J’ai été scotché et ému par la vidéo de Jill Bolte-Taylor dont je parlais ici la semaine dernière. Ce western neurobiologique me fait réfléchir à la toile neuronale sur laquelle nous peignons nos histoires.
Dans un séminaire de Michael White, un participant parlait un jour du “maelstrom” pour désigner l’expérience de vie à l’état brut, et c’est bien de la même chose que parle Jill lorsque son hémisphère gauche, siège de la logique et de la temporalité, se met en rideau à l’occasion d’un accident vasculaire. Elle passe 45 minutes à essayer de distinguer sa carte de visite de la surface de son bureau et à trouver un sens aux paquets de points sous la forme desquels elle perçoit son numéro de téléphone.
Et en même temps, dans cet univers réduit à l’état de pixels privés de toute signification, déconnectés des histoires qui en font des objets familiers et des concepts utilisables, elle entre en contact avec le sentiment de sa vie vivante accordée avec tout le reste de l’univers, ce qui fait aussi penser aux récits d’Aldous Huxley dans “les portes de la perception” (livre culte qui a d’ailleurs inspiré Jim Morrisson pour le choix du nom de son groupe The Doors) et de Timothy Leary expérimentant le LSD dans les années 1964.
D’ailleurs, Jill le décrit avec beaucoup d’émotion comme un état de “nirvana” qu’elle a éprouvé accidentellement du fait de son AVC, du fait de la mise hors circuit temporaire des aires cérébrales où siège le sentiment d’être une entité séparée délimitée par sa peau. Et pourtant, dans le même temps, cette définition de l’individu enfermé en lui-même et réduit à son corps est une représentation culturelle dont la naissance et l’essor en occident ont été parfaitement décrits par Michel Foucault. Il y a là un paradoxe que je n’ai pas fini de mâchonner.
Le récit de Jill me permet en tout cas de mieux comprendre ce que Michael White, à la suite de Jerome Bruner, définit comme “histoire” : “des expériences de vies situées dans le temps, reliées en séquences selon un thème”. La description de la vie perçue sans hémisphère gauche, réduite à des sensations et à des pixels sans signification, donne un aperçu intéressant de ce que peut être l’expérience de vie non mise en récit, maelstrom indicible, terrifiant et protéiforme, expérience inexorablement personnelle et impartageable, mais incroyablement chaleureuse et globale, dissolvant les frontières de notre histoire d’individualité pour nous permettre d’embrasser la gloire de notre conscience qui se déploie dans le sentiment d’unité universelle (là, je cite Jill, ça me fait baver mais je n’ai jamais rien éprouvé de tel).
Notre hémisphère gauche filtre ensuite ces milliards de pixels et pose un cadre fictif, celui d’un individu qui serait nous et à qui il arrive -autre cadre fictif- des événements à un certain moment d’une histoire globale appelée le temps (compétence typique de notre hémisphère gauche) avec certaines choses qui sont labellisées “avant” et d’autres “après”. Une compétence (ou fiction) cognitive que nos enfants acquièrent d’ailleurs à l’école primaire avec des suites d’image à remettre dans le bon ordre.
Ceci offre une vue au ralenti, saisissante, de l’énorme, immense, abyssal fossé qui sépare l’expérience vécue du récit censé lui donner un sens et le rendre partageable avec nos semblables. Il est utile de rester conscients de cette distance énorme où viennent faire leur lit toutes les distorsions culturelles et les histoires de problèmes qui empoisonnent la vie de nos clients. De rester conscients que l’expérience de vie est indicible et que c’est la raison pour laquelle elle est produite -et non relatée- par le récit. Sans entrer dans le débat de la neurologisation généralisée de toute la vie psychique, disons que le récit de Jill fonctionne comme une série de métaphores très poétiques et touchantes qui me permettent de mieux approcher la réalité inexprimable de l’expérience. A moins qu’elle ne touche en moi des souvenirs pré-verbaux dont la violence n’aurait d’égale que la nostalgie de ne plus pouvoir ressentir avec une telle force, les filtres ayant fini par se souder aux capteurs qu’ils étaient censés protéger…
Une expérience Jungienne de rencontre archétypale que JILL décrit merveilleusement à mon sens. ( en fonction de ce que j’ai compris de son anglais qui est très facile à comprendre pour un non fluent, mais quand même)
Mais pour accepter la visions Jungienne, il faut accepter le concept d’inconscient collectif, donc d’inconscient…
Ceci dit, dès qu’on entre dans les résonances des témoignages narratifs , on ouvre cette porte ce me semble,.
Je l’ai vécu encore cette semaine dans un groupe de chefs d’équipe d’une très grandes entreprise de logistiques que rien n’avait préparé à vivre cela…
Lorsqui je leur ai proposé de terminer la journée d’atelier narraitf sur une image et un mot. qui leur venait en se centrant sur leur perception ( cerveau droit) ils ont joués le jeu et lorsque le témoin à pris la parole pour exprimer ce qu’il avait ressenti, la pièce s’est mises à tanguer sous une vague vibratoire intense que tous ont ressentis et pendant laquelle les individualités se sont effacées pour vibrer à l’unisson.
fabuleux et incroyable!!
et pourtant répété si souvent…