Archives pour la catégorie Publications

REDEVENIR AUTEUR

Un article ultra-classique et lumineux sur le reauthoring, démarche la plus centrale des pratiques narratives, extrait des notes d’atelier de Michael White publiées en septembre 2005 sur le site du Dulwich Centre et traduit de l’anglais par notre ami Pierre Nassif.

1. Quand les personnes consultent des thérapeutes, elles leur racontent des histoires. Elles parlent de ce qui les amène à la thérapie et habituellement, elles rendent comptent de ce qui a provoqué leur décision de chercher de l’aide. Habituellement, elles communiquent la manière dont elles comprennent l’histoire de leur problème, de leur embarras, de leur dilemme. En agissant ainsi, ces personnes relient les évènements de leurs vies selon des séquences qui se déroulent en mettant en évidence un thème ou une intrigue. Dans le même temps, elles évoquent systématiquement les personnalités et les protagonistes qui en sont les acteurs en amenant le thérapeute à partager leurs conclusions au sujet de l’identité de ceux-ci. Continuer la lecture de REDEVENIR AUTEUR 

LE JOUR DES ROIS

Pour acheter ce livre (12 €), voir ici.

“Le roi qui croyait à la solitude” est un conte initiatique, qui présente sous une forme poétique les principaux concepts, idées et méthodes de l’approche narrative. Au seuil de la maturité, traversant une période de doute et de rupture, le roi Sangha a perdu la trace de ses espoirs et de ses rêves. Sa vie est saturée d’histoires dominantes personnifiées par des sorcières, les soeurs Solitude et Imposture, représentantes patentées du pouvoir moderne qui instillent dans son esprit toutes sortes d’idées négatives sur lui-même.

Chaque chapitre comporte une courte définition des principes narratifs tels que l’externalisation, le reauthoring, le remembrement, les cartes, les histoires dominantes et préférées, les témoins extérieurs, les cérémonies définitionnelles, etc. Continuer la lecture de LE JOUR DES ROIS 

UN ACCOMPAGNEMENT NARRATIF APRÈS UN SUICIDE SUR LE LIEU DE TRAVAIL

Cet article a été publié dans « Comprendre et pratiquer l’approche narrative » (Interéditions). Sa traduction en anglais est également parue dans « Explorations, e-journal du Dulwich centre».

Le jeudi 12 avril 2007, en rentrant du travail, Jean-Louis Marquis se gara devant chez lui et alla chercher son fusil de chasse dans le coffre de sa Peugeot 407 de fonction. Puis il s’assit au volant et se tira un coup de fusil dans la bouche.

Sa femme appela son employeur le lendemain à la mi-journée pour le prévenir. Jean-Louis travaillait pour une entreprise de travaux publics familiale implantée de longue date dans les Landes, qui avait été rachetée deux ans auparavant par un grand groupe américain avec des filiales dans de nombreux pays. Il avait y travaillé 25 ans en tant que Délégué Technico-Commercial pour le département des Pyrénées Atlantiques. Il était convoqué la semaine suivante au siège, à Paris, pour un entretien de « recadrage »avec le DRH central. Continuer la lecture de UN ACCOMPAGNEMENT NARRATIF APRÈS UN SUICIDE SUR LE LIEU DE TRAVAIL 

CONVERSATIONS AVEC DAK

par Kathy Cronin-Lampe
En collaboration avec, Puni Tufuga, Shannon TeKira, et Amber Herbert

Traduit par Pierre Nassif, voici un article qui va inspirer tous ceux qui travaillent avec les idées narratives  avec des communautés confrontées à des problèmes graves et envahissants. Dak est un terme argotique pour désigner la marijuana, et l’on retrouvera dans ce beau texte de notre collègue Cathy Cronin-Lampe une méthode créative d’externalisation “théâtrale” qui nous avait été présentée en avril dernier par David Denborough et Cheryl White dans leur travail contre le HIV en Afrique.

Cet article est dédié à notre ami Tennessey qui occupa une place importante au sein des groupes qui y sont décrits. Tennessey est mort le 2 septembre 1997.

Nous éprouvons réellement la nécessité de parler de Dak, car dans nos vies, il est toujours là. Vous êtes amenés en permanence à choisir entre en prendre ou s’en passer. S’en procurer est des plus simples. Si vous connaissez quelqu’un qui connait quelqu’un vous êtes bon. Dans chaque faubourg de Hamilton, il existe un revendeur, un dealer. Dak est partout. Il est ici à l’école. En tant que jeunes, nous croyons que nous devrions avoir des activités telles que pratiquer le sport, et que nous ne devrions pas dépendre des drogues. Continuer la lecture de CONVERSATIONS AVEC DAK 

UN ARTICLE DE MICHAEL WHITE

Avec l’aimable autorisation du Dulwich Centre et traduit de l’anglais par notre ami Pierre Nassif, voici un extrait des “workshop notes” de Michael White, un texte magnifique sur la fonction de la plainte et les compétences de résistance de ceux qui sont exposés à des traumas intitulé “attending the consequences of trauma” (“au chevet des conséquences du traumatisme”).

Ces notes furent préparées à l’intention des participants à l’atelier, afin qu’ils poursuivent leurs investigations relatives à la pertinence des idées et pratiques narratives, lorsqu’elles sont appliquées à des personnes venant en consultation pour traiter d’une expérience significative de traumatisme.

Il existe des interprétations contemporaines de la douleur psychique et de la détresse émotionnelle consécutives à un traumatisme qui laissent dans l’ombre de nombreuses complexités caractéristiques de telles situations vécues, ainsi que de la manière dont les personnes concernées les expriment.

Certaines de ces interprétations tracent linéairement une relation naturelle entre le traumatisme et la douleur psychique ou la détresse émotionnelle. De telles interprétations conditionnent fortement les résultats des conversations thérapeutiques.

Des conversations thérapeutiques dont les lignes directrices proviennent de certaines de ces interprétations contemporaines peuvent participer à l’élaboration d’une image de soi remarquablement fragile et vulnérable. Elles laissent les personnes concernées dans l’intense sentiment que l’on pourra désormais empiéter sur leur personne de telle manière qu’elles auront du mal à se défendre. Cela ferme leurs voies d’accès à des moyens d’action adaptés aux difficultés de l’existence et cela réduit leur aptitude générale à savoir comment évoluer dans la vie. Continuer la lecture de UN ARTICLE DE MICHAEL WHITE 

Il est paru !

Le premier ouvrage de la collection Hermann-l’Entrepôt, première collection française exclusivement consacrée à l’approche narrative et animée par la Fabrique Narrative, vient de paraître. Pour l’acheter : voir ici. Ci-dessous la préface à l’édition française.

Le livre que vous tenez entre les mains est important à plusieurs titres. D’une part, c’est la meilleure première initiation possible à l’approche narrative. Développée en Australie et dans le monde entier depuis une trentaine d’années, cette approche connaît un développement considérable dans les champs de la psychothérapie, du coaching, de l’accompagnement du changement dans les organisations, du travail social, du soutien psychologique aux victimes de traumas, etc.

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L’approche narrative collective
David Denborough
Préface et introduction
Trad. Catherine Mengelle

Préface de l’édition française

C’est un plaisir et un honneur que de traduire et de publier en français pour la première fois un livre de David Denborough. Tout d’abord, très égoïstement, parce qu’au fil des années David est devenu un ami, que son travail notam- ment sur la musique narrative a eu une influence détermi- nante sur le mien, et qu’il a toujours accueilli mes idées, mes propositions, et mes questions avec une bienveillance et une gentillesse que pour quelque raison obscure, j’ai tendance à associer systématiquement aux australiens.

David est un vrai Aussie. L’histoire de sa famille et la sienne sont intimement liées aux grandes et aux petites histoires de ce continent fabuleux, théâtre de tragédie et d’héroïsme, terre de génocide et de tolérance, humus sanglant et rude d’où a émergé une pratique thérapeutique et sociale qui depuis 30 ans, se développe dans le monde entier avec un succès et une créativité uniques.

Cette histoire-là aussi, David en a fait partie depuis deux décennies, ayant rejoint le Dulwich Centre au début des années 1990 et ayant travaillé depuis à son développement aux côtés de Michael White et Cheryl White, en tant qu’associé et ami. il a commencé à développer très rapidement au sein des pratiques narratives une voie originale passant par l’écri- ture, la diffusion des savoirs, mais surtout la documentation et la performance des histoires minoritaires au service de la réparation de l’identité de communautés dévastées par des traumas.

Musicien et arrangeur hors-pair, il a créé les techniques de «narrative songwriting» et les a fait connaître dans le monde entier. en tant que thérapeute et travailleur social, et toujours avec la complicité de Cheryl White, codirectrice du Dulwich Center, il a développé sur le socle des travaux de Michael White un ensemble de techniques et d’approches originales, issues de son travail inlassable tout autour du monde avec de multiples communautés en difficulté en australie, en Palestine, en israël, au rwanda (où j’ai eu la chance de travailler avec lui), en ex-Yougoslavie, en ouganda, au brésil, dans les prisons auxquelles il a consacré un magnifique ouvrage précédent… Chacune de ces missions a eu pour résultat d’expérimenter de nouvelles pratiques et apprentissages au contact des groupes qu’il a accompagnés, puis de les formaliser et de les partager généreusement avec l’ensemble de la communauté narrative, toujours enthou- siaste vis-à-vis des retours d’expériences et des échanges.

«Les pratiques narratives collectives» est un ouvrage d’une richesse incroyable, orienté vers l’intervention concrète auprès des communautés et qui ouvre d’immenses possibi- lités pour tous les praticiens de la relation d’aide, qu’ils soient travailleurs sociaux, thérapeutes, coachs en entreprise… ou musiciens. voilà ce qu’en dit Catherine Mengelle, qui en a assuré la traduction avec sa finesse et sa pertinence habituelles : « C’est vrai que ce livre est fondamental. Je trouve que, sans rien renier ni lâcher de la pensée source, il l’amène à des choses très simples, simplement en observant et en reconnaissant que les gens ne se comportent jamais en victimes passives. La mission devient alors de trouver comment soutenir les efforts déjà existants, pour que le soulagement s’installe plus vite. »

en proposant d’accompagner simplement les commu- nautés dans la découverte des savoirs, des principes de vie et des récits qui leur permettent de guérir des problèmes socialement construits par les contextes dominants dans lesquels elles sont plongées et leurs représentations, David Denborough propose un véritable changement de paradigme. nos propres représentations du soin et du travail social sont quant à elles dominées par la tradition occidentale qui les confinent dans le domaine des spécialistes ou des philanthropes. L’auteur nous propose d’explorer ici une piste entièrement différente qui consiste à confier le pouvoir aux communautés elles-mêmes et à faire résonner leurs voix.

«Les pratiques narratives collectives» sont appelées à devenir dans les pays francophones un ouvrage de référence pour tous ceux qui s’intéressent à l’approche narrative, comme c’est déjà le cas en australie et dans la communauté internationale. Nous tenons à exprimer notre infinie recon- naissance à l’auteur ainsi qu’à Cheryl White pour nous avoir encouragés dans la création de cette collection en français entièrement consacrée aux pratiques narratives, pour nous avoir pris au sérieux et soutenus lorsque nous avons créé à Bordeaux la Fabrique Narrative, pour avoir été et pour être en permanence des partenaires généreux, éthiques, inspirants, et rigoureux, à la fois fidèles à la mémoire de Michael White et encourageant avec enthousiasme tous les développements créatifs et inédits qui prolongent son aventure.

Pierre Blanc-Sahnoun

 

Préface de l’auteur

Pour répondre au défi de Paulo Freire

J’ai écrit ce livre pour répondre à un défi lancé il y a onze ans à Sao Paulo au Brésil. Onze ans, c’est long, mais le défi était tel que je ne l’ai jamais oublié. J’espère d’ailleurs ne jamais l’oublier.

J’étais au brésil pour étudier les initiatives des sans-logis à Sao Paulo qui revendiquaient le droit de vivre dans la rue, construisaient des « maisons » sous les aqueducs et créaient des associations de sans-logis pour essayer de s’organiser politiquement (cf. veranda, 1999). C’était aussi l’époque où le Mouvement Sans Terre (Movemento Sem Terra) marchait sur la capitale pour exiger un profond changement social.

Le défi qui m’a amené à écrire ces lignes aujourd’hui ne réside pourtant pas dans ces événements, aussi importants soient-ils. Il découle d’une rencontre avec Paulo Freire, auteur de La Pédagogie de l’Opprimé, banni du brésil pendant plusieurs années, réputé pour son éternel refus du statu quo et invitant chacun à s’autoriser à en faire autant. Une jeune femme, probablement une parente, nous avait fait entrer dans son bureau tous les trois, Cheryl White, Walter varanda (un collègue brésilien) et moi-même. Lorsque Paulo Freire s’était tourné vers nous pour nous demander si nous parlions portugais, Cheryl et moi avions hoché la tête négativement. elle s’était alors tournée vers lui pour lui faire remarquer : « Mais enfin, vous parlez parfaitement Anglais ! »

Ils devaient être coutumiers de ce jeu car Freire s’était alors mis à parler longuement en Portugais à notre collègue brésilien. Le message était clair. nous étions venus au brésil pour le rencontrer mais n’avions pas fait l’effort de parler sa langue.

Au bout d’un moment, il avait fini par basculer dans un anglais impeccable pour évoquer comment il avait essayé de faire bouger les dogmes de l’apprentissage, de bousculer le schéma académique individualisé où les individus apprennent du maître pour proposer un processus où les gens accèderaient à une autre compréhension du monde qui leur permettrait au bout du compte de penser et de mettre en œuvre collectivement un changement social plus large.

nous n’avions bien entendu pas eu l’occasion de demander si nous pouvions enregistrer l’entretien et j’avais commencé à griffonner rapidement quelques notes sur un petit bloc. À un moment, j’avais profité d’une interruption pour poser une question. Je voulais savoir si les principes qu’il exposait pouvaient également s’appliquer quand on travaille avec des sans-logis. La question était anodine mais je n’ai jamais plus oublié sa réponse.

il ne pouvait pas répondre à cette question – je ne regardais pas là où il fallait pour trouver la réponse, la réponse ne pouvait se trouver qu’auprès des sans-logis, en parlant avec eux.

il suggérait que le plus urgent aujourd’hui était de s’inquiéter du fait que les privilégiés de ce monde ne cherchaient jamais les solutions là où il fallait. et comme ils ne les trouvaient pas là où ils les cherchaient, ils finissaient par se décourager et se dire qu’il était vain de croire qu’on pouvait agir et changer les choses. il appelait ce phénomène le « fatalisme néo-libéral » et pensait que c’était sans doute l’obstacle le plus grand qui se dressait devant nous.

Ses idées sur le néo-libéralisme et cette politique du désespoir ont trouvé chez moi un écho considérable et m’ont lancé un véritable défi. J’ai souvent croisé le désespoir dans la vie, chaque fois par exemple que je me suis demandé si le changement social était vraiment possible ou quand je voyais la façon dont les hommes traitaient leurs congénères. Paulo Freire avait lui aussi croisé le désespoir. Quand il parlait d’espoir, ce n’était pas de l’optimisme béat. L’espoir qu’il évoquait était d’autant plus fort qu’il connaissait bien le désespoir.

À la fin de notre entretien, nous avions rejoint l’aéroport et sauté dans un avion pour Canberra où j’habitais, dans un appartement face aux montagnes. Épuisé, je m’étais endormi aussitôt mais réveillé longtemps avant le retour du soleil. il faisait encore nuit noire. Je m’étais installé à mon bureau pour travailler sur l’interview, m’étais absorbé dans la lecture de mes notes, les avais tapées et corrigées. Puis je m’étais recouché et rendormi.

À mon réveil, quelques heures plus tard, le soleil inondait la pièce. C’était l’heure des nouvelles. La radio annonçait que Paulo Freire était décédé dans la nuit. Il avait été admis à l’hôpital l’après-midi où nous l’avions quitté.

Les derniers mots qu’il nous avait dits étaient : « Ce n’est pas parce qu’on se bat aujourd’hui qu’on va forcément réussir à faire bouger les choses mais si on ne le fait pas, les générations futures devront se battre deux fois plus. L’histoire ne s’arrête pas là, elle continue après nous. » (Freire, 1999)

Ce qu’il nous a dit ce jour-là, il y a de cela quinze ans, a influencé chaque page de ce livre. Comment résister au fatalisme néo-libéral ? Comment imaginer des méthodes de travail s’appuyant sur l’espérance de changements sociaux plus larges ? Comment rechercher cette espérance là où il faut ?

 

Introduction

Cet ouvrage présente un certain nombre de méthodolo- gies capables d’apporter des réponses à des individus, des groupes ou des communautés qui traversent des épreuves difficiles. Ces approches sont délibérément simples à mettre en œuvre et peuvent aussi bien être utilisées avec des enfants, des jeunes ou des adultes. elles ont été tout particulièrement développées pour répondre à cette demande courante des praticiens : lorsque l’on n’a pas les moyens ou qu’il n’est pas approprié de faire un entretien en face à face, comment faire pour utiliser néanmoins l’approche narrative avec les gens qui se débattent dans des difficultés ?

Soulignons que ces méthodologies, conçues à l’origine dans le cadre de contextes collectifs ou communautaires, ont été également adoptées par des praticiens travaillant essentiellement en individuel.

Nous présenterons dans ce livre les méthodologies suivantes :

– les documents narratifs collectifs ;

– encourager la contribution par les échanges de messages ou l’organisation de cérémonies définitionnelles ;

– l’arbre de vie : une réponse pour les enfants vulnérables ;

– l’Équipe de vie : donner sportivement une chance aux jeunes ;

les check-lists de résistance sociale et psychologique ; les frises chronologiques narratives collectives : permettre aux gens de se sentir reliés à travers le temps ; les cartes d’histoire : les endroits où on a appris ce qui compte le plus pour soi ; les chansons de vie : relancer la culture « populaire ». Dans la plupart de nos contextes d’intervention, les personnes qui aident les individus, les groupes ou plus largement les communautés sujets d’un trauma, appartiennent à la communauté. Ce ne sont pas des professionnels. ils n’ont pas eu de formation approfondie en psychologie. il est crucial aujourd’hui de développer des méthodes de travail pouvant déborder du monde professionnel. Celles que je présente ici sont fondées sur des concepts narratifs récents (Denborough, 2006 ; Epston, 1998 ; Freedman & Combs, 1996 ; White, 2007) et sont décrites de façon à les rendre accessibles et relativement simples à mettre en œuvre.

Les métaphores qui leur servent de support ont été choisies de façon délibérée. Certaines de ces méthodologies sont construites sur des métaphores de la nature (les arbres, les forêts, les tempêtes), d’autres sur des métaphores sportives (Équipe de vie) ou des concepts comme les frises chrono- logiques, les check-lists, les chansons et les histoires. Si on doit trouver des façons de travailler capables de s’exporter au-delà du cabinet du praticien, il faudra s’intéresser aux rites ordinaires de la vie de tous les jours et aux plaisirs de la vie en communauté. nos rapports avec la nature, le sport, les récits, les chansons et l’histoire constituent autant de points de départ de la culture populaire.

Des origines diverses

Chaque approche décrite dans ce livre a été développée quelque part dans le monde pour répondre à une situation de difficultés particulière :

– un australien qui tente, dans une prison de très haute sécurité pour hommes, de se libérer de son passé d’enfant sexuellement abusé ;

– des enfants en afrique du Sud dont les familles et les communautés ont été ravagées par le virus HIV du sida ;

  • –  des Palestiniens qui vivent en zone occupée ;
  • –  des collègues rwandais qui travaillent dans l’ombre du génocide ;
  • –  des Israéliens en plein conflit militaire–  des communautés indigènes en australie qui doivent affronter les effets de la dépossession, du malheur, de l’alcool et de la violence ;

– des collègues libanais qui cherchent quelles réponses apporter à des communautés victimes d’attaques militaires ;

– des jeunes gens au Soudan – excellents joueurs de football malgré la guerre qui a changé à jamais le cours de leur vie.

Chaque fois, les personnes victimes du trauma et des souffrances ne se sont pas contentées de subir l’épreuve passivement. Comme l’ont décrit alan Wade (1997) et Michael White (2004b, 2006), personne ne subit un trauma sans réagir. C’est vrai pour les individus, mais c’est vrai aussi pour les groupes ou les communautés.

Au sein de toute communauté qui fait face à des difficultés, il y a des gens qui cherchent à s’y attaquer et qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour essayer, en s’appuyant sur des talents et des savoirs particuliers, de contrer les effets du problème dans leur vie et dans la vie de ceux qu’ils aiment et dont ils s’occupent. Ces initiatives ne sont sans doute pas assez reconnues actuellement et elles ne sont sûrement pas suffisantes à elles seules pour surmonter tout ce que la communauté doit affronter sur le moment. elles sont pour- tant hautement significatives. Si on offrait aux membres de la communauté la possibilité d’identifier ces initiatives et d’en parler suffisamment pour faire émerger aux yeux de tous les talents et les savoirs implicites qu’elles recèlent, si on leur offrait la possibilité de retracer l’origine de ces talents et de ces savoirs pour réaliser à quel point ils sont étroitement liés à leur culture locale, on pourrait alors les renforcer et ouvrir la voie à d’autres initiatives (Denborough, Koolmatrie, Mununggiritj, Marika, Dhurrkay & Yunupingu, 2006, p. 20).

notre première mission est donc d’inventer des façons de travailler qui permettent d’exhumer (puis de décrire avec richesse) les talents et les savoirs de ceux qui ont vécu une expérience traumatique et souffert. notre deuxième mission est d’« encourager la contribution ».

Encourager la contribution

La plupart de ceux avec qui nous travaillons ont très rarement l’occasion de sentir qu’ils contribuent à la vie d’autrui. ils n’imaginent pas, vu le mal qu’ils éprouvent à gérer leur propre vie, qu’ils peuvent apporter quoi que ce soit à autrui. Pourtant, ils ne sont pas seuls à rencontrer des difficultés et l’expérience qu’ils en ont ainsi que la façon dont ils réagissent peuvent servir à tous ceux qui connaissent des situations semblables ou proches. vivre l’expérience de contribuer à la vie d’autrui peut être un excellent catalyseur pour réduire les effets (ou transformer la nature) des souffrances d’une personne. Le fait de se rendre compte que son savoir, acquis de haute lutte, est utile à quelqu’un d’autre lui permettra de donner du sens à une souffrance qui n’aura « pas été complètement inutile » (Myerhoff, 1982, p. 111). Ce sentiment générera une impression de possible qui débordera sur d’autres aspects de sa vie.

Les expériences que nous avons vécues montrent que plus les circonstances qu’affronte une communauté sont difficiles et plus ce principe prend du sens. au point que nous avons été conduits, ces dernières années, à reconfigurer notre travail. on part généralement du principe que les gens qui font face à de lourdes épreuves ont besoin d’être «aidés», «guéris», «suivis en thérapie» ou «soutenus psychologiquement » et que cette « aide » doit venir de professionnels. Mais après tout, ils ont peut-être besoin de tout à fait autre chose. Peut-être serait-il intéressant de créer des conditions qui permettraient aux individus et aux communautés qui traversent des difficultés de contribuer à la vie d’autres personnes rencontrant des difficultés du même ordre. Les chapitres de ce livre présentent un certain nombre de façons d’y parvenir.

À qui s’adresse ce livre ?

Les méthodologies présentées ici ont été développées afin de pouvoir être utilisées par un éventail de gens le plus large possible :

– premièrement, ceux qui s’occupent des individus, des familles et des communautés victimes d’un trauma : les conseillers, les travailleurs psychosociaux, les thérapeutes, les adultes au sein des communautés et les travailleurs communautaires ;

– puis, ceux qui interviennent dans le domaine de l’éducation populaire et de l’alphabétisation ;

– ensuite, ceux qui sont engagés dans la pratique artistique : l’écriture, la musique, le théâtre, la danse et le cinéma ;

– et enfin, ceux qui sont impliqués localement sur un certain nombre de questions sociales.

J’ai le plus grand respect pour tous ceux qui travaillent dans chacun de ces domaines et s’impliquent dans l’accompagnement du trauma, l’éducation populaire, l’art et l’action sociale. Le potentiel de collaboration entre tous ces domaines d’action me semble sans mesure et pourtant, il est très peu exploré.

Différentes formes de pratique

Les réponses qu’on apporte au trauma et à la souffrance quelque part dans le monde sont parfois très différentes de celles qu’on développe et propose ailleurs. Dans un cas, on préférera un accompagnement individuel, dans un autre on choisira plutôt de faire appel à des méthodes collectives. N’hésitez pas à rejoindre la Fondation du Dulwich Centre et à nous aider à développer des méthodologies axées sur ceux qui souffrent, les plus diverses et accessibles possibles. Quand vous appliquerez celles que je décris ici, je compte sur vous pour leur apporter les modifications et les adaptations exigées par le contexte. Peut-être déciderez-vous de développer votre propre méthode narrative collective. Ce serait notre plus belle réussite.

Pour acheter cet ouvrage : cliquer ici

Le coach qui pleurait

Entraîné par la force des émotions qui déchiraient son client, le coach se mit à pleurer.

Ce n’étaient pas de gros sanglots pathétiques, juste une petite buée sur ses lunettes, puis deux larmes discrètes le long des plis d’amertume forgés par une longue expérience personnelle de cicatrices intérieures. Si ces larmes avaient pu parler , elles auraient dit à son client : “vois, je suis avec toi dans ton histoire, je ne me contente pas de raisonner, il m’arrive aussi de résonner”.

Et aussi, elles auraient dit : “dans ma vie à moi, il y a eu son lot de maltraitance et d’injustice, sans prétendre à rien juger ni réparer, je reconnais simplement que ton chant me renvoie à d’autres chants et que ceci nous relie comme deux humains avec deux histoires pleines d’humanité, c’est-à-dire de plaies et de bosses”. Et aussi : “je ne suis pas un savant magicien sur son piédestal, accroché à ses gri-gris, je suis le partenaire de rencontre qui se propose pour t’aider à savoir ce que tu veux faire puis pour t’aider à le faire”.

Voilà ce qu’auraient dit ces petites larmes qui tombèrent sur le sol sans un mot, plic, ploc.
Le coach alla voir son Superviseur pour lui parler de ces larmes. “Comment avez-vous pu commettre une telle bourde ?” lui demanda son Superviseur. “Pleurer sur l’épaule du client n’est pas conforme à notre charte de déontologie”, ajouta t-il. “En outre, reprit-il avec un fin sourire, avec un client de structure narcissique sur un pôle pervers, cela vous met en danger. Analysons ensemble ce qui dans votre histoire personnelle vous a amené à abandonner votre Distance, à dévoyer votre Posture, à mettre en péril le succès de la mission, la qualité du transfert, le tranchant de votre sabre laser, mon jeune Padawan”.

Et le coach sortit du cabinet de son superviseur, bien recadré, parfaitement aligné, les dents étincelantes après ce détartrage psychologique, ayant mentalement repris le garde à vous règlementaire, se demandant encore comment cet incroyable instant de faiblesse avait pu lui arriver.

Il rentra pourtant chez lui avec un vague fond de mélancolie au fond de l’œil, ce qui l’énervait, car ce n’était pas règlementaire, surtout après une supervision à 300 €. Comme une impression que les choses n’étaient pas si simples, qu’elles ne se laissaient pas passer un licol. Il s’assit dans son fauteuil et regarda par terre.

A l’endroit où ses larmes étaient tombées, avait poussé une rose.

Extrait de “l’Art de coacher” (Interéditions, 2006)

Crédit photo : Seb-le-blog

Préface et Chapitre 1
Qu’est-ce que l’approche narrative ?
Alice Morgan
trad. Catherine Mengelle

Préface

Le livre que vous tenez entre les mains est important à plusieurs titres. D’une part, c’est la meilleure première initiation possible à l’approche narrative. Développée en Australie et dans le monde entier depuis une trentaine d’années, cette approche connaît un développement considérable dans les champs de la psychothérapie, du coaching, de l’accompagnement du changement dans les organisations, du travail social, du soutien psychologique aux victimes de traumas, etc. On trouve des praticiens narratifs à l’oeuvre dans les camps de réfugiés en Palestine, dans les foyers de travailleurs en Afrique du Sud, aux côtés des communautés Aborigènes en difficulté en Australie, dans les prisons en Irlande, dans les centres de thérapie spécialisés dans les troubles alimentaires, dans les entreprises et les organisations en France : les domaines d’application de cette approche sont pratiquement illimités.

Dans notre pays, l’approche narrative a commencé à se développer assez tardivement ; le premier séminaire de Michael White, l’un de ses fondateurs, date de 2004 seulement. Ceci vient probablement en partie du fait que la totalité du matériel théorique et pédagogique disponible est en anglais. Cela vient peut-être aussi de la tradition thérapeutique et clinique française, fortement imprégnée de psychanalyse, qui opère une distinction importante, fondée sur un appareil taxinomique relativement rigide, entre les pratiques qui s’adressent aux individus et celles qui opèrent auprès des groupes et des communautés ; entre l’accompagnement clinique et le travail dans les organisations ; entre la thérapie, le coaching, et le développement personnel.

Nous voyons aujourd’hui émerger dans notre pays une première génération de praticiens, formés par Michael White et ses collaborateurs, dont certains ont fait le voyage pour compléter leur formation en Australie, qui commencent à obtenir des résultats prometteurs en appliquant la démarche narrative à toute une variété de domaines de la relation d’aide dans lesquels ils exercent[1]. Ces praticiens en forment de nouveaux et font connaître les idées narratives dans leurs champs respectifs, notamment en diffusant les recherches très actives qui ont lieu et sont relayées dans le monde entier. Les moyens de cette diffusion sont multiples et n’ont d’autre limite que l’imagination et la créativité des uns et des autres.

En ce qui nous concerne, notre contribution à ce développement passe par la mise à disposition, pour le plus grand nombre de professionnels de la relation d’accompagnement, des savoirs, compétences et expériences développés par Michael White, David Epston, et tous ceux qui oeuvrent dans le monde entier et sous des formes très diverses au développement d’une pensées et d’une praxis narratives. C’est pourquoi après avoir ouvert à Bordeaux la Fabrique Narrative, un centre de formation et de perfectionnement, nous nous sommes associés à Hermann, éditeur passionné par les nouveaux développements dans les domaines des sciences humaines, pour publier des traductions d’ouvrages australiens de référence dont les praticiens français ont besoin pour appuyer leur progression ou tout simplement permettant au plus large public, spécialiste ou non, de découvrir et de comprendre les idées narratives et l’espoir qu’elles représentent.

“Une brève introduction à l’approche narrative” nous a semblé le meilleur choix pour commencer. Cet ouvrage court, dense et vivant, écrit par Alice Morgan qui a été une très proche collaboratrice de Michael White, constitue la meilleure porte d’entrée possible vers les pratiques narratives. Je voudrais remercier ici Catherine Mengelle, qui en a donné une traduction particulièrement fidèle, respectant la vivacité et la spontanéité du style de l’auteur. Etant elle aussi praticienne et coach narrative, Catherine a su emboîter le pas à Alice pour retraduire simplement des concepts parfois complexes, consciente de forger de façon pionnière un vocabulaire de référence et toujours respectueuse de l’intention de l’auteur. Je voudrais également remercier Christine Thubé, fondatrice et directrice de la Fabrique Narrative, pour sa relecture attentive et fouillée de ce texte.

Enfin, impossible de terminer cette préface sans saluer l’incroyable soutien de Cheryl White et David Denborough, co-directeurs du Dulwich Center of Narrative Practice d’Adelaide (Australie), qui ont toujours été à nos côtés, prodiguant sans compter conseils et encouragements. Ils font partie de ces personnes bienfaisantes qui ont forgé les pratiques narratives et les font rayonner dans une communauté en développement constant fondée sur le respect et la bienveillance. Alice Morgan, l’auteur de ce livre, a accepté elle aussi de nous faire confiance et de nous confier la traduction et la publication en français de son ouvrage, sachant qu’il était le premier de cette collection et que nous sommes plus une petite bande de passionnés qui veulent partager ce qui donne un sens à leur métier que des gens de marketing éditorial ou des vendeurs de formation.

Il me reste à vous souhaiter une belle découverte, un beau voyage dans ces idées qui ont déjà changé la vision du monde de nombreux professionnels, et de milliers de personnes qui ont pu devenir “auteurs de leur vie” grâce à elles. Puisse ce livre être pour vous le premier pas qui conduit de l’omniprésence des savoirs dominants à la singularité des histoires préférées.

Pierre Blanc-Sahnoun

 

Note de l’édition initiale

 

L’objet de cet ouvrage est d’initier le lecteur aux idées et aux pratiques de l’approche narrative. Dans ce but, nous avons fait à Alice Morgan la demande expresse de réunir les concepts développés par les praticiens narratifs dans une introduction accessible à tous.

Les idées et les pratiques qu’elle décrit ici ont été introduites dans le champ de la relation d’aide par David Epston et Michael White. Ils ont livré leur propre version de ce travail dans un grand nombre de livres et d’articles. Ces dix dernières années, d’autres praticiens ont adopté l’approche narrative et ont apporté des contributions significatives à cet ensemble de savoirs et de savoirs faire toujours en évolution.

Nous recommandons fortement à tous ceux qui auront été intéressés par ce livre les ouvrages et les articles référencés à la fin de certains des chapitres, dans lesquels ils trouveront la présentation originale des idées qu’Alice expose ici et les développements approfondis de la pensée théorique qui nourrit cette approche.

Mais dans l’immédiat, nous avons le plaisir de vous accueillir dans cette introduction à l’approche narrative “pour tous”.

Remerciements

C’est Cheryl White qui est à l’origine de ce projet. Elle l’a par la suite soutenu et encouragé avec un intérêt sans faille. Alice Morgan, à qui le projet fut proposé, a commencé par prendre une grande inspiration, avant d’en écrire une première version sur laquelle a travaillé David Denborough. Ils ont ensuite transmis le texte à plusieurs autres personnes afin d’obtenir leur feedback et leurs suggestions. Les personnes qui ont apporté leur feedback sont Maggie Carey, Loretta Perry, Shona Russel, Jan Tonkin, Rose Barnes, Carol Trowbridge et Michael White. Forts de leurs avis, de leurs retours et de leurs exemples, David Denborough et Alice Morgan ont finalement longuement repris le manuscrit qui, après de nombreux allers-retours entre Melbourne et Adelaïde (merci aux emails !), a abouti à sa forme actuelle. Jane Hales s’est chargée de la mise en page et Melissa Raven de la relecture. Alice souhaite aussi souligner l’influence qu’ont eue ses professeurs sur sa pratique – et particulièrement Leela Anderson, Greg Smith, David Epston et Michael White.

Un des principes centraux de l’approche narrative est que les savoirs et les talents des personnes qui consultent un praticien façonnent de façon importante le travail d’accompagnement. Il faut donc souligner comment tous ceux qui ont consulté les praticiens dont le travail est décrit ici ont également significativement contribué au contenu de ce livre.

Un mot concernant les exemples

Pour faciliter l’initiation à cette approche, des exemples de conversations narratives, de lettres et d’histoires ont été inclus dans les pages qui suivent. Ces exemples ont été construits différemment. Certains sont des transcriptions de véritables conversations narratives dont toutes les personnes concernées ont accepté la publication. D’autres, afin de préserver leur identité, ont été générés en mélangeant des bouts d’histoires appartenant à des personnes différentes. Enfin, dans certains cas, pour illustrer un point ou une façon spécifique de travailler, on a utilisé des exemples fictifs.

Il faut également souligner que les exemples de pratiques narratives fournis dans ce livre sont tirés de situations d’accompagnement assez traditionnelles, plutôt que de contextes communautaires ou d’institutions spécifiques (écoles, prisons, hôpitaux, etc.). Si vous souhaitez en savoir plus sur l’usage des pratiques narratives dans ces différents contextes, reportez-vous aux listes d’ouvrages proposées tout au long du livre.

 

1ère partie

L’approche narrative, qu’est-ce que c’est ?

 

Introduction

Bienvenue dans cette introduction “pour tous” où je présente les principaux thèmes de l’approche narrative. A l’intérieur, vous trouverez des explications simples et concises de la réflexion théorique qui sous-tend cette approche ainsi que de nombreux exemples concrets de conversations narratives. Ce livre ne prétend pas faire le tour de tout mais nous espérons qu’il pourra servir de camp de base pour pousser l’exploration plus loin. A cet effet, nous avons inclus à la fin de la plupart des chapitres des références d’ouvrages sur différents sujets.

Un certain nombre d’idées ont forgé ce que nous sommes convenus d’appeler aujourd’hui l'”approche narrative” et chaque praticien se les approprie un peu différemment. Lorsque quelqu’un fait référence à l’approche narrative, il peut se référer à une façon particulière d’appréhender l’identité des personnes. Ou il peut se référer à une façon particulière d’appréhender les problèmes et leurs effets sur la vie des personnes. Il peut encore évoquer une façon particulière de converser avec les gens autour des problèmes qu’ils rencontrent dans leur vie ou bien une façon particulière d’envisager la relation d’aide et ses aspects éthiques et politiques.

L’approche narrative est une approche de la relation d’aide et du travail avec les communautés qui prône le respect et le non jugement et défend que les gens sont les experts de leur propre vie. Elle distingue les problèmes et les personnes et considère que chacun possède de nombreux talents, compétences, croyances, valeurs, engagements et aptitudes qui peuvent l’aider à réduire l’influence des problèmes dans sa vie.

Plusieurs principes animent les pratiques narratives mais à mon avis, deux sont particulièrement importants : conserver en permanence une attitude de curiosité et toujours poser des questions dont on ne connaît sincèrement pas la réponse. Je vous invite à lire ce livre en gardant à l’esprit ces deux principes. Ils éclairent les idées, la posture, le ton, les valeurs, les engagements et les croyances de l’approche narrative.

Les conversations, l’éventail des possibles

Dans l’espoir de faciliter la compréhension de chacun des sujets abordé, j’ai divisé ce livre en sections, chaque chapitre décrivant une notion ou un des thèmes de l’approche narrative. Cependant, plutôt que d’aborder ces idées les unes à la suite des autres comme vous le feriez avec une recette de cuisine, j’aimerais vous inviter à les approcher un peu comme s’il s’agissait un assortiment de petits fours délicatement étalés sur un buffet ! En somme, j’espère que ce livre ouvre un éventail de possibilités au service des conversations narratives.

Quand je suis en entretien avec ceux qui viennent me voir, il m’arrive d’imaginer les différents axes de conversation possibles comme un itinéraire d’un voyage, avec un certain nombre de carrefours, de croisements, de chemins, de pistes qui nous obligent à faire des choix. A chaque pas, c’est un nouveau carrefour ou croisement qui se présente, différent du précédent – qui nous donne la possibilité d’avancer, de revenir en arrière, de tourner à droite, de tourner à gauche ou d’aller plus ou moins en diagonale. A chaque pas que je fais avec la personne, s’ouvrent de nouveaux choix de direction. Nous pouvons décider où aller et quoi emporter. Il nous est toujours possible de changer de chemin, de revenir sur nos pas, de reprendre une piste ou de rester sur la même route un certain temps. Au début du voyage, nous ne savons ni où nous nous arrêterons, ni ce que nous découvrirons.

Les options décrites dans ce livre sont comme les routes, les pistes et les chemins d’un voyage. Chaque question posée par le praticien narratif est une étape du voyage. On peut prendre tous les chemins, ou simplement quelques uns d’entre eux, ou encore voyager un certain temps sur la même route sans changer de direction. Il n’y a pas une “bonne” façon de voyager – simplement plusieurs choix de direction possibles.

Collaboration

Il est important de souligner que la personne qui consulte le praticien joue un rôle primordial dans le choix de l’itinéraire. Les conversations narratives sont interactives et se déroulent toujours avec sa collaboration. Le praticien s’attache à comprendre ce qui l’intéresse et si le voyage se déroule selon ses désirs. On l’entendra souvent demander :

Ÿ  Comment se passe cet entretien ?

Ÿ  Est-ce vous voulez qu’on continue de parler de ce sujet ou est-ce que vous préfèreriez… ?

Ÿ  Est-ce que cela présente un intérêt pour vous ? Est-ce que vous êtes d’accord pour qu’on passe un peu de temps sur ce sujet ?

Ÿ  Je me demandais si vous préfériez que je vous pose des questions sur ce sujet ou s’il vaudrait mieux nous intéresser à X, Y ou Z ? (X, Y, Z étant d’autres options)

En s’y prenant ainsi, on permet aux intérêts de ceux qui consultent le praticien de guider et diriger les conversations narratives.

En résumé

Avant d’aller plus loin dans l’exploration de l’approche narrative, résumons rapidement ce qu’on a abordé jusqu’ici :

Ÿ  L’approche narrative est une approche de la relation d’aide et du travail avec les communautés qui prône le respect et le non jugement et considère que les gens sont experts de leur propre vie.

Ÿ  Elle distingue les problèmes et les personnes et considère que les gens ont de nombreux talents, compétences, croyances, valeurs, engagements et aptitudes qui peuvent les aider à modifier la relation qu’ils entretiennent avec les problèmes dans leur vie.

Ÿ  Deux des principes fondamentaux de cette pratique sont la curiosité et la volonté de poser des questions dont on ne connaît sincèrement pas la réponse.

Ÿ  Il y a plusieurs axes possibles à une conversation (il n’y a pas une seule et bonne direction).

Ÿ  La personne qui consulte le praticien joue un rôle important dans la détermination des directions à prendre.

Il me semble approprié de commencer l’exploration de l’approche narrative par un regard sur la notion de ‘narrations’ ou ‘histoires’ de nos vies.

 

Chapitre 1

Comprendre et vivre nos vies à travers des histoires

 

L’approche narrative est connue pour ses conversations de “ré-écriture” ou de “re-narration”. Ainsi que le suggèrent ces formulations, les histoires sont au centre des pratiques narratives.

Selon les gens, le mot ‘histoire’ génère des associations et des interprétations différentes. Pour les praticiens narratifs, les histoires consistent en :

Ÿ  des expériences de vie

Ÿ  reliées en séquences

Ÿ  situées dans le temps

Ÿ  selon un thème

L’être humain est doué d’interprétation. Nous vivons quotidiennement des expériences auxquelles nous cherchons à attribuer du sens. Nous construisons les histoires de notre vie en liant certains événements entre eux dans une séquence particulière au cours d’une période de temps et en cherchant comment les expliquer ou leur donner un sens. Cette recherche de sens fournit l’intrigue de l’histoire. Nous attribuons tout au long de notre vie du sens à ce qui nous arrive. Une narration est comme un bout de laine qui tricote des événements ensemble pour former une histoire.

Nous avons tous plusieurs histoires qui courent en même temps sur notre vie et sur les relations que nous avons construites avec les autres, des histoires au sujet de nous-mêmes, de nos aptitudes, de nos batailles, nos intérêts, nos conquêtes, nos réalisations, nos échecs. C’est en liant en séquence certaines expériences de vie entre elles et en leur attribuant un sens particulier que nous avons pu développer ces histoires.

Un exemple : l’histoire de ma façon de conduire

Imaginons à mon sujet une histoire de “bonne conductrice”. En réalité, pour pouvoir raconter cette histoire, j’ai relié entre elles un certain nombre de choses qui me sont arrivées quand je conduis une voiture. Je les ai placées avec d’autres dans une séquence particulière et les ai interprétées comme la preuve que je suis une bonne conductrice. Les expériences auxquelles j’ai pu penser et que j’ai sélectionnées sont par exemple, s’arrêter au feu rouge, laisser passer les piétons, respecter les limitations de vitesse, éviter les contraventions et garder une distance convenable derrière les autres véhicules. Pour bâtir cette histoire sur mes prouesses de conductrice, j’ai sélectionné certains événements auxquels j’ai accordé de l’importance parce qu’ils concordaient précisément avec ce thème. Au fur et à mesure qu’on sélectionne et rassemble des événements au sein du thème dominant, l’histoire gagne en richesse et en épaisseur. Au fur et à mesure qu’elle s’épaissit, il est de plus en plus facile de mémoriser et d’ajouter à l’histoire de nouvelles expériences témoignant d’une conduite experte. Tout au long de ce processus, l’histoire s’épaissit, prend de plus en plus de place dans la vie au point qu’il devient incroyablement facile de trouver toujours plus d’exemples qui concordent avec le sens créé.

J’attribue aux expériences de vie qui témoignent de mes talents de conductrice et que je choisis de privilégier dans ma mémoire une importance plus grande qu’à celles qui ne concordent pas avec ce thème. Par exemple, je ne vais pas retenir les fois où je suis sortie trop vite d’un virage ou bien où j’ai mal jugé des distances en me garant. Je considère peut-être, sous le jour du thème dominant (l’histoire d’une bonne conductrice), que ce sont là des anecdotes insignifiantes ou relevant du hasard. Lors de la re-narration des histoires, il y a toujours des événements laissés de côté, selon qu’ils correspondent ou pas aux thèmes dominants.

Le schéma sur la page suivante (cf. schéma 1) illustre l’idée que les histoires sont constituées d’expériences de vie liées en séquence à travers le temps et selon un thème. Les croix représentent tous les événements qui me sont arrivés en conduisant. Ceux qui vont dans le sens de l’histoire d’une “bonne conductrice” sont dispersés au milieu d’aventures extérieures à cette histoire (par exemple, un accident de voiture qui s’est passé il y a 4 mois). Quand on écrit l’histoire d’une bonne conductrice, on sélectionne certains événements qu’on privilégie par rapport à d’autres. Puis on les relie à d’autres événements, et puis encore à d’autres au cours du temps, jusqu’à créer cette histoire de bonne conductrice. La ligne sur le schéma montre le lien entre les événements qui constituent l’histoire dominante. Comme on le voit, il existe d’autres expériences (X) situées à l’extérieur de l’histoire dominante qui demeurent dans l’ombre du thème dominant et bénéficient d’une moindre portée.

Dans cet exemple, la raison qui m’amène à ne prêter attention qu’aux événements favorables et qui m’a permis de construire cette histoire de bonne conductrice provient peut-être de l’image que me renvoient les autres. Si les membres de ma famille et mes amis parlent régulièrement de moi comme de quelqu’un qui conduit bien, cela fait une différence majeure. Les histoires ne sont jamais produites de façon isolée. Il se pourrait bien aussi, si on reste sur cet exemple, que personne ne m’ait jamais fait de remarques désobligeantes du fait que je suis une femme. Qui sait ?

Les effets des histoires dominantes

L’histoire dominante de mes prouesses de conductrice ne se contentera pas d’influencer mon présent, elle influencera aussi mes faits et gestes dans le futur. Par exemple, si on me demande de me rendre en voiture dans un quartier que je connais pas ou bien de conduire de nuit sur une longue distance, ma décision et les projets que je vais bâtir seront influencés par l’histoire dominante de ma façon de conduire. Il y a probablement plus de chance que j’envisage d’accomplir ces actions si je suis influencée par mon histoire de bonne conductrice que s’il courrait sur mon compte une histoire de conductrice dangereuse ou sujette aux accidents. Par conséquent, la signification que je donne aux événements n’est pas neutre sur leurs effets dans ma vie – ils vont constituer et façonner ma vie dans le futur. Toutes les histoires sont constitutives de nos vies et les façonnent.

Vivre plusieurs histoires à la fois

Nos vies sont multi-histoires. Plusieurs histoires peuvent se dérouler en même temps et on peut raconter des histoires différentes à partir des mêmes expériences de vie. Aucune histoire isolée n’est exempte d’ambiguïtés ou de contradictions et aucune histoire isolée ne peut enfermer ou capter toutes les contingences de la vie.

Si j’avais un accident de voiture ou si quelqu’un dans ma vie commençait à se focaliser sur toutes les petites fautes que je commets en conduisant, ou bien si une nouvelle loi était adoptée discriminant d’une façon ou d’une autre les gens comme moi, une histoire alternative sur ma façon de conduire pourrait bien commencer à se développer. D’autres expériences de vie, comment d’autres que moi les interprètent et mes propres interprétations pourraient me conduire à développer une autre histoire – une histoire d’incompétence ou de négligence. Cette histoire alternative aurait des conséquences, elle aussi. Pendant un certain temps, je vivrais avec les deux histoires différentes, selon le contexte ou le public. Puis le temps passant et en fonction d’un certain nombre de facteurs, l’histoire négative pourrait gagner de l’influence dans ma vie jusqu’à devenir l’histoire dominante de ma façon de conduire. Aucune des deux histoires, ni celle de mes prouesses de conductrice, ni celle de mon incompétence, ne serait jamais totalement exempte d’ambiguïté ou de contradiction.

Différents types d’histoires

Les histoires qui façonnent notre vie et les relations que nous avons construites peuvent être d’ordre différent – et en premier lieu concerner le passé, le présent ou le futur. Elles peuvent se rapporter à des individus et/ou à des communautés. Il existe des histoires de famille et des histoires sur les relations qu’on entretient.

Un individu peut avoir une réputation de succès et de compétence. Ou bien il peut être affublé d’une histoire de ‘loser’, de ‘lâcheté’ ou de ‘manque de détermination’. Une famille peut être réputée “bienveillante”, “bruyante”, “exposée”, “dysfonctionnelle” ou “unie”. Une communauté peut porter une histoire d'”isolement”, d'”activisme politique” ou de “puissance financière”. Toutes ces histoires peuvent se dérouler en même temps et les événements sont interprétés au fur et à mesure selon le sens (le thème) dominant au moment où ils ont lieu. Ainsi, l’acte de vivre exige de s’engager dans une médiation entre histoires dominantes et histoires alternatives de vie. Nous sommes toujours en train de négocier et d’interpréter ce que nous vivons.

Les histoires de vie s’inscrivent dans un contexte social plus large

La façon dont nous interprétons notre vie est influencée, au-delà de ceci, par les histoires de la culture dans laquelle nous vivons. Certaines de nos histoires ont des effets positifs, d’autres, des effets négatifs sur notre vie, passée, présente et future. Laura a d’elle-même une image de thérapeute compétente. Elle a développé cette histoire à son propos à partir de ses expériences de vie et du feedback qu’elle obtient sur son travail. Ces expériences ont contribué à construire l’histoire d’une thérapeute compétente, bienveillante et talentueuse. Si elle décide de chercher un nouvel emploi dans un domaine moins familier, il y a des chances pour qu’elle le fasse, ou envisage de le faire, sous l’influence de cette auto-narration positive. Je suis sûre qu’elle affrontera avec confiance les défis de son nouveau travail et qu’elle le décrira comme une expérience enrichissante quand elle en parlera.

Le sens que nous attribuons à ces expériences de vie qui se déroulent en séquence dans le temps ne sort pas du néant. Les histoires de vie se développent toujours dans un contexte particulier. Ce contexte influe sur les interprétations et sur les significations que nous attribuons aux événements. Des considérations de sexe, de classe, de race, de culture et de préférences sexuelles ont une influence déterminante sur les thèmes des histoires qui façonnent nos vies. L’histoire de Laura, thérapeute de talent, a sans doute été conditionnée par la culture dans laquelle elle vit. Cette culture a sans doute une certaine idée de ce qui fait le talent d’un thérapeute et cette idée a probablement forgé l’histoire de Laura.

Le milieu ouvrier qui est le sien a certainement favorisé l’aisance relationnelle qu’elle montre dans son travail avec des personnes de toute origine sociale. La confiance dont elle fait preuve dans son environnement professionnel a sans doute beaucoup à voir avec son expérience au sein du mouvement féministe ainsi qu’avec le fait qu’une professionnelle australienne est d’autant plus respectée qu’elle est blanche.

Voilà comment les croyances, les idées et les pratiques de la culture dans laquelle nous vivons jouent un rôle important dans notre façon d’interpréter la vie.

En résumé

Comme j’ai essayé de l’expliquer, les praticiens narratifs pensent en terme d’histoires – histoires dominantes et histoires alternatives ; thèmes dominants et thèmes alternatifs ; expériences de vie liées entre elles dans le temps qui ont des conséquences sur les actions passées, présentes et futures ; histoires qui façonnent les vies avec force. Ils s’emploient à accompagner les gens dans l’exploration des histoires qu’ils racontent sur leur vie et sur leurs relations, dans l’exploration des effets de ces histoires, de leurs significations et du contexte dans lequel elles ont été forgées et écrites.

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[1] Un panorama de ces initiatives a été publié en 2009 par un collectif de praticiens français sous le titre de “Comprendre et pratiquer l’approche narrative” (Dunod-Interéditions), ouvrage que j’ai co-dirigé avec Béatrice Dameron et qui contient un texte inédit en français de Michael White.

Qu’est-ce que l’approche narrative ? Alice Morgan

Qu’y a-t-il de commun entre le traitement de l’anorexie, le coaching en entreprise, l’aide aux réfugiés palestiniens et l’accompagnement des survivants du génocide Rwandais ? Réponse : l’approche narrative. Fondée sur la construction de récits alternatifs, la mise à distance des histoires de problèmes et sur la restauration du lien entre les personnes et les communautés, cette approche se développe très rapidement dans le monde entier et est apparue en France depuis six ans.Écrit dans un langage clair et authentique par l’une des meilleures praticiennes australiennes, cet ouvrage explique pas à pas en quoi consistent les pratiques narratives, leurs fondements théoriques, les méthodes qu’elles utilisent et sur quels mécanismes se fonde leur extraordinaire potentiel. Que vous soyez thérapeute, coach, médecin, éducateur, ou simple curieux des nouveaux développements des sciences humaines, ce petit livre est le premier pas idéal vers la découverte d’une nouvelle dimension de l’accompagnement.

Alice Morgan adore travailler en thérapie avec les familles, écrire, et enseigner. Elle a longtemps travaillé avec Michael White et est membre de l’équipe enseignante de la Dulwich Center Teaching Faculty. Son livre “Qu’est-ce que l’approche narrative ?” a rencontré un grand succès et a été traduit en huit langues. Alice a également publié ou contribué à de nombreux articles et deux autres livres sur les pratiques narratives. Elle vit à Melbourne, en Australie.

Traduit de l’anglais par Catherine Mengelle

ISBN 978 2 7056 7006 1, format 150X220, 216 pages, 26 euros, publié en 2009.

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Lire la préface et la premier chapitre : cliquer ici 

Voir également d’autres extraits sur Croisements Narratifs, le site de Béatrice Dameron