J’ai déjà parlé ici d’Irvin Yalom, grand thérapeute et écrivain américain. A la page 16 de “la malédiction du chat hongrois” (Galade éditions), ces magnifiques lignes, d’une “narrativité” flamboyante :
“Nous sommes des créatures en quête de sens qui doivent s’accommoder de l’inconvénient d’être lancés dans un univers qui n’a intrinsèquement aucun sens… pour éviter le nihilisme, nous devons nous engager dans une double tâche. Premièrement, inventer ou découvrir un projet donnant sens à la vie et assez solide pour soutenir une vie. Deuxièmement, nous efforcer d’oublier notre acte d’invention et nous convaincre que nous n’avons pas inventé, mais découvert ce projet donnant sens à la vie, qu’il a une existence indépendante “au dehors”.
Pratiquer l’approche narrative, c’est rester conscient en permanence de notre acte d’invention perpétuel, de co-invention de notre vie avec les membres de notre club de vie. C’est honorer cet acte d’invention et ceux qui y participent comme nos ressources les plus précieuses. C’est restituer cet acte d’invention et son infinie créativité à ceux qui viennent nous consulter, désespérés de ne pas découvrir, malgré tous leurs efforts, ce fameux projet qui les attendrait “en dehors”.
Ce que j’ai retenu de Camus, c’est cet énorme effort pour donner du sens à une enfance sans père couché sous une tombe d’appelé de 1914, une mère sourde et analphabète, une grand-mère chef de famille, autoritaire, qui lui faisait lire les sous-titres à haute voix au cinéma, bref, la grande pauvreté sous le soleil d’Algérie et des livres secrètement dédiés à une maman adorée qui ne les lirait jamais… Camus, qui a commencé à conter sa propre histoire dans Le Premier Homme, n’a-t-il pas pratiqué l’écriture narrative, lui aussi ?
Très intéressant le parallèle entre le Sisyphe de Camus et la réflexion de Yalom, voilà un télescopage créatif dont je vous remercie et qui réintroduit en outre un peu de débat de fond dans le sujet. Ceci me fait penser pour ma part à l’idée, chère à Michael White, du “sentiment d’initiative personnelle”, c’est à dire de cette conviction que nous pouvons avoir une action volontaire qui ait certains effets sur notre vie et que dans ce sens là, nous sommes les auteurs de nos vie. Là, il me semble que Camus propose une démarche radicalement différente, assez Niztschéenne, qui passe par le renoncement au sens “commun” et à cette entreprise de création de soi pour trouver dans la lucidité et l’absurdité un sens suffisant et étrangement envoûtant. Mais en se faisant l’avocat du diable, on pourrait dire que l’homme absurde n’est pas, lui non plus, dépourvu d’intentions, d’espoirs et de rêves et que cette revendication d’absurdité en elle-même est une entreprise de sens, de même que si vous dites à un client : “ne pense surtout pas à un éléphant”, il va y penser instantanément. Qu’en pensez-vous ?
A mon tour, merci André de m’avoir donné envie de lire Irvin Yalom… et Christiane Singer, et Jodorowsky et Christian Bobin…
Je connais assez peu Irvin Yalom, mais cette réflexion sur le sens de l’existence me fais penser au philisophe Albert Camus qui dans le mythe de sisyphe définit la condition de l’homme confronté à sa propre obscurité: “sentir sa vie, sa révolte, sa liberté, et le plus possible, c’est vivre le plus possible. là où la lucidité règne, l’échelle des valeurs devient inutile…Le présent et la succession des présents devant une âme sans cesse consciente, c’est l’idéal de l’homme absurde”. Pour Camus, l’homme peut dépasser l’absurdité de son destin par sa lucidité, sa révolte tenace contre sa condition. Il définit le monde dans lequel est plongé son “héraut”, comme « Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »
Vous ne serez jamais assez remerciés de nous, André et vous, Pierre. Je préfère clairement, avec vous, le terme de vous “rendre grâce”, comme nous le disons en Espagnol…
Vous rendre la grâce que vous possédez et qui rayonne autour de vous jusqu’à nous. Quand vous partagez, généreux, vos découvertes, et dévoilez, sincères, vos ressources, et vos difficultés aussi.
Pierre et André, Shalom !
Rendons à César ce qui est à César… merci André de m’avoir fait découvrir Yalom.
Waouhhhh ! Il y a de la concurrence ! ; )
Je plaisante car je ne me retrouve pas dans le concept de fan ou d’admiratrice. Cela a une connotation de rejoindre une masse en délire qui ne me correspond pas. Je reste dans l’intimité de mes lectures, face à un livre, face à un auteur, du face à face, encore et toujours… Et si les faces sont belles, je les caresse des yeux comme je caresse les mots derrière la face.
Irvin Yalom partage aussi quelques photos, pour ses “fans”, à travers Facebook :
http://www.facebook.com/pages/Irvin-D-Yalom/149406245836
Et, en poursuivant ce chapelet, ce à quoi aboutit Yalom dans le Jardin d’Epicure :
“Aussi efficaces que pourraient être certaines idées, elles n’ont de force vitale que si des liens intimes sont établis avec autrui.”
Je ne reprends que cette phrase, en page 32, faisant office d’introduction du châpitre 5 – Surmonter la peur de la mort par la relation aux autres.
Ce livre, et ce châpitre, surtout, a été pour moi mon premier Yalom et mon premier pas, seule, vers l’Autre, sans ne plus chercher à m’agripper, encore hésitante, mais confiante et décidée.
Et qu’est ce que je trouve cet homme beau! Ces éditeurs font bien de le mettre en première page dès qu’on tourne la page de couverture. Cela nous permet d’aller à sa rencontre : il nous regarde et ensuite il nous parle. Il parle à chacun en particulier. Il ne me resterait plus qu’à lui serrer la main, et, je sais qu’il est venu en France, et qu’il ne reviendra pas de si tôt, mais je me laisse la joie de caresser l’espoir de l’approcher un jour…
Superbe texte et une découverte pour moi qu’Irvin Yalom.
Irvin Yalom dans Bourreau de l’Amour, page 109 :
“Mais il ne fit pas de plus grand cadeau que celui qu’il m’offrit peu avant de mourir, un cadeau qui est une réponse universelle à la question : Est-il raisonnable ou approprié d’entreprendre une psychothérapie “ambitieuse” avec des êtres qui sont condamnés ? Lorsque je vins lui rendre visite à l’hôpital, il était si faible qu’il pouvait à peine bouger, mais il leva la tête, me serra la main, et murmura “Merci, merci de m’avoir sauvé la vie”.