L’histoire collective est la suivante : Nombre de formateurs, de coachs, de consultants, de cabinets spécialisés, d’experts, de profs « forment » au management et bien sûr les entreprises achètent, les institutions dédiées financent, et les managers sont formés…
Dans cette histoire chacun, tente de croire ou pas, à l’efficacité, voir à l’efficience de la formation au management. La représentation de ces formations, commune à toutes les parties prenantes repose le plus souvent sur : Comment agir et communiquer avec les autres, en situation de management, Comment déléguer en motivant, Comment organiser le travail, son temps, Comment développer des comportements efficaces, Comment gérer ses émotions, Comment adapter le style de management à la situation, Comment donner du sens. Voir comment devenir un manager coach …
Dans la pratique, de ceux que nous accompagnons, nous entendons, des histoires individuelles, de souffrances au travail, de violence, de dysfonctionnements, de « burn out », de « bore out », de pressions devenues intolérables, alors que les managers sont formés continuellement au management. Formés, ils ont acquis les compétences de manager, les compétences du référentiel … l’un d’entre eux que je revoyais après 3 ans d’interruption, et avec lequel j’ai des conversations concernant son devenir professionnel, m’a dit récemment, alors que j’évoquais un programme de formation au management : « il faut sans doute que je redouble ».
Bien que formés, le plus souvent les histoires racontées par les managers ne sont pas de belles histoires, avec des gens heureux. Continuer à former ou pas au management, dans cette inefficacité permanente ? Une histoire alternative à celle de la formation au management ? Je vous entends d’ici mes chers collègues … les systémiques, les analystes, les sophrologues, les pédagogues, les brillants consultants, les coachs … il y aurait les bonnes et les mauvaises formations, certaines histoires racontent qu’elles apporteraient déjà au mieux, un peu de réconfort, de soutien, de méthodes, d’outils ; que tout dépends de l’entreprise … Que n’ai-je pas déjà entendu, en confirmant refuser d’animer des formations de « Gestion du stress » !
Alors former au management ou pas ? Cette question est une question ancienne pour moi, à laquelle j’ai choisi le plus souvent, de répondre non. En participant à Zurich, à une journée d’ateliers, avec des managers, dont le thème était « le leadership courageux »1, j’ai compris comment les histoires alternatives à celles de la formation au management, peuvent exister. Une compétence inexistante dans les référentiels : le courage d’être soi-même. Avec quelle émotion, ces managers « courageux » ont rapporté des histoires dans lesquelles ce courage les avaient porté à être des managers, ils étaient connectés à travers elles, à leurs ressources personnelles, éloignés de la peur.
Il ne s’agit pas d’une simple forme de connaissance d’eux-mêmes, il ne s’agit pas non plus simplement de donner du sens pour eux-mêmes, il s’agit, bien qu’étant dans l’entreprise, d’avoir le courage d’être soi-même et de manager avec le premier des outils : soi- même, authentiquement. Le paysage de l’identité et le paysage de l’action reliés, rien de plus authentique ! Comment accompagner les managers à avoir ce courage ? Ceux avec qui j’ai eu des conversations rapportaient que leur légitimité ne venait pas des ouvrages de management ou des formations qu’ils avaient pu avoir ou recevoir, mais de qui ils étaient, en toute modestie et dans le respect des autres. Leurs histoires racontaient, le courage d’être soi-même, « c’est aussi avoir confiance en soi et donc être en capacité de faire confiance aux autres ».
En écho, j’avais toutes les histoires de peur, entendues le plus souvent … et ces peurs, seraient elles nourries par les formations au management ? les compétences à acquérir ? les évaluations ? Je n’ai pas la réponse, mais j’ai vu combien, se connaitre soi-même, donne le courage d’être soi- même et permet d’instaurer des relations aux autres différentes. Ce courage donne une légitimité au manager, il lui permet d’instaurer la confiance, et chacun y gagne, même l’entreprise ! Qu’est ce qui pourrait donner envie aujourd’hui à un manager d’être courageux ? Entendre, voir, lire des histoires comme celles que j’ai eu la chance d’entendre la semaine dernière … avoir envie d’être authentiques, comme bien sûr ils savent l’être ailleurs, comme leurs histoires personnelles savent leur donner cette ressource. Mener des conversations narratives … Les managers préfèrent- ils continuer à « redoubler » ?
Chère consœur,
Dans une interview accordée à un journal californien, “L’histoire du présent”, Michel Foucault déclarait avoir sa propre morale basée sur trois principes (1). Le premier de ces trois principes, un que Michael White n’a jamais cessé de mettre en oeuvre en tant que thérapeute et avec tellement d’application, est celui-ci : ne jamais rien tenir pour acquis. Contester ce qui se présente sous le masque de l’évidence et qui va de soi.
Au nom de ce principe je vais donc contester la partie de votre billet qui compare votre vision du management et du leadership, le courage d’être soi, avec celles des autres acteurs traditionnels que vous énumérez.
Le fait que la comparaison gouverne les relations entre les êtres humains, soi avec soi, soi avec les autres, les autres entre eux, est une pratique qui va d’elle-même au point qu’il est difficile d’imaginer à quoi ressemblerait un monde sans elle. À quoi ressembleraient des relations dans lesquelles la propension à comparer aurait disparu ? Et par quoi remplacer cette habitude ?
Comparer c’est se donner à soi-même un pouvoir, celui de l’évaluation, s’éloignant ainsi de la parité qui honore les différences entre nous et ne crée pas de séparations.
Souvenez-vous du modèle carcéral inventé par Jérémy Bentham, le Panoptique : les prisonniers se croient surveillés en permanence et pour entretenir cette croyance ils doivent être soigneusement séparés les uns des autres par des cloisons qui les empêchent de communiquer entre eux. Diviser pour régner.
Le Panoptique est la métaphore que Michel Foucault utilise pour figurer le pouvoir moderne. Comparer, c’est créer des séparations artificielles. Le pouvoir moderne c’est l’économie de la police et de l’armée : chacun devient son propre gendarme.
La subversion du pouvoir moderne commence peut-être par l’effacement de ce qui fabrique des séparations artificielles et invisibles entre nous, exemple la comparaison de nos supposées meilleures pratiques avec celles des autres. Par quoi remplacer cette habitude relationnelle ? Chacun trouvera sa propre réponse et cela sera parfait.
Je n’ai pas trouvé plus subversif, voire plus révolutionnaire, que d’accepter mes consoeurs et mes confrères tels qu’ils sont, avec les différences manifestes qui existent pourtant entre nous.
Certes, le leadership invite à penser que pour diriger des êtres humains réunis par une entreprise, il est indispensable de posséder quelques savoirs.
Certes, chaque époque, chaque culture, de Marc Aurèle à Ken Blanchard en passant par Géronimo, produit son “discours” sur le management et sur le leadership.
N’est-ce pas parfait ?
Qui dit savoirs, dit dispositifs, dispositions, pouvoirs et business. Des écoles forment à l’acquisition des connaissances et des compétences nécessaire pour diriger et exercer son leadership. Des consultants évaluent et conseillent. Des coach accompagnent, des chercheurs innovent et des conférenciers s’expriment sur le sujet. Tous sont imprégnés par le discours sur le management et le leadership.
N’est-ce pas parfait ?
Accepter ces discours et ces personnes telles qu’elles sont, avec des différences de vues entre nous qui sont parfois immenses, est un défi difficile à relever mais vous possédez les qualités, talents, facilités, capacités et connaissances pour y parvenir.
Comment changer le monde tout en acceptant les autres tels qu’ils sont ?
“Une des questions centrales à laquelle nous devons nous confronter est celle de la transformation des postures rebelles en postures révolutionnaires qui nous engagent dans un processus radical de transformation du monde . La rébellion est un point de départ indispensable, une explosion de la juste colère, mais elle n’est pas suffisante.”(2)
Narrativement vôtre,
Stéphane
(1) Interview with Michel Foucault by Michael Bess, History of the Present 4 (Spring 1988), p. 1
(2) Paulo Freire – “Pédagogie de l’autonomie” (2006)
Courage des manageurs authentiques, courage des coachs de ne pas participer à la normation (super mot !), courage des prescripteurs, éthique collective du courage, tout cela m’inspire. Notre civilisation manque à tel point de courage. Car il nous en faut pour passer le cap de la post-modernité.
J’ajouterai pour contribuer à cette belle réflexion lancée par Noëllynne : le courage de l’action collective et notre accountability de coach sur ce sujet. Je suis toujours surprise de constater que les cadres, qui sont en premières lignes des souffrances professionnelles ne sont pas organisés collectivement pour faire entendre leur voix et leur vision.
Le courage du manageur est alimenté par la force de son histoire préférée, qui ne peut exister toute seule dans son coin. C’est en partageant des histoires alternatives de management, en les pensant en action collective et non en action isolée qu’elles pourront prendre vie et puissance. Les coachings, formations et accompagnements au management privilégient souvent une approche centrée sur la personne, un « developpement personnel ». Si celle-ci est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Notre responsabilité est alors de laisser de la place à l’action collective qui a presque disparu des entreprises, étouffée par une histoire dominante d’individualisme et la bureaucratie syndicale.
Merci, Noellyne, pour ton article et d’avoir partagé tes réflexions! Et merci à toutes les autres idées….
Ce que tu évoques me fait penser aux “formations narratives ” lancées par Pierre et notre équipe de formateurs/coachs et de managers dans l’entreprise, il y a qq années et qui ne cherchent plus à donner des “outils de management”, dont les gens sont si friands et qu les obligent à redoubler, voir re-tripler, mais plutôt les aider, en suscitant des récits de leur propres vécus, à connecter à leurs histoires préférées, (et donc, courage, valeurs, missions, principes etc) de management…et d’en tirer les enseignements pour aller vers un management qui est en accord avec ceux-ci…
Personnellement, ceci m’a aidé à rester formatrice , et non normatrice, dans ce domaine…
Quel beau sujet, merci encore!
Elizabeth
Merci à vous trois, de ces commentaires très chouettes.
@Christophe : tu as raison, le courage est plutôt une notion philosophique et quasiment jamais traitée dans les manuels de managements… Rendre le courage contagieux, concrètement ça commence, pour moi, par des individus courageux, des équipes courageuses qui sauront montrer tout l’intérêt de cette authenticité et du coup (@Laurent) ils seront en mesure d’être en résistance. A Zurich, ils ont été honorés, ils ont racontés aux autres, ils étaient 100 !! Une très belle façon de “rendre contagieux”, merci encore à mon ami Michaël de Suisse qui avait organisé cette rencontre authentique.
Salut Noëllyne et merci pour cet article.
Je te rejoins sur le fait que les formations en management me semblent souvent non seulement peu influentes (car elles ne sont pas histoirisées par les gens) et parfois dommageables (car les gens se trouvent encore plus mal de ne pas réussir ou de résister à mettre en œuvre ce qu’on leur dit en formation du “bon manager”).
Pour ma part, le point de départ des accompagnements (et non en effet “formations”) en management que j’assure, c’est souvent “quel manager tu as envie d’être, et quand penses-tu l’avoir déjà été ?”, (et non “quel manager normalisé tu dois devenir” qui est l’implicite de multiples formations existantes). Et ce qui sort souvent, oui, ce sont des histoires de courage.
J’ai expérimenté 2 “points chauds” à cette approche.
D’abord, pour poursuivre ce qu’écrit Florence, que le prescripteur-payeur soit assez éclairé pour accepter ce type d’approche pour un de ses salariés.
Et ensuite, ce sur quoi il ne faut pas être dupe, c’est que, dans un système normalisé et malade comme le nôtre, si le manager-client fait preuve de courage et donc ainsi, souvent, va à l’encontre des normes dominantes, ça peut certes contribuer à l’aider à “redevenir auteur de sa vie”, mais ça risque certainement aussi de lui attirer des emmerdements pour la suite avec les autres acteurs normalisés.
Grand merci, Noëllyne, pour ton article courageux, car authentique. De tout cœur avec toi, car je ne pratique pas la formation pour ces mêmes raisons (je serais restée prof sinon). A quoi bon ajouter de la “matière”, du “faire” ou “comment faire” additionnel aux sacs à dos des managers qui ont droit à ces apports conceptuels et comportementaux sous le prétexte fourre-tout du team-building Un arsenal de techniques extérieures aux personnes, inintégrables en l’état et ce, malgré les jeux de rôle, les exercices en binômes ou trinômes, les ateliers applicatifs. Peu envisagés et proposés dans ces journées menées souvent tambour battant: le retour à l’être, le centrage, l’alignement, l’authenticité dont tu parles. On se rapprocherait du cœur- d’où vient courage, c’est à dire du centre de l’être et principe fondateur de toute action ou compréhension vraiment vécue. Les récits des participants leur éviteraient de s’endormir en écoutant les démonstrations théoriques du “programme”, ils s’en inspireraient les uns des autres comme rôle model, référent, nouvel ami… Et, en se surprenant à narrer ce qu’ils ne savaient pas vibrer- se considéreraient individuellement d’un autre œil- estime de soi retrouvée.
je crois en cette évolution, même si l’on voit les objections qu’elle peut susciter- absence de matière, où sont les délivrables, les feuilles de route? La mission de recentrage sur l’être, seule sujet d’évolution et d’intégration valide, est là. A nous de rester centrés et authentiques aussi pour en faire passer l’absolue nécessité.
Merci Noëllyne je trouve ton questionnement très éclairant. il me permet de faire un lien avec un livre dans lequel je viens de me plonger qui s’intitule ” La fin du courage” de Cynthia Fleury, (philosophe). Il y est beaucoup question de courage politique et de courage moral..! ” si l’homme courageux est toujours solitaire, l’éthique collective du courage est seule durable”. Comment rendre le courage contagieux pour lutter contre les effets de l’individualisme ?
Merci et à bientôt
Christophe