par Dina Scherrer
Dina a été bloquée par les intempéries pendant des heures, comme des milliers de parisiens. Les situations extrêmes créent ou recréent de nouveaux types de solidarités. Elle porte un regard narratif sur cette mésaventure, qui ouvre sur la question de savoir si nous avons besoin d’une guerre ou d’une situation de crise pour trouver des fonctionnements alternatifs à l’histoire dominante de l’individualisme et de ses pratiques.
J’ai toujours été mal à l’aise lorsque je dois traverser un espace fermé et obscur. Quand j’étais enfant, nous avions un couloir long et sombre où j’ai ressenti de grandes frayeurs. En voiture, il m’est arrivé de faire un détour de plusieurs kilomètres plutôt que de traverser un long tunnel comme celui de La Défense. La semaine dernière, à la suite d’importantes chutes de neige dans la région parisienne, j’ai passé onze heures dans ma voiture pour faire vingt-cinq kilomètres. Onze heures, dont quatre sans bouger. Dans un tunnel. Je pourrais donc vous faire le récit d’une épreuve horrible. Car, en plus, j’ai eu tout le temps de le voir venir, le tunnel ! Pendant des heures, j’ai vu son entrée se rapprocher inexorablement, sans avoir la possibilité de me défiler, emprisonnée par les voitures qui entouraient la mienne de toute part, devant, derrière, sur les côtés. Et, une fois dans sa bouche sombre, la circulation s’est immobilisée. Quatre heures avant de ressortir. De quoi savourer l’angoisse jusqu’à la panique.
Mais ce n’est pas cette histoire-là que je vais vous raconter. Dans la même situation, quelques années plus tôt, cela aurait été terrible, et j’ai bien senti « l’angoisse du couloir » qui tentait de s’emparer à nouveau de moi, de me « recruter ». Alors, je me suis rapidement mise en « mode survie ». J’ai commencé par repérer les ouvertures possibles pour échapper à cette situation. J’ai localisé les issues de secours. J’ai évoqué l’éventualité de laisser la voiture sur place et de partir à pied. J’ai établi, grâce à mon téléphone portable, un lien avec l’extérieur en appelant tous ceux qu’il m’est possible d’appeler à minuit sans qu’ils me raccrochent au nez… Autrement dit, j’ai fait foisonner des histoires alternatives à celle de la peur du tunnel. Et je me dis maintenant que ce tunnel est une formidable image pour parler d’une histoire dominante qui nous enferme. Créer des histoires alternatives, c’est percer des issues de secours dans le tunnel.
Du coup, j’ai pu vivre et je peux vous raconter une autre version de cette traversée du tunnel. Ce que je garde de cette expérience et qui m’a beaucoup touchée, c’est la formidable solidarité qui s’est mise place pendant cette épreuve. Dès qu’une voiture patinait ou s’enlisait, plusieurs personnes se mobilisaient pour l’aider. Ceux qui avaient de la nourriture ou de l’eau partageaient avec les autres. Des routiers ont pris en charge une mère et ses enfants en panne d’essence. Des groupes de femmes se relayaient pour cacher celles qui avaient une envie pressante à satisfaire. Des journaux et des magazines circulaient de voiture en voiture. Les gens sortaient de leur véhicule et se parlaient, se remontaient le moral spontanément. Les regards qui s’échangeaient parlaient de compassion et de soutien. Le tout en pleine nuit, sous la neige, par -2° de température, sur une autoroute totalement paralysée. Ce qui était parti pour être un cauchemar s’est transformé en aventure humaine.
Les jeunes, les moins jeunes, les familles, les routiers, des personnes qui ne se seraient certainement jamais rencontrées par ailleurs se retrouvaient sur la même route plongées dans la même histoire.
Quant à moi, comme l’angoisse tentait à nouveau de m’envahir, une jeune femme d’une vingtaine d’année est venue taper à ma vitre. Elle m’a dit qu’elle était paniquée, qu’elle avait du mal a respirer. Elle ne le savait pas, mais c’était un peu l’état contre lequel je luttais moi-même. Je l’ai rassurée comme j’ai pu, en partageant avec elle les idées que j’avais élaboré pour aller mieux. Elle ne saura certainement jamais le bien qu’elle m’a fait en venant me parler de son malaise. Car, en la rassurant, je me suis rassurée moi-même.
N’est-ce pas finalement ce que nous faisons tous les jours en coaching : aider une personne qui sans le savoir nous aide aussi…
Oh Dina. Bravo ! J’en ai la chair de poule. Quelle chance vous avez-eu toutes les deux de vous rencontrer. Cela me permet de me remettre en mémoire mes propres stratégies pour échapper à l’innacceptable. Faut-il attendre d’être bloqué au milieu du tunnel pour commencer à se parler ? Bises. Véronique.
Merci Dina d’avoir partagé cette histoire. La prochaine fois que je me sentirai coincé sans possibilité -apparente- de m’échapper, je repenserai à toutes ces ressources que tu as trouvées en toi et autour de toi.
Comme quoi les tunnels sont une belle construction enfermante, et en lisant ton récit prenant, ca me rappelait tous les long tunnels que j’avais traversé dans ma vie et que je traverse encore, avec, maintenant un autre regard.
Merci Dina de cette tranche de vie, de ton morceau de bravoure exprimé en solidarité inconditionnelle. TOP!!!!!!!!
Biz
Salut Dina,
Quelle aventure extra-ordinaire ! Quel talent de récit ! Et comment ce récit nous donne un excellent exemple de l’originalité et de l’intérêt de notre approche narrative !
Merci bcp.
Attention, la neige revient cette semaine !
Bises, Catherine
Merci, chère Dina, de cet émouvant témoignage narratif dans lequel tu nous fais vivre comment tu as su et pu transformer cette histoire dominante et angoissante de tunnel en co-créant des histoires de solidarité, de soutien et de compassion. Bravo !
Laurence
Quelle belle histoire, Dina
Tu as réconforté cette jeune femme qui t’a réconfortée et tu me réconfortes, car je me laisse trop facilement entraîner par les media dans une histoire dominante de violence et d’abus alors que nos contemporains s’entraident si spontanément quand il en est besoin. Ton témoignage me rappelle l’entraide qui s’est manifestée dans les campagnes lors de la tempête de 99
Tu nourris mon histoire préférée de foi dans les hommes. Merci
Ouah! Merci de ce partage qui, lu à froid- paradoxe, restitue une autre réalité, humaine, chaleureuse, que celle dépeinte à l’envi par les journalistes cette fameuse nuit- ambiance de guerre, fin du monde et autre déréliction qui fascinent les JT.
Partage qui donne aussi envie de te tutoyer, Dina, car métaphore évidente avec le breakthrough à la mode anglo-saxonne via la percée que tu as physiquement mise en oeuvre. Il était évident pour toi dans ta vie de te trouver à ce moment précis dans ce franchissement symbolique- et suite à l’avenant. Puis, ironie et amour, tu as gardé la lumière, tu l’as partagée, mieux, tu as attiré à la tienne ton double, la jeune femme apeurée que tu as éclairée. Lumière et intégration….
Plein de soleil pour toi.
je remarque le grande connaissance que Dina a dans son histoire concernant la manière dont sont construis les tunnels et les moyens dans sortir. Une belle manière de retrouver les blancs de l’histoire de Dina relatif au couloir de son enfance.
J’imagine que la jeune femme venue à ta rencontre est maintenant compétente aussi en gestion d’évacuation de tunnel ou d’autre situation similaire de son histoire dominante.
Des bises à tous (ou en es-tu avec les jeunes?)
Jean louis
MERCI d’avoir partagé cette belle histoire de courage et de solidarités narratives.
Génial! j’adore les vraies histoires comme ça.
Merci Dina pour ton partage, pour ton récit personnel et même intime. Je suis sentie très touchée par ce récit de solidarité que tu partages. Jusqu’au fait qu’un autre être humain vienne justement vers toi pour parler de son angoise du tunnel : il ne pouvait pas y avoir de meilleure personne pour ne pas être jugée, pour être accueillir par de la compassion et de l’amour, … d’Humanité, donc.
merci à toi !
Cette histoire me donne la chair de poule ! Non pas à cause des -2° de température ce jour-là mais parce que je t’imagine très bien Dina dans le tunnel avec la jeune femme, vous rassurant mutuellement…
Bises
Merci Dina de ton récit. Quelle aventure ce tunnel “venu à toi” !
Les tunnels n’auront sans doute plus maintenant le même pouvoir sur toi.
Ton angoisse du Tunnel t’a sans doute rendu particulièrement douée pour accueillir ce qui pouvait être bon dans l’aventure et rassurer cette jeune femme. BRAVO
Belle météo pour les prochains jours !