Par Pierre Blanc-Sahnoun.
On entend souvent reprocher aux coachs narratifs de jouer aux psys. Mais que se passe-t-il quand un psy se met à jouer au coach ?
Et pas n’importe quel psy, un clinicien, descendu de l’Olympe du Dieu Diagnostic. Mais Rodolphe ne se lance pas là-dedans sans bagages. Il est, pour celles et ceux qui le connaissent, armé d’une tranquille ironie, d’un œil toujours pétillant derrière sa compétence. Créateur des Journées Narratives Francophones (les 1ères du nom se sont tenues à Genève en 2014), il oeuvre inlassablement pour le rapprochement des praticien-ne-s francophones sous la bannière d’idées narratives éthiques et vigilantes aux rapports de privilège. Dans ce petit ouvrage musclé et compact, il fait entendre une voix bien différente des discours dominants sur le “burnout”. Un mot auquel il substitue un autre terme un peu oublié, comme resté coincé dans l’escarcelle du 20ème siècle : la “démoralisation au travail”.
Comme il l’a expliqué lors de sa magistrale conférence de Nantes en juin (documentée ci-dessus par Fabrice Aimetti), le terme de “démoralisation” a l’avantage d’introduire une dimension morale dans la description d’une histoire de symptôme. Un symptôme, la “souffrance”, souvent située abusivement (et implicitement) à l’intérieur du salarié ou du groupe de salariés. Cette OPA topologique permet de dédouaner les dirigeants de répercuter des pratiques de management “immorales”, ou “a-morales” parce qu’orientées exclusivement vers le profit à court terme. Elle permet aussi de faire vivre tout un peuple de consultants spécialisés en “RPS” qui interviennent auprès des personnes et des équipes pathologisées. Renégocier en “démoralisation” le “risque psycho-social” bien opaque, technique, et dégradant pour le ou la salarié-e ouvre un espace systémique à deux voies. Rodolphe nous parle donc de la démoralisation au travail. Sous la question “le travail est il vraiment la santé?” , il resitue celle-ci dans une longue tradition depuis l’antiquité, de l’acedia à la mélancolie en passant par le spleen et la “drapétomanie”, une théorie pseudo-médicale américaine du milieu du 19ème siècle expliquant par une pathologie le désir des esclaves noirs américains de fuir leur condition !
Et en plus, il nous offre un outil de coaching narratif complet, intelligent et simple. C’est le premier support narratif adapté au coaching, et en plus il est en français, on ne va pas bouder son plaisir ! Sur le modèle de son opus précédent, les “planches narratives pour redevenir auteur de sa vie de couple” (Ed. Chronique Sociale), Rodolphe propose 26 planches (dont certaines qu’il faudra un peu adapter du Genevois 😉 ) dont nous reproduisons un exemple ci-dessous avec l’aimable autorisation de l’auteur (du moins on l’espère).
Ces planches sont des surfaces narratives, comme des écrans où la cliente ou le client sont invités à évoquer et convoquer leurs propres histoires. La porte d’entrée vise le préféré : “ Examinez toutes les planches, dit la consigne, puis choisissez attentivement la planche qui évoque le mieux pour vous un aspect récent de votre vie professionnelle dont vous êtes fier.” mais il est également possible de partir d’une exploration d’une histoire-problème : “ Examinez toutes les planches puis choisissez attentivement la planche qui évoque le mieux pour vous un aspect de votre vie professionnelle que vous percevez comme négatif, comme un échec, un événement qui a produit pour vous un sentiment d’inadéquation et de découragement.” Et qu’est ce que le choix de la planche n°8 comme illustration dit de moi en tant que personne ?
En bonus, si vous ne trouvez pas votre bonheur dans les 26 cartes proposées, il y a une 27e carte avec un dialogue en blanc pour proposer à vos clients d’inventer leur propre planche. On apprécie ainsi aussi les conversations ciselées retranscrites par l’auteur, les nombreux exemples de questions pour avancer à partir des planches, la visite guidée des idées et concepts qui montre une vraie, profonde, et sincère fréquentation de la posture narrative et de son affiliation politique.
Pour nous les coach, c’est un livre à considérer attentivement car il propose une intégration opératoire des concepts narratifs dans des contextes d’organisations. Une invitation à la créativité, une passerelle de plus lancée par les pratiques narratives entre des catégories qu’elles bousculent depuis le début.
<— Rodolphe Soulignac
Quel commentaire !
Je ne peux pas pour l’instant dire “quel ouvrage ! ” car je ne l’ai pas encore ouvert, mais ton article Pierre m’y incite fortement. Il me donne très envie de lire ce qu’écrit Rodolphe et je vais profiter de mon prochain voyage en train. Ce sont bien ces idées-là qui me tiennent à cœur, qui me tiennent tellement à cœur.