Un double challenge pour moi : les autres se contentent d’essayer de comprendre ce qu’il raconte, moi je dois d’abord comprendre ce qu’il dit. Mais ça vaut le coup de se cramer un peu les neurones : plus grosses étincelles conceptuelles depuis Michael dont il a été l’un des premiers élèves
La notion centrale de son travail est la déconstruction de la notion d’individu, réduit à son corps afin de mieux l’isoler, isolé afin de pouvoir mieux le gouverner. Dès lors, les problèmes rencontrés par la personne sont vécus comme individuels, décrits par un appareil de diagnostic, de nomination et d’enregistrement (dans des fichiers par exemple) qui fabriquent une façade identitaire détachée de la compétence de l’individu à produire sa propre vie.
Persuader les gens que le problème est dans leur tête, c’est détourner leur attention du fait que les problèmes sont fabriqués culturellement et récupérés par les multiples voix internes de l’auto-surveillance et de l’auto-évaluation. C’est leur faire délibérément ignorer, en utilisant toutes les ressources des appareils de diagnostic type DSM ou dérivés (tous orientés vers le profit des industries de santé), que l’individu est relié à de multiples communautés réelles ou implicites qui forgent et soutiennent sa capacité à résister et à à se développer.
Autour de quelles pratiques et compétences le pouvoir moderne construit-il l’identité ? Des pratiques sexuelles ? Professionnelles ? Economiques ? Symptomatiques ? Des pratiques qui définissent des identités pauvres car mono-historiques et figées, et débouchent soit sur l’exclusion, soit sur l’abdication de soi en échange d’une petite place à la table sociale.
Le point auquel les idées narratives sont politiquement incorrectes m’apparaît clairement : en déconstruisant le diagnostic dans le domaine de la psychothérapie ou dans celui du conseil en organisation, on met en question à la fois les « experts » et les institutions qui les utilisent pour renforcer l’idée que les problèmes affectent individuellement les groupes minoritaires, voire même que ces groupes en sont la cause au lieu d’en être les victimes.
Vos échanges me donnent tellement d’espoir que je m’en sens bouleversée.
Oui, exercer sa vigilance pour relever toutes ces habitudes d’étiquetage..
et en délivrer les victimes… avec leur consentement.
Ce 1er pas, qui est le leur, me ramène au respect de leur libre arbitre. A la difficulté d’accepter la liberté après avoir trouvé refuge dans un étiquetage.
Et à ce lent travail d’accompagnement et d’amour, de total respect de l’autre, qui est celui que j’ai choisi.
Merci !
Bonjour Lysiane,
Je crois que même sans “faire de la narrative” (au sens de : appliquer les cartes de Michael White), il nous est déjà possible, en tant que praticiens de la relation d’aide, d’être attentifs à la manière dont nous posons les questions à nos clients, et dont nous reformulons leurs réponses, en positionnant toujours le problème comme extérieur au client, et aussi comme intermittent. C’est peut-être un peu stratégique comme façon de faire, mais ça me semble justifié.
Oui Lysiane, je crois qu’on peut appeler ça du militantisme si on en enlève le côté parti politique organisé et étiqueté. Pour aller dans ton sens, Stephen Madigan disait qu’il n’y avait pas de mot plus cruel que le mot “chronique” dans un diagnostic, parce que c’est un mot qui tue l’espoir et qui enferme définitivement la personne dans cette description “monophonique” de son identité. Comme tout diagnostic d’ailleurs qui s’applique à coller un beau nom bien ronflant et invite à confondre les tentatives de la personne pour résister aux effets du problème avec le problème lui-même.
Bonjour Pierre
je viens de passer un long moment à visiter ce blog et remercie encore Fanny de m’en avoir envoyé le lien!
Tout ce que j’y ai lu me conforte encore un peu plus dans le fort désir de continuer à travailler sur cette voie de la narrative, et ce malgré toute la difficulté qu’elle présente…Malgré mes lacunes, c’est une pratique avec laquelle je me sens bien, et totalement en cohérence avec ce que j’essaie d ‘être.
je voudrais réagir à ce dernier article et te dire combien, il est difficile de procéder à la déconstruction de certains étiquetages, notamment de maladies”dites mentales”.
Je fais de l’accompagnement à l’hôpital st Anne (tu vois on est en plein dedans!), et le premier de mes boulots généralement, est de faire en sorte que la personne ne dise plus d’elle ” je suis schizophrène” ou “je suis bipolaire” etc…
A-t-on entendu quelqu’un dire de lui “je suis un cancer” ou bien “je suis un ulcère à l’estomac”?
De même que quoi de pire que de parler d’une personne et de dire d’elle: “c’est un SDF!”
Donc la déconstruction commence à mon sens, par le langage, le terme employé ou l’expression.
Cela n’a l’air de rien, et pourtant cela change tout!
Enorme chantier en perspective que la déconstruction des diagnostics mais sur lequel je travaille avec mes outils (qui ont encore un grand besoin d’être aiguisés) de praticien narratif.
merci pour ce blog, merci de tes partages et ton “militantisme”. je peux appeler cela comme ça?
Tiens bon le cap pour la suite!
Lysiane