Archives pour la catégorie Résistances

La Narrative est-elle soluble
dans les micro-cartes ? (2ème partie)

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Ma métaphore personnelle des cartes narratives est plus liée à la musique populaire qu’à l’espace.

C’est une métaphore de guitariste : il existe dans le blues des grilles d’accords que connaissent tous les musiciens et sur lesquelles chacun est libre d’improviser, qu’il soit saxo, bassiste ou pianiste, en contact permanent avec sa musique intérieure et en contrepoint du chant déployé par le client. Que l’on soit dans l’univers de la randonnée ou dans celui de l’impro musicale, les cartes, les grilles d’accords, ont une fonction métaphorique certainement utile, mais ne disent rien sur le pays, ne font résonner aucune musique.

« Maps » sera bien malgré lui le livre-testament de Michael White mais il n’était absolument pas destiné à poser un point final sur son chemin de chercheur-randonneur, c’était un cadeau généreusement fait à tous ceux qui souhaitent utiliser les idées narratives dans le cadre de leur travail d’accompagnement. C’était un partage infiniment riche et généreux des trésors que Michael White a découverts avec ses clients tout au long de son chemin de thérapeute. Il propose ses cartes avec modestie comme des métaphores qui l’ont énormément aidé, sans jamais se poser en détenteur ou en propriétaire d’un quelconque savoir.

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dans les micro-cartes ? (2ème partie)
 

La Narrative contre Alzheimer ?

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Peut-on proposer un protocole de conversation narrative qui aiderait à lutter contre l’histoire de la maladie d’Alzheimer dans la vie des patients ?

Depuis longtemps -mes premières discussions avec Jean-Luc Pardessus sur le projet “Bulles de Sagesse” datent d’il y a au moins 3 ans- je me demande comment l’approche narrative pourrait s’intégrer dans le travail avec les personnes âgées confrontées à une histoire dominante d’isolement. Marie-Hélène Idiartegaray a mené de son côté plusieurs expérimentations intéressantes en maison de retraite avec des petits groupes de parole et des échanges de récits.

Une conversation récente avec Stéphanie Bouget, une amie psycho-gérontologue (ou géronto-psychologue, je ne sais jamais) en institution a nourri et fait avancer cette réflexion, en lui faisant emprunter un chemin différent. En effet, le projet Bulles de Sagesse consistait à demander à des groupes de personnes âgées isolées de raconter des histoires en réponse à des questions du type : “qu’est ce que la vie vous a appris de plus important ?” et de réfléchir ensemble à ce que ces histoires disaient d’eux en termes de valeurs, d’espoirs, etc., puis de voir comment quelle résonance ces espoirs et ces valeurs pouvaient avoir sur leur vie d’aujourd’hui et d’en organiser éventuellement une proclamation avec des publics de jeunes également isolés ou en difficulté. Mon interrogation portait sur la capacité de personnes luttant contre la maladie d’Alzheimer à mener un échange structuré autour de questions de témoin extérieur nécessitant de mémoriser l’histoire racontée par un autre participant, et où chaque étage de l’échafaudage se construit sur le précédent. Dès lors, que se passe t-il si à chaque instant, l’étage précédent risque de se dissoudre dans l’oubli ?

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Power of song 2.0

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Lui, c’est Bobby Lapointe, chanteur un peu fêlé et parolier virtuose très connu dans les années 60 et un peu passé de mode.

Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre ses refrains les plus connus (“Avanie et Framboise”, “la maman du poisson”, “Madame Mado m’a dit”…) dans la sono d’une baraque de sandwichs de Saint-Lary (Pyrénées). Je m’en étonnai. Le tout jeune homme qui tenait la boutique était ravi que j’aie reconnu. “Je connais toutes ses chansons par coeur, m’expliqua t-il. Les chansons de Bobby Lapointe, c’est toute mon enfance ; quand on allait de Paris à la Méditerrannée, mes parents les passaient en boucle tout le temps”. Et en disant ça, des larmes brillaient dans ses yeux.

Ceci m’a ramené à Adelaide et au séminaire “Power of song” enseigné par David Denborough. “Les chansons sont les bandes originales de nos vies”, disait-il, en nous proposant l’exercice de faire notre récit de vie par les chansons plutôt que par les événements. Se souvenir des chansons clés qui ont marqué telle ou telle période de notre vie, retrouver ce qui nous a marqués dans ces chansons, et à quoi elles sont associées, et comment elles résonnent avec ce qui est important pour nous. Et nous obtenons une partition très intéressante avec les chansons en clé de sol sur le paysage de l’action et en clé de fa, le paysage de notre identité telle qu’elle a été imprimée et exprimée par ces chansons qui nous ont tant marqués, et que nous aussi, nous écoutons les yeux dans le vague, sourire aux lèvres, ramenés physiquement à l’époque qu’elles ont codée. La musique est une machine à voyager dans le temps.

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Le bûcher des coachs

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André de Châteauvieux nous signale par l’intermédiaire du Réseau Aquitaine Coaching la parution d’un article intéressant sur le blog de Guy Lesoeurs, un article concernant la parution d’un nouveau brûlot anti-coaching, portant le titre délicat et nuancé de “je hais le développement personnel” (par Robert Ebguy, chez Eyrolles : le lire ainsi que le droit de réponse pathétique de R. Ebguy).

La contemption des coachs va de pair avec la mode du coaching et avec une certaine représentation qu’en donne la TV réalité, représentation qui conduit certains d’entre nous à s’interroger sur le mot de “coach” et ses diverses connotations. Le moins qu’on puisse dire est que le coaching est tombé dans l’abdomen public ! Ce mot est-il toujours adapté à la description de l’activité de ceux d’entre nous qui oeuvrent non pas à asservir l’individu mais à le libérer, à le rendre auteur de sa vie, à désincarcérer ses représentations du discours dominant forgé par les grandes entreprises en utilisant les résultats des focus groups organisés à prix d’or par des cabinets d’études de marchés dont le CCA (Centre de Communication Avancée) fondé par un grand gourou du marketing des années 70-80 (Bernard Cathelat) et donc notre auteur, le fameux Robert Ebguy, est un collaborateur salarié ! L’homme qui pourfend le développement personnel est donc un salarié d’une boîte d’études qui vend aux grandes multinationales des enquêtes de motivation des consommateurs visant à mieux les comprendre pour leur fourguer un peu plus de petits suisses. Joli, non ?

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Anti-voeux

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Présenter des vœux, n’est-ce pas célébrer de façon un peu ironique chaque kilomètre d’une autoroute sur laquelle on est lancé à 200 à l’heure ? Un hommage ritualisé qui confèrerait à ces étapes kilométriques un caractère joyeux et festif, où les bornes deviendraient des totems débonnaires et démonétisés autour desquels chaque membre de la tribu ferait mine de se réjouir du compteur qui tourne. On en profiterait pour parfaire notre sentiment d’appartenance, tant il est vrai que compter en cœur les secondes qui nous séparent de minuit, c’est déjà, au sens le plus littéral, vieillir ensemble.

Dans les vœux d’entreprise, une nouvelle intention vient se superposer à ce qui précède : celle d’une recherche formelle d’élégance, de créativité, de luxe, d’humour, d’authenticité, etc. qui, par la façon dont les vœux d’entreprise sont mis en scène, ambitionne de dire quelque chose de l’identité de l’entreprise, dans un style cohérent avec l’image qu’elle a d’elle-même et qu’elle veut donner à voir. Les vœux sont donc un récit identitaire de l’organisation qui les propose. Telle est du moins leur ambition.

Présenter ses vœux, c’est donc prendre une position, puisque l’on souhaite quelque chose à l’autre ; un quelque chose qui parle uniquement de vous tant il est vrai que, comme le disait à peu près Lacan, « l’amour, c’est donner quelque chose que l’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Dis moi ce que tu me souhaites et je te dirai ce que tu vœux. Pensez-y lorsque vous recevrez les cartes de vos fournisseurs qui vous souhaitent de belles affaires.

Ayant établi que les vœux servent de véhicule au désir, reste à faire émerger notre désir pour 2009 et par le même tour de passe-passe, à vous le proposer sous forme de souhait pour vous. Les génies des lampes octroient 3 vœux. Les vœux des génies se réalisent par contrat, ce sont donc des commandes, ce qui n’a rien à voir. La fragilité du vrai vœu, le risque pris ou la liberté donnée qu’il ne se réalise jamais parce que son récipiendaire n’en a rien à faire, là réside sa véritable dignité. 2009 s’annonce comme une année compliquée pour tout le monde. Je vous souhaite de trouver la voie vers la simplicité.

Lettre d’Australie : Epston mais implicite

Une longue marche solitaire et rêveuse dans les parcs et les rues d’Adelaide, mon dieu comme j’ai besoin de ces instants d’errance.

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Après la première journée de séminaire de David Epston, passionnante mais épuisante à plusieurs titres (l’assistance très nombreuse, le lieu mal fichu, la rapidité étincelante de l’intervenant -c’est quand même le co-fondateur de l’approche narrative et une star mondiale, la complexité du sujet, les accents australien et néo-zélandais, le décalage horaire qui commence à taper plus dur, les bières d’hier soir), j’ai besoin de métaboliser. Assis seul dans l’herbe d’un parc, au soleil, devant un arbre magnifique, avec le Requiem en Ut mineur dans le casque, la douceur du printemps tout autour et rien d’autre à faire que de penser. Un rêve d’introverti.

Penser qu’à l’image des branches de cet arbre, la pratique narrative est polymorphe et plurielle. Prendre conscience du point auquel j’ai été “modélisé” par Michael et que je suis devenu presque incapable de comprendre qu’une démarche thérapeutique mette en oeuvre des intentions stratégiques, ce qui me semble être le cas du travail de David Epston, même si ce n’est jamais dit explicitement, même la stratégie se réadapte à chaque question alors que Michael semblait avoir pour unique stratégie sa curiosité sincère et bienveillante pour l’autre canalisée par sa connexion avec l’intention de la conversation : construire une histoire riche, rendre la personne auteur, voyager du connu vers ce qu’il est possible de connaître.

David Epston, c’est du lourd. Co-auteur des “moyens narratifs au service de la thérapie”, à ce jour le seul ouvrage traduit en français, il passe sa vie à enseigner dans le monde entier. Le séminaire d’aujourd’hui (eh oui, on bosse le dimanche, Sarko serait content) et de demain est entièrement consacré à la façon de construire des questions narratives, des questions “qui conduisent là où les bus ne vont pas”. C’est intéressant de passer du temps rien que là dessus. Les questions sont notre seul outil, David Epston compare leur fabrication à un artisanat où l’on apprendrait à maîtriser un tour de main auprès d’un “appreneur” (apprenticer) qui n’est pas un maître mais enfin, j’veux dire, bon, un tout petit peu quand même.

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