Par Martine Compagnon
J’ai déjeuné ce midi avec une amie, qui fêtait avec moi sa “libération”.
Employée d’une grosse entreprise qui court à sa perte -faute de marché-, elle venait d’obtenir un départ négocié. Départ rendu d’autant plus urgent qu’elle avait payé il y a quelques mois son décalage avec les pratiques en cours actuellement, d’une semaine de cure de sommeil en hôpital psy.
Elle m’a raconté les collègues partis en congés longue maladie, les humiliations en public, les directives qui n’ont aucun sens sur le terrain, les équipes “détachées” dans une autre filiale (et déménagées sur un site lointain) qui se relèvent pas de la DRH locale et sont invisibles de la DRH de rattachement, les directeurs nommés pour deux ans qui “fichent le bazar” et essorent les équipes, puis partent ailleurs reconquérir de nouveaux galons en laissant la terre aride…
Elle m’a aussi raconté qu’elle avait, au fil du temps, avec la méticulosité que je lui connais, mis de côté mails, traces écrites, témoignages des agissements maltraitants qu’elle avait subi (“parce qu’en plus, ils sont bêtes. Ils commettent des erreurs.”). De quoi constituer un dossier “en béton”, pour porter une action devant les prud’hommes ou contacter un journal complaisant.
“Mais je ne le ferai pas, cela ne m’intéresse pas.”
Je m’étonne. Je me dis que peut-être, dénoncer permettrait de prévenir de tels actes pour la suite.
Elle a alors cette analyse, qui me permet de recontacter immédiatement quelques principes narratifs :
“S’il s’agissait de dénoncer une personne dangereuse, je le ferais. Mais là, il s’agit d’un système. Les personnes placées en poste de direction, qui se montrent maltraitantes envers nous, sont en fait mortes de peur. Qu’est-ce que j’obtiendrais ? De casser une personne qui ne fait que reproduire ce que le système lui applique ? Je suis partie en arrêt maladie, elle est aussi à un moment donné partie en arrêt maladie. Elle subit autant que nous. Dénoncer publiquement dans ces conditions ne sert à rien. J’avais alerté en interne les chargés de la Qualité de Vie au Travail.”
Merci, amie, de m’avoir rappelé que la personne n’est pas le problème ! J’ai souvent tendance à considérer les “big five” comme des adversaires, mais en oubliant que leurs soldats et généraux sont recrutés, eux aussi…
Je bois un verre à la santé de ta nouvelle vie, proche de tes valeurs et honorant tes compétences !
Martine Compagnon, le 11 octobre 2016
Merci de vos retours. Ce déjeuner m’a fait réfléchir sur mon écoute et mes biais d’analyse !!
J’ai remis la diapo des “Big 5” de ma présentation de Nantes pour préciser de quoi il s’agit : des principales histoires dominantes qui traversent l’économie d’entreprise depuis la fin du 18ème siècle. “Obéissance” devrait être remplacée à mon avis par “conformité” qui est plus proche de “compliance”, le terme original. Merci Martine pour ce partage qui va au delà des Big 5 et nous rappelle que la personne, interchangeable, est recrutée par l’histoire problème afin de jouer un rôle dans son système.
Ou comment illustrer le principe même sur lequel repose la Narrative de manière édifiante !
Merci, Martine.