Le voyage de vie

voyage de viePar Dina Scherrer
J’ai découvert, il y a quelques semaines, un nouvel outil narratif passionnant et très efficace qui s’appelle le VOYAGE DE VIE. C’est un outil que l’on doit à David Denborough, tiré de son livre « Retelling the stories of our lives » (re-raconter les histoires de nos vies). Le chapitre concerné s’intitule « Life as a Journey : Migrations of Identity » (La vie comme un voyage : migrations d’identité). Un grand merci à Antonia Benque, une collègue qui s’est formée aux Pratiques Narratives avec nous à Paris, qui nous a fait découvrir ce passage du livre de David et qui l’a traduit en français, avec le regard final d’Elizabeth pour nous le rendre accessible.

Tout comme l’Arbre de vie, il y a quelques années, j’ai tout de suite été séduite par cette nouvelle métaphore qui est un beau moyen d’aborder la vie comme un voyage. Et comme tous les voyages, il y a des chemins parcourus et des chemins encore à parcourir. Il y a les compagnons de route, les lieux que nous avons envie de visiter, les obstacles qui se sont mis sur notre chemin, des souvenirs que nous allons garder, les chansons qui nous ont accompagnés, etc.

J’ai tout de suite eu envie de l’utiliser, ce que j’ai fait depuis, notamment avec un adulte en transition de vie, avec une jeune fille déscolarisée, avec un groupe classe sur la confiance et l’orientation. Et je suis fascinée par la richesse de ce que cela a produit à chaque fois.
C’est un moyen très efficace pour libérer l’expression, faire raconter et re-raconter des histoires et entrer de plain-pied dans les expériences de vie très rapidement. Parfois, c’est difficile d’entrer dans l’expérience et de faire raconter des histoires. Le voyage de vie est une métaphore propice pour évoquer des histoires de vie. Chronologiquement, elles viennent toutes seules, toutes les histoires de vie, les belles et les moins belles. Mais quand on évoque les moins belles, c’est sous l’angle de : « comment les a-t-on surmontées, contournées, dépassées ? ». Quant aux belles expériences, elles vont nous renseigner sur les valeurs, les espoirs et le sens qu’elles ont pour les personnes. On remplit au fur et à mesure son Kit de survie qui regroupe tout ce que l’on a appris, développé en chemin et qui nous a aidés.
Ce que permet le Voyage de vie : entrer très rapidement dans les expériences/histoires de vie. Les compétences, qualités, valeurs sont immédiatement illustrées par les expériences racontées. On a accès automatiquement à ceux qui ont croisé notre chemin, aux témoins de ces expériences, donc au club de soutien. On remplit son Kit de survie en route et quand on a fini la conversation, on a abordé beaucoup de sujets de manière fluide et naturelle. De plus, ce je que j’ai pu constater, c’est que c’est dynamique ; la métaphore du chemin met les personnes en mouvement et ça ajoute une notion de temporalité très intéressante.
Une fois le Kit de survie bien rempli, on peut se retourner vers le chemin à parcourir et voir ses rêves et projets plus accessibles. On peut anticiper les obstacles qui peuvent survenir en se sentant plus fort pour les surmonter.
C’est une belle alternative à l’Arbre de vie. Avec l’Arbre de vie on est principalement dans l’histoire préférée, il a clairement pour intention de recenser tout ce qu’il y a de précieux pour la personne pour pouvoir se sentir plus fort face aux épreuves de la vie. Le Voyage de vie a cette même intention mais aborde plus de sujets et notamment les moments difficiles. Il permet également d’intégrer de multiples métaphores liées au voyage. Il faut dire qu’une mission d’accompagnement avec une personne, c’est déjà un voyage que l’on fait ensemble et qui nous amène d’un endroit à un autre, vers un désir, un objectif. Donc c’est très naturel, pertinent et évident dès que l’on parle de voyage, de chemin. Et puis, quand on voyage, on peut prendre plusieurs chemins : le chemin professionnel, le chemin scolaire, le chemin de vie, etc.
Une belle boussole aussi pour le praticien narratif car, à travers le voyage de vie, on retrouve et on reste en lien avec toutes les intentions narratives.
Je dirais presque que si j’avais une seule séance à faire avec une personne, je lui ferais faire son voyage de vie car il permet d’aborder : passé, présent, futur, ressources, problèmes, rêves, projets, club de soutien… On documente et on repart avec son voyage de vie que l’on va pouvoir raconter et partager, si on le souhaite, quand on le fait en groupe.

 Exemple : le voyage de vie de Margaux
Margaux a 17 ans. C’est une jeune fille extrêmement intelligente, vive et pleine de projets pour sa vie. Elle a une famille aimante qui la soutient, des amis fidèles. Tout pourrait aller super bien pour elle si « Crise d’angoisse » ne s’était pas invitée dans sa vie brutalement quand elle était en 3ème. En seconde, cela a eu pour effet qu’elle s’est retrouvée déscolarisée malgré elle. Cette année, elle en a redoublé sa 1ère. Margaux arrive parfois à retourner en cours comme récemment quand son ami Dylan est venu la chercher.
Nom du voyage : Chemin de l’épanouissement
Cercle de soutien, mes compagnons de voyage, ceux sur qui je peux compter : papa et maman (très présents, ouverts, très à l’écoute), Aliénor, Dylan qui prend régulièrement mes cours, Capucine, Zayat, famille au sens large, Shana, Mme Z. (ma professeur de maths que j’adore), Fabrice (un surveillant qui m’a soutenue), Mme L., les mangas…
Les valeurs qui me guident (comme une boussole, elles éclairent mon chemin) : combativité (même quand j’étais mollusque à la maison, j’ai toujours fait des choses), éducation, famille, amitié, honnêteté, sincérité.
Mon kit de survie : sophrologie qui a contribué à apaiser mes angoisses, rêveuse, pâtisserie, mangas, musique, coloriage, sport, autonomie (étudier seule à la maison), amitiés, guitare, motivation personnelle, force d’argumentation et de conviction (quand on a voulu me renvoyer du lycée et que j’ai argumenté pour qu’ils me gardent), sincère, courageuse, sensible, moi-même, un fond de confiance, combative, expressive, savoir demander de l’aide (parler, dire ce que je ressens à ma famille…).
Les lieux que je veux visiter, mes rêves, mes projets : être heureuse, voyager, faire la fête, avoir le bac S, intégrer l’Insa de Strasbourg, avoir mon permis.
Les bons souvenirs, les cartes postales de mon voyage : la découverte du monde des mangas, la pâtisserie (quand je fais de la pâtisserie je ne pense à rien d’autre, j’aime que ce soit bon et beau), l’amitié (ceux qui sont restés, qui m’ont aidée, Dylan qui m’amène tous les jours mes leçons et qui passe me prendre quand je sens que j’ai la force d’aller en cours, cela a renforcé notre amitié), le rapprochement avec les personnes (ce voyage de vie m’a fait grandir et cela m’a rapprochée des autres, je suis plus attentive aux autres, j’ai des discussions plus profondes avec eux).
Un message que j’aurais envie de transmettre sur ce que m’a appris ce voyage : mon expérience, ce que j’ai réussi à mettre en place qui pourrait peut-être aider d’autres jeunes. Ne jamais rester seule, savoir aller chercher de l’aide. 

Méthodologie du voyage de vie
Prendre une grande feuille et dessiner un chemin. Au milieu du chemin, dessiner un cercle. À gauche du cercle, le chemin correspond au « chemin parcouru », à droite du cercle : le « chemin à parcourir ».

1ère partie –   D’où vous venez

Le chemin parcouru – Se tourner vers le passé
Notez sur le chemin parcouru d’où vous venez (un peu comme les racines de l’arbre de vie), les éléments importants : lieux, personnes, origines…
En fonction de ce que l’on a à travailler avec la personne : quelle est votre histoire professionnelle ? Votre histoire scolaire ?
Qui a voyagé avec vous ? Quels sont les cadeaux que vous portez avec vous tout au long de ce voyage ?

Le cercle de soutien – Qui sont vos compagnons de voyage ?
Notez dans le cercle qui sont ou ont été vos compagnons de voyage (en vie ou dans vos cœurs) : des personnes, des groupes, des communautés, des personnes de différentes générations, des figures spirituelles, des amis imaginaires, des héros, des animaux… Selon vos souhaits, ajoutez des photos ou des caricatures. C’est votre club de soutien.

Valeurs, croyances, principes
Tout autour du cercle de soutien, écrire les valeurs clés, les croyances, les principes qui ont guidé votre voyage de vie. Ces valeurs sont comme notre boussole. Elles nous guident dans notre chemin. D’où viennent ces valeurs ? Qui nous les ont transmises ?

Lieux favoris
Tout au long du chemin parcouru, listez ou dessinez les lieux favoris où vous vous êtes déjà rendu.
En fonction de ce que l’on a à travailler : les moments favoris, les entreprises où l’on a été heureux, les moments scolaires que l’on a aimés.

Les étapes importantes
Tout au long du chemin parcouru : quelles sont les choses essentielles que vous avez accomplies ? En dessiner deux. Comment ont-elles pu être accomplies ? Qui a participé ?

Les obstacles surmontés, les rivières traversées
Tout au long du chemin parcouru : dessinez une montagne ou une rivière pour symboliser deux obstacles que vous avez surmontés au cours de votre vie (vie professionnelle, scolaire…), indiquez comment vous avez réussi à surmonter, contourner les obstacles et comment vous avez traversé la rivière. Comment y êtes-vous parvenu ? Qui vous a aidé ?

Kit de survie – Vers quoi on se tourne pour prendre des forces
En haut de la page, dessinez votre kit de survie. Il contient ce qui vous a aidé dans les moments difficiles. Vers quoi on se tourne pour prendre des forces ? Ce peut être des valeurs, des compétences, des personnes, des habitudes, des traditions, des croyances, des proverbes, des chansons, des ressources…

2ème partie – Aller de l’avant

C’est le moment de se diriger vers l’avenir, le chemin à parcourir
Notez sur le chemin à parcourir : les rêves, projets, espoirs que vous avez pour votre vie (comme les branches de l’arbre de vie), racontez-moi ces espoirs. Depuis combien de temps avez-vous ces espoirs ? Comment êtes-vous resté attaché à ces espoirs ? Qui vous a aidé ?

Les lieux que vous souhaitez voir, visiter
Tout au long du chemin à parcourir : nommez les lieux que vous souhaitez visiter, les endroits où vous avez envie de travailler, les écoles où vous voulez aller…. Les pays où vous voulez aller…

Les choses que vous voulez entreprendre
Tournez-vous vers les étapes importantes que vous avez déjà accomplies et inscrire 3 futures étapes importantes à atteindre pour vous. Ce doit être des objectifs atteignables que vous souhaitez réaliser.

Les cadeaux que vous souhaitez offrir
Considérez les cadeaux que vous avez reçus et notez sur le chemin à parcourir les cadeaux que vous souhaitez offrir ou partager. Il peut y avoir des cadeaux non reçus que vous souhaitez transmettre.

Obstacles à dépasser et rivières à traverser
Sur le chemin à parcourir : dessinez une montagne pour symboliser un obstacle que vous (ou des personnes que vous aimez) pourriez avoir à surmonter et une rivière que vous pourriez avoir à traverser.
Comment saurez-vous identifier les moments où ces défis surviendraient ? Comment est-ce que vous et votre cercle de soutien ferez pour empêcher, contourner ou dépasser ces difficultés ? Écrire les réponses à côté des obstacles. Comment resterez-vous fort face aux problèmes ? Regardez votre Kit de survie. Est-ce que vous vous servirez des mêmes outils ? Ou de quoi d’autre ? S’il y en a d’autres, les ajouter au Kit de survie.

Chansons du voyage
Quelles sont les chansons que vous entendrez au cours du voyage ? Notez sur le côté de la feuille les chansons que vous prendrez avec vous. Les chansons qui vous font du bien, qui vous donnent de la force, qui vous mettent en énergie.
Pourquoi ces chansons en particulier ? Quel sens leur donnez-vous ? Quand vous les écoutez, qu’est-ce que cela permet ou vous donne comme espoir ?
Vous pouvez faire un enregistrement de ces chansons pour les écouter quand vous en aurez besoin. Vous pouvez ajouter ces chansons dans votre Kit de survie.

3ème partie – Regarder votre voyage d’en haut, comme un aigle

Souvenirs agréables
Quels sont les bons souvenirs que vous emporterez avec vous dans l’avenir ? Dessinez des étoiles colorées tout au long du chemin à parcourir pour les représenter. Décrire ces bons souvenirs, inclure les images, les bruits, les odeurs, les sensations.
Qui a joué un rôle dans ces souvenirs ? Pourquoi ces souvenirs sont-ils précieux pour vous ? Qu’ont-ils à vous offrir ou à offrir à votre cercle de soutien ? Qu’est-ce qu’ils continueront d’offrir à l’avenir ?
Inscrire les réponses à l’intérieur ou à côté des étoiles.

Donner un nom à votre voyage
Donnez à votre voyage un nom qui symbolise le nom que vous donnez à votre voyage de vie.

Message à autrui
Repensez à votre voyage. S’il y avait quelque chose à partager avec une jeune personne qui serait au tout début de son propre voyage, un message, un proverbe, une histoire, une chanson, qu’est-ce que ce serait ?
Quelle serait une leçon apprise que vous souhaiteriez transmettre ?

18 réflexions au sujet de « Le voyage de vie »

  1. Super dina cela correspond en tout point avec un projet en construction ou l’accompagnement rime avec voyage , beaucoup de choses se mettent en place grace à toi , plusieurs éléments s’associent par rapport à mes expériences passer qui me conforte dans mon choix et mes aspirations .
    Merci aussi pour cette rencontre hier à Toulon, à bientôt 😁🌳🌺

  2. Merci Dina pour ton partage.
    Ce processus du voyage de vie m’inspire alors je l’expire.
    Je saurai dorénavant le proposer à mes clients en coaching et en thérapie.
    L’aventure narrative continue 🙂

  3. Merci Dina d’avoir attiré mon attention sur cet article qui éclairera ma pratique de Biographe narrative. C’est une super clé pour déclencher souvenirs et mémoire et le fait de prendre de la hauteur par rapport à son chemin de vie peut redonner au narrateur une vision globale du chemin passé, présent et qui sait l’aider pour le futur. Bravo !

  4. J’adore. Tout. L’outil bien entendu. Mais surtout le geste.
    Je pense à l’énergie et au temps consacrés à la publication de cet article.
    Sous titre en filigrane : “cadeau”. Le don qui n’attend rien retour est un des actes les plus positivement subversifs qui soient. Et parmi ceux dont je suis éternellement admiratif. Subversif et contagieux.
    Que cette contagion se répande, qu’elle donne envie de donner pour le plaisir de donner, à d’autres, encore et encore. Bravo pour l’outil mais surtout pour votre générosité inconditionnelle. Elle possède le pouvoir de faire du monde un endroit plus agréable à vivre.
    Bises

  5. Merci Dina, pour ce travail minutieux de transmission.
    Sur mon propre voyage de vie que je viens de retrouver (je me l’étais fait à moi-même avant de l’utiliser avec d’autres), j’avais aussi dessiné la boussole de la voyageuse : à la place de N, S, E et O, j’avais mis à l’époque L, R, G et E (Liberté, Résistance, Gentillesse et Espièglerie) !

  6. Merci Dina pour ce partage précis, lumineux et poétique. C’est une belle façon de cheminer dans sa propre vie et de se reconnecter à ses compétences pour mieux poursuivre le voyage . Ce n’est pas sans me rappeler le travail de John Stillman, et sa métaphore du chemin.

    A bientôt…

    Christophe

  7. Dina, merci pour ce précieux partage, cette générosité. Beau chemin à toi

  8. Merci Dina pour ce partage, cela donne vraiment envie de l’essayer…. dès demain 😉
    Cela semble très proche du voyage du héros mais avec la poésie des Pratiques Narratives !

  9. Pour répondre à ta question Pierre, je voudrais tout d’abord préciser que la partie méthodologie que je livre à la fin est directement tiré du livre de David Denborough qui m’a autorisé à le reprendre pour Errances.

    Ce que j’ai compris concernant l’intention de “anticiper les danger qui peuvent intervenir pour soi ou pour un être cher” c’est “comment se sentir plus fort désormais face à ce qui pourrait nous arriver à nous et comment faire face (toujours nous) à ce qui pourrait arriver à un être cher (un enfant malade par exemple). Pour moi, on ne prend pas la position de l’autre, c’est toujours de nous dont il s’agit. Bise

  10. Merci Dina de ce partage qui invite à l’expérimentation.

    Pour la troisième partie, je regarderai d’en haut “comme un aigle” … et aussi “comme un nuage” 🙂 qui sera un autre filtre !

  11. J’ai adoré ton article, Dina.
    Quel beau travail tu as fait pour nous offrir, clés en main, ce magnifique outil.
    Pour nous transmettre le goût et l’essence du Voyage de vie !
    Je me réjouis de me l’approprier et de l’utiliser.
    Laurence

  12. Formidable, Dina ! très éclairant. le fait de pouvoir intégrer les épreuves et les événements surmontés corrige un point aveugle de l’arbre de vie (Elizabeth avait créé le “compost” avec une de ses clientes). Certain-e-s client-e-s ont en effet des difficultés à passer d’une expérience saturée par le problème à une notion de compétence.

    C’est très généreux de donner un mode d’emploi aussi précis et on se doute bien de la délicatesse qu’il faut avoir dans le maniement de ces questions . Une petite précision : quand tu parles des dangers dans l’avenir, tu écris (“pour soi ou pour un proche”) et je ne comprends pas bien ce changement de perspective qui amène au choix de prendre la position d’un proche plutôt que la sienne. Est ce que tu veux bien m’expliquer l’intention ?

    Si cet article pouvait être traduit en anglais, il intéresserait beaucoup DaviD. Est-ce que le texte traduit par Antonia est sur le Wiki ?

    Je pense aussi que ton outil pourrait apporter un support de conversation en EPHAD et soins palliatifs. Il faudrait demander à Lysiane, Linda, Jean-Luc et quelques autres ce qu’ils en pensent.

    Merci !

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