“Togetherness”

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“Togetherness” signifie en anglais dont il est à peu près intraduisible quelque chose comme l’état d’esprit de celui qui est tout le temps en contact avec l’idée qu’il fait partie d’une communauté.

Cette très belle idée a émergé d’un séminaire de Comité Exécutif d’une multinationale des produits de la mer, que je facilitais en début de semaine dans un endroit complètement magique : l’Abbaye des Vaux de Cernay, en Vallée de Chevreuse. Cette Abbaye cistercienne du XIIIème siècle dégage une puissante sérénité, une énergie hors du temps, une invitation à la spiritualité. En prime, les artéfacts électroniques du pouvoir moderne n’y fonctionnent jamais, le téléphone ne passe pratiquement pas et le réseau wi-fi ne traverse pas les murs.

Ce qui était très intéressant était de réaliser que ces personnes avaient toutes envie de travailler en équipe mais qu’ils n’avaient pas la moindre idée de comment s’y prendre tant ils étaient dominés par les différents récits experts disponibles dans le monde des entreprises, et qui définissent ce que devrait être une équipe performante, voire même “de haute performance”. Ces définitions normalisatrices forcément écrasantes invitent les membres des équipes à se comparer à des référents d’excellence, que les consultants experts leur proposent de modéliser moyennant honoraires.

Mais lorsque les meilleures histoires d’équipe se libèrent, on se rend compte tous ensemble avec émotion que les pratiques de fonctionnement des équipes ultra-performantes sont déjà en place dans ces équipes et connues de leurs membres, simplement elles ne sont jamais racontées et totalement écrasées par les histoires de “il faut qu’on fasse un team building”. Dans cet espace apaisé qu’est le cercle narratif, les histoires s’échangent librement et en appellent d’autres, rebondissent, la situation devient simple. Souvent, cela commence au cours d’un repas (voir mon post de la semaine dernière) et les échanges d’histoires démarrent autour de références à d’anciens dirigeants ou à d’anciens collaborateurs, leurs histoires résonnant à la fois comme une rémémoration pour ceux qui les ont connus et comme une initiation culturelle pour ceux qui n’étaient pas là. Et ce sont ces propos de table qui me permettent, de retour dans la salle de réunion, de dire : “ah, vous connaissez déjà la méthode, alors !”

L’idée de “togetherness”, état d’esprit qui permet de rester conscient tout le temps que les autres existent et que tout ce que l’on fait a un impact sur eux a émergé comme l’une des conditions essentielles du plaisir qu’ils avaient à vivre une histoire d’équipe, la toile de fond sur laquelle une telle histoire pouvait se construire. C’est un aboutissement du travail de cette équipe. Mais je trouve aussi qu’il a une résonance plus générale et que chacun peut y trouver matière à revisiter sa relation avec le fait de travailler en communauté.

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Cette semaine était aussi celle des funérailles de Véro, dont la mort samedi dernier touche et dévaste directement la petite communauté amicale à laquelle j’appartiens. Depuis longtemps, Véro luttait avec grâce et élégance avec une histoire épouvantable de maladie. Elle était un soleil de tolérance, d’optimisme et d’humour. Elle restera incluse dans le sentiment de “togetherness” qui nous rassemble. Une communauté, ce sont des gens reliés par des histoires, et l’histoire vivante de Véro n’a pas fini ni de nous émouvoir, ni de nous inspirer. Ce post t’est dédié, Véronique, et San Francisco ne s’effondrera jamais.

5 réflexions au sujet de « “Togetherness” »

  1. Hum. Si cela me paraissait déjà difficile en étant dans les murs, ça l’est bien plus 10 ans plus tard, hors des murs. Il y a 15 ans, j’aurai pu obtenir le soutien du management et les entrées nécessaires pour trouver l’information…
    En plus, j’ai aujourd’hui suffisamment de projets d’écriture dont un en cours de réalisation.

  2. Mais Joël, il n’est pas trop tard pour documenter l’histoire de cette communauté. Puisqu’elle existe encore dans les mémoires de ceux qui l’ont vécue, elle peut être racontée sous tous ces angles différents. Il ne dépend que de vous de la recueillir et de la “reteller” sous la forme qui vous paraitra collectivement la plus appropriée. D’autant plus que si j’en juge par un petit tour sur votre blog (http://perinet.blogspirit.com/), le beau style ne vous fait pas peur !

  3. J’ai travaillé dans une grande multinationale, Digital Equipment, pour ne pas la nommer. Une société passée en 30 ans de 3 à 130’000 employés, numéro deux mondial de l’informatique après IBM, et qui est morte en 1999, après une brève agonie financière, victime des rapaces. Il y avait dans cette boite un vrai sentiment de Togetherness, la preuve en est que, 10 ans plus tard, il y a encore pas mal de réunions d’anciens très fraternelles organisées ici ou là.

    Ce qui me désole c’est que rien d’écrit n’est resté de cette belle aventure humaine qui a concentré bien plus d’intelligence que la cour de Louis XIV si bien chroniquée par Racine, Saint-Simon et d’autres… J’aurais aimé, à l’époque, devenir une sorte d’historiographe de cette entreprise. Il m’aurait fallu le courage d’aller voir le fondateur et d’oser lui proposer ce projet un peu fou. Il y avait la distance, les acteurs principaux étaient à Boston, le problème de la langue et quand j’en parlais autour de moi on me regardait bizarrement… mais j’avoue qu’en vous lisant je regrette de ne pas avoir eu un peu plus de culot.

  4. JE pense d’emblée à un autre lieu propice à l’errance, la Grande CHARTREUSE, où les moines ont choisi de se retirer du monde pour s’y plonger totalement, dans le silence presque total, La vie s’y déroule dans un esprit absolu de Togetherness : les gestes du quotidien et les échanges d’une demie-journée par semaine viennent pour donner à l’autre l’indicible visage de l’attention . N’oublions pas qu’avant d’être une équipe , nous sommes des hommes qui se racontent des histoires, … ensemble.

  5. Un des derniers projets de ma vie de drh était de faire écrire à chaque
    membre du personnel (y compris les pensionnés encore vivants) son
    anecdote-souvenir de la société et d’en faire ensuite un livre de société
    … sorte de reflet de vie d’équipe, point de rencontre aussi des
    différentes générations

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