Il ne faut pas bouder son plaisir. Malgré toute les difficultés et les conflits qui ont entaché sa traduction et sa publication en français, l ‘ouvrage testament de Michael White est un chef d’oeuvre.
Michael avait mis au point les cartes de l’approche narrative comme un outil d’enseignement, à partir de l’observation de sa propre pratique, qui était intuitive. Pour cela, il avait installé la métaphore d’une randonnée faite à deux, le client et le thérapeute, un voyage qui les mènerait hors du territoire occupé par le problème, vers l’exploration de nouveaux territoires, où il est “possible de connaître” autre chose que les pistes archi-rebattues du problème.
“Maps”, traduit sous le titre de “cartes de la pratique narrative” et paru la semaine dernière chez l’éditeur bruxellois SATAS (en vente sur son site) propose un exposé clair, souvent émouvant, truffé d’exemples et de réflexions personnelles, de chacune de ces cartes. Mais sa principale valeur, à mon avis, n’est pas dans l’exposé d’une méthode.
Des cartes, il y en a eu, il y en a et il y en aura encore. Il y a bien sûr les classiques (les 5 de base présentées dans le livre), il y en a de nouvelles (les 2 supplémentaires développées par Narrative Practice Adelaide et surtout la carte super-intéressante des “should” présentée la semaine dernière à l’Euroconférence par Sarah Walther, Amanda Redstone et Anette Holmgren) et il y en aura encore (chacun de nous a ses propres cartes de sa pratique et de sa vie et chacun d’entre nous peut traduire une pratique personnelle enthousiasmante sous cette forme, cela n’a rien de sorcier ni rien de spécialement admirable).
Mais ce qui est par contre totalement sublime dans “Maps”, ce sont les transcriptions de conversations. C’est de voir comment Michael White travaillait avec les familles, les enfants, les personnes endeuillées, les “cas désespérés” qu’on lui amenait du monde entier et sur qui il posait un regard d’où l’espoir n’était jamais absent. C’est de voir son style, mélange de bienveillance, d’humour, d’honnêteté, d’élégance et de rigueur. C’est comprendre que les cartes ne sont pas grand chose dans un voyage, juste des éléments de repérage, et encore ; que le voyageur qui ne lèverait pas le nez de sa carte pour se laisser envoûter par les paysages et émouvoir par les rencontres ne bougerait pas de chez lui, même si son corps va à l’autre bout du monde. Lire des transcriptions de conversations de Michael (et encore plus les voir en vidéo, mais je crains qu’il faille désormais faire pour cela le voyage jusqu’en Australie), c’est écouter Eric Clapton jouer de la guitare. Avoir la carte des 6 cordes qu’il utilise et même ses grilles de solo ne suffit pas…
Je me demande ce qui fait qu’il y a tant d’enjeux de pouvoir dans une démarche dont le but est de s’en affranchir (d’après ce que j’ai compris). Devons-nous tous passer par le fournil des passions afin de faire notre pain quotidien? Et qu’est-ce qui fait que “je m’interdise de toucher en moi ce à quoi je m’accroche passionnément dans l’autre”? Pourrions-nous (je veux dire les êtres bipèdes qui se nomment humains) échapper à cette forme de la relation? Et par quels chemins passer?
Merci de ce partage Béatrice, cela correspond exactement aux souvenirs que je conserve moi aussi des ateliers avec lui (j’en ai raconté un sur le site du Dulwick Center, voir ici) , puissent ces histoires inspirer un peu le projet pédagogique de la Fabrique Narrative !
Pierre, merci de mettre le doigt pile sur un aspect majeur de Michael qui explique pour moi une partie de l’admiration et de l’amour qu’il suscitait chez ceux qui le rencontraient : une congruence évidente et indiscutable.
Michael s’exposait dans sa pratique, montrait ce qu’il faisait et comment il le faisait concrètement (dans quels termes et avec quelles émotions), et c’était comme cela qu’il enseignait aux autres. D’abord en prenant le risque d’exposer sa pratique, sa vulnérabilité et celle des personnes qui lui faisaient confiance. La limite qu’il posait à ce qu’il partageait avec les autres n’était pas commandée par le souci de se garder une partie de la recette ou de se protéger, mais celles posées contractuellement avec les personnes qui étaient venues le consulter et avaient accepté de donner une part de leur histoire pour l’aider à diffuser son enseignement.
Bien sûr, il expliquait aussi les considérations théoriques qui soutenaient ses intentions, les observations qui nourrissaient ses métaphores, et leur cohérence interne.
Mais j’ai toujours eu l’impression, à l’entendre, à l’observer ou à le lire, que l’histoire la plus importante, celle qui donnait du sens à sa vie professionnelle, c’était celle qu’il vivait avec ceux qui venaient auprès de lui renouer avec une part de leur histoire préférée .
Michael aimait vraiment les autres, et ça se voyait.
Immense merci pour l’info. Bonne et “utile” lecture pour les vacances et la rentrée !