voir libres
• Co-élaborer des parcours professionnels, s’engager sur la mobilité, les formations …
• Participer et être co-responsable –garantir ? – l’employabilité des salariés,
• Accompagner réellement des plans de départs volontaires,
• …
De nombreuses histoires à déconstruire, encore … et des projets nouveaux à accompagner à construire par les entreprises elles- mêmes et par les individus !

Chaque semaine depuis l’automne, je fais partager aux entreprises, aux associations, aux services publics, aux organisations syndicales, aux consultants, aux coachs, cette façon d’avancer sur ces questions. Chacun trouve la démarche intéressante, porteuse de sens, voir opportuniste … mais les histoires dominantes sont là, elles veillent au grain !! « pas à l’ordre du jour », « pas de budget », « pas de temps », « trop individuel », « pas assez spécifique », « plus tard » … et en même temps le nombre de chômeurs, de plans de départs volontaires atteignent des records !!
L’idée n’est pas de livrer une nouvelle vérité, ni d’établir de nouvelles fondations pour penser ces questions, mais plutôt un nouveau moyen d’enrichir nos façons d’accompagner des individus et les pratiques des entreprises, un point de vue, une perspective, une façon d’échanger, de parler de l’Employabilité.
Employable ne fait pas écho à jetable, substituable, mutable, déformable, corvéable, exploitable mais à durable, équitable, honorable, valorisable, respectable ! C’est exactement pour cela, que cette question m’intéresse … et que j’essaye d’avancer !

« Je ne suis parvenu à aucune conclusion, n’ai érigé aucune frontière pour entrer ou pour sortir, pour séparer l’intérieur de l’extérieur : je n’ai pas dessiné de limite : comme les multiples activités du sable changent la forme des dunes pour leur donner une nouvelle forme demain, ainsi je veux participer, accepter la pensée en devenir, ne définir ni commencement, ni fin, n’établir aucun rempart ».
A.R.AMMONS Carson’s inlet ( La Crique de Carson)