Savoir poser sa caméra

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Cette semaine a apporté sous plusieurs formes cette idée récurrente que l’un des talents d’un bon thérapeute ou coach narratif est de bien savoir poser sa caméra, c’est à dire trouver le “bon” angle sous lequel regarder les problèmes, et que ce “bon” angle permet souvent à lui tout seul de trouver de bonnes questions narratives.

Hier, une conversation avec mon ami Jean-Louis me remet le nez sur l’idée, que nous avions rencontrée en Australie l’hiver dernier, que la façon de considérer une expérience de vie est conditionnée par la “matrice narrative” que l’on convoque pour lui donner un sens, cette matrice narrative étant constituée d’un ou plusieurs récits disponibles dans notre mémoire liés à notre représentation de cette expérience. Changer l’angle de la caméra, c’est changer de matrice narrative. C’est que que nous invitons nos clients à faire sous le terme de “renégocier le problème”, mais ceci exige de nous une extrême souplesse dans notre propre capacité à percevoir simultanément plusieurs niveaux de la réalité et notamment, le niveau implicite. Michael White appelait cet exercice la “double écoute”.

Ainsi, le jeune fille enfermée dans sa voiture (voir mon post du 4 avril dernier ici) peut être reliée par le thérapeute soit à un récit de dysfonctionnement et de maladie, soit à un récit de résistance constituant une expression identitaire et créative de ce qui est vraiment précieux pour elle dans sa vie. Ainsi, un enfant en proie à une crise maniaque (et rien que cet espèce de diagnostic fait récit) peut être vu comme une victime passive des activités du problème mais également comme un prisonnier essayant de faire passer des messages dans une bouteille jetée à la mer. Ainsi nous-mêmes pouvons-nous nous considérer come des thérapeutes narratifs qui font du coaching pour manger et /ou comme des coachs de dirigeants qui travaillent avec les idées narratives et / ou comme des auteurs qui explorent de nouveaux modes d’expression visant à mieux connaître ce que l’on pourrait appeler l’ingéniérie du sens chez nos clients et chez nous -mêmes. Nous sommes tout cela à la fois et bien d’autres choses (un guitariste qui fait du coaching et et la thérapie ?), mais le choix du centre à partir duquel nous décidons d’organiser notre perception détermine en même temps l’ensemble de notre édifice identitaire et donc des options que nous prenons dans le paysage de l’action.

C’est comme ça que j’ai failli rater jeudi dernier l’accompagnement du CoDir d’un grand distributeur de boissons en prenant le mauvais angle de caméra. J’avais compris qu’il s’agissait d’un séminaire sur les compétences clés des cadres dirigeants des filiales et préparé une série de questions sur des histoires de très bons directeurs de filiales. J’étais un peu impressionné car le séminaire avait lieu au Racing Club de France où les tables sont tellement grosses qu’on ne peut même pas les bouger pour faire des cercles de parole. J’ai commencé à proposer un premier exercice. Puis je me suis dit que je ne savais pas qui étaient ces gens et ce qu’ils voulaient, alors je le leur ai demandé. Et en fait, nous avons fait un séminaire entièrement différent, centré sur le sens que cela pouvait avoir d’appartenir à une filiale dont le principal actionnaire est en même temps le principal fournisseur et quel projet pouvait fleurir à l’intérieur de ce polygone de contraintes, un séminaire plein de récits bouleversants sur les anciens dirigeants mythiques et les succès miraculeusement arrachés à l’actionnaire. L’idée que je retire de cela est que les meilleures indications sur la façon de positionner notre caméra nous sont données par le client lui-même : encore faut-il penser à le lui demander et pour cela, faire taire deux minutes sa peur de ne pas assurer.

Enfin, dernier mouvement de caméra de la semaine, le démarrage des activités de la Fabrique Narrative, notre centre et école de Narrative dont le scénario a été écrit par Christine (voir ici – lien obsolète – le splendide site web développé par Anode et Cathode). Au delà du fait que c’est exactement la structure que je rêvais de monter pour enseigner la Narrative exactement de la façon dont j’ai envie de l’enseigner et de la partager, la fabrique Narrative et sa maison d’édition, l’Entrepôt, font bouger le centre de gravité de ma perception de la Coop RH et l’inscrivent désormais dans une petite galaxie équilibrée dont le conseil en entreprise est le moteur économique, mais qui gravite autour du développement, sous toutes ses formes, d’une certaine philosophie de l’accompagnement, avec tout un groupe de gens engagés qui, des sociétaires de la Coop aux animateurs de l’AEC Aquitaine en passant par des collègues français et australiens (au premier rang desquels Cheryl White qui encourage beaucoup le développement de la Fabrique par ses nombreux conseils avisés), un réseau de narrateurs et de retelleurs, de Brive à Sydney en passant par Belgrade et Cabestany. Et cette façon de poser la caméra me remplit du sentiment joyeux que quelque chose est en train d’émerger en ce moment, quelque chose qui a à voir avec la proclamation de la vie.

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