Par Juliette Vignes, Anoush Kevorkian et Kevin Abily.
Nous allons vous raconter une histoire à 3 voix de témoin extérieur résonnant sur un chemin de vie.
Anoush, praticienne narrative dans le rôle de témoin extérieur, Kevin, un client et moi-même, coach praticienne narrative avons souhaité partager une séance de Témoin extérieur à partir du chemin de vie que Kevin avait réalisé préalablement avec moi.
Ce témoignage dans le blog nous a semblé précieux car Kevin a accepté de partager son expérience.
Aussi, vous découvrirez une partition à 3 voix : la voix de Juliette, la coach narrative pour le fil rouge, la voix du client Kevin ainsi que celle du témoin extérieur, Anoush. Ces 3 voix alternent et se font écho.
Chacun des articles a été écrit sans que son auteur n’ait connaissance des autres écrits. Ils ont été compilés dans un second temps sans modification.
Il existe une joie élémentaire de l’univers humain, dont on assombrit l’horizon chaque fois que l’on prétend être quelqu’un ou l’on sait quelque chose.
Quelques rares thérapeutes l’ont compris. Marginaux, ils concentrent leur effort vers un seul but : peser le moins possible, n’alourdir la thérapie que d’une très fine, très légère rosée. Ils creusent un abîme entre un savoir lourd embaumé dans les mots et les figures de style. Je qualifie ces rares thérapeutes comme étant exceptionnels, seuls aptes à nous faire revenir à un état d’innocence primesautière ; ils s’adressent à nous d’une région de l’âme qui n’aurait pas connu le péché ni éprouvé le mal dispersé dans le monde des mots. Ils soignent comme on respire, comme on vit, au rythme des jours et des nuits, des joies et des chagrins, d’une région intérieure bruissante de rires, de voix de femmes, d’arbres odoriférants, de toutes les choses simples et douces sorties de la main de l’Homme. Continuer la lecture de TEMPS ET RÉCIT : LA THÉRAPIE FLÂNEUSE→
Voici un très beau texte rédigé par Martine Compagnon à l’issue de l’atelier inaugural du nouveau cycle d’initiation aux pratiques narratives, à Bordeaux. Martine est coach, comédienne, conteuse et clown. Elle tisse ici des liens et des passerelles entre les différents mondes qu’elle visite.
J’ai eu envie de partager avec vous quelques ressentis sur ce premier atelier (pour moi) de “la narrative”.
Tout d’abord, j’ai eu une double impression surprenante : la sensation de rentrer dans une maison que je n’ai jamais visité mais qui m’est familière. Et en même temps, une vraie différene de façon de faire et de voir les choses, avec ma pratique actuelle… Continuer la lecture de IMPRESSIONS D’INITIATION→
Comment présenter les pratiques narratives en une ou deux phrases ? Telle est la question à laquelle ont répondu les membres du groupe d’initiation 2011-12 de la Fabrique Narrative de Paris au cours de leur séminaire final.
L’exercice était parti de la fameuse “présentation allumette” que l’on utilise en outplacement : tu craques une allumette, tu la laisses se consumer et tu te présentes avant de te brûler. Les membres de ce groupe plein d’inspiration et de finesse se sont prêtées à l’exercice et ont accepté que leurs définitions soient reproduites dans “Errances Narratives” (voir ci-après) sous forme de patchwork.
Dans « l’espèce fabulatrice », Nancy Huston parle de ce roman du Néo-Zélandais Lloyd Jones dans les termes suivants : « bien des romans européens contemporains, acharnés à clamer la solitude de l’individu et à déplorer sa mortalité, sont semblablement dépourvus de grandeur d’âme… Mister Pip nous montre en quoi les fictions romanesques peuvent être source d’éthique et de quelle manière elles peuvent nous aider à vivre » (page 168).
L’histoire est racontée par une jeune fille nommée Matilda, et se situe dans une île au large de la nouvelle Guinée. Elle se passe pendant la guerre et le blocus, à un moment où tout le monde a abandonné cette île et où seules les femmes et les enfants sont restés, ainsi que quelques rebelles combattants. Dans ce village, il ne reste plus qu’un seul blanc, un homme âgé un peu étrange nommé M. Watts et surnommé “Pop Eye” (“Bel Oeil”) par les enfants. M.Watts accepte de rouvrir l’école et comme il n’y a aucun matériel scolaire, il commence à lire aux enfants un livre qu’il admire, « les grandes espérances » de Charles Dickens. Continuer la lecture de MISTER PIP→
Une conversation sur ce film avec Rob et Alison Hall m’a permis de constater le point auquel je suis prisonnier d’un ensemble de schémas mentaux et culturels concernant la masculinité.
Ceci m’apporte trois réflexions qui font une passerelle entre ma propre histoire et celle racontée par le film (mon histoire de thérapeute / coach, j’entends, car sinon ça nous emmènerait vraiment très loin !)
Le poser de caméra : traduire la position du narrateur dans le futur ne peut se faire au cinéma que par une alternance de flashbacks et de retours au présent (posé par convention comme le futur des flashbacks et le moment où s’ancre le début du film donc la convention pour le présent posée entre le réalisateur et le spectateur). Mais lorsqu’on est dans les flashbacks, on est obligé de dérouler le présent du flashback au fur et à mesure. Dans le livre, c’est beaucoup plus intéressant parce que le récit du passé est assumé comme étant raconté par un narrateur qui écrit depuis le futur des événements (son présent à lui) et qui relie les événements qu’il raconte au paysage de son identité éclairé et modifié par ces expériences, expériences dont il dit en même temps qu’il les raconte comment elles ont éclairé et modifié son identité. L’un de mes plus anciens clients dirigeants d’entreprise, Philippe, me dit que mes posts deviennent de plus en plus abscons avec le temps. Ce paragraphe ne va pas améliorer mon matricule. Continuer la lecture de The reader (part 2)→
Un film, un livre : deux narrations différentes qui posent la question du texte virtuel et de la position du lecteur.
Le film est bouleversant, en grande partie grâce à l’interprétation de Kate Winslett. Mais qu’est-ce qui peut bien me motiver à lire le livre immédiatement après l’avoir vu ? Si l’on en croit Jerome Bruner dans “Actual minds, possible worlds” (Harvard University Press), un livre ne vaut pas par le texte qui le constitue mais par le texte virtuel que le lecteur y substitue, texte virtuel né de sa capacité à “combler les trous” de la narration avec ses propres références narratives.
Je me permets de traduire un long extrait de son propos que je trouve lumineux (p. 36-37) : “lorsque les lecteurs lisent, lorsqu’ils commencent à produire leur propre texte virtuel, c’est comme s’ils s’embarquaient pour un voyage sans carte, et pourtant, ils possèdent un stock de cartes et par ailleurs, ils savent des tas de choses sur les voyages et sur les cartes. Leurs premières impressions des nouveaux territoires qu’ils découvrent sont forgées par les voyages qu’ils ont déjà effectués. Au fil du temps, le nouveau voyage acquiert sa propre réalité, bien que l’essentiel de sa forme initiale ait été empruntée au passé (du lecteur). Continuer la lecture de The reader (part 1)→
J’ai été scotché et ému par la vidéo de Jill Bolte-Taylor dont je parlais ici la semaine dernière. Ce western neurobiologique me fait réfléchir à la toile neuronale sur laquelle nous peignons nos histoires.
Dans un séminaire de Michael White, un participant parlait un jour du “maelstrom” pour désigner l’expérience de vie à l’état brut, et c’est bien de la même chose que parle Jill lorsque son hémisphère gauche, siège de la logique et de la temporalité, se met en rideau à l’occasion d’un accident vasculaire. Elle passe 45 minutes à essayer de distinguer sa carte de visite de la surface de son bureau et à trouver un sens aux paquets de points sous la forme desquels elle perçoit son numéro de téléphone.
Et en même temps, dans cet univers réduit à l’état de pixels privés de toute signification, déconnectés des histoires qui en font des objets familiers et des concepts utilisables, elle entre en contact avec le sentiment de sa vie vivante accordée avec tout le reste de l’univers, ce qui fait aussi penser aux récits d’Aldous Huxley dans “les portes de la perception” (livre culte qui a d’ailleurs inspiré Jim Morrisson pour le choix du nom de son groupe The Doors) et de Timothy Leary expérimentant le LSD dans les années 1964.
D’ailleurs, Jill le décrit avec beaucoup d’émotion comme un état de “nirvana” qu’elle a éprouvé accidentellement du fait de son AVC, du fait de la mise hors circuit temporaire des aires cérébrales où siège le sentiment d’être une entité séparée délimitée par sa peau. Et pourtant, dans le même temps, cette définition de l’individu enfermé en lui-même et réduit à son corps est une représentation culturelle dont la naissance et l’essor en occident ont été parfaitement décrits par Michel Foucault. Il y a là un paradoxe que je n’ai pas fini de mâchonner. Continuer la lecture de En direct du maelstrom→
Le propos d’une cérémonie définitionnelle , c’est de donner aux gens l’occasion de parler devant témoins de ce qui est important pour eux… de la façon et avec les supports qui sont les plus appropriés pour eux.
Oublier cette dernière partie de la phrase, c’est passer à côté de la cérémonie et prendre le risque d’y réintroduire l’histoire dominante au détriment des personnes dont la vie est au centre. C’est ce que nous ont fait comprendre, dans leur grande sagesse, les élèves de deux classes Segpa de Vitry-sur-Seine.
Les Segpa, c’est ce qu’on appelait dans le temps les classes de “transition”, façon politiquement correcte de désigner la transition du système scolaire “normal” vers pas de scolarité du tout et la vie dite active. Depuis 8 mois, Dina Scherrer a accompagné quatre classes de 3ème Segpa de Vitry, Fontenay et Villiers-sur-Marne dans le cadre d’un programme expérimental d’introduction du coaching dans les collèges des quartiers dits “sensibles” (je déteste ce mot) sur fonds européens et avec l’appui des académies concernées. Avec l’accord du maître d’oeuvre (l’association Réussir Moi Aussi), Dina a pu proposer un protocole entièrement narratif basé sur l’identification d’histoires dominantes, leur externalisation et le développement de riches histoires alternatives basées sur les compétences de vie et de résistance à l’exclusion de ces gamins.
Cette initiative magnifique, qui donnera probablement naissance à un livre, s’est conclue par une cérémonie définitionnelle dans chaque collège. J’ai eu la chance de participer à celle de Vitry, de façon un peu privilégiée puisque j’avais correspondu toute l’année avec ces deux classes sous forme de retellings réguliers, ce qui m’avait permis de devenir un témoin extérieur habituel et d’ailleurs de mettre en musique leurs mots pour en faire une chanson, avec la technique que j’ai apprise auprès de David Denborough (voir ici pour écouter la chanson). Il y aurait énormément de choses à raconter ici sur cette cérémonie définitionnelle. Mais ce qui m’a le plus frappé… Continuer la lecture de Cérémonie définitionnelle : la leçon des Segpa→
Cette nouvelle section intitulée “retellings” proposera des renarrations définitionnelles réalisées au cours de mon travail avec les communautés, les équipes et les personnes.
Le texte ci-dessous est un montage définitionnel des propos tenus par les 24 témoins interviewés lors du premier anti-colloque de l’Association Européenne de Coaching qui a eu lieu à Bordeaux le 10 octobre 2008. Le thème en était : “le coach dans la cité” et la question centrale de savoir quel peut être le rôle des coachs dans la vie de la société.
“Résister
Nous sommes des résistants qui encouragent les résistances. Notre métier nous amène à pratiquer une gymnastique intérieure. Nous cultivons le respect de nos clients mais aussi le respect de toutes les différences. Nous avons un désir d’authenticité. Nous pratiquons une écoute qui ne juge pas, et nous recherchons des choses qui “marchent”. Nous croyons que les groupes sont une grande ressource et que les liens qui s’établissent entre les gens produisent de l’énergie, de la créativité, comme un vaisseau spatial qui permet de toucher les étoiles. Notre place là dedans est importante : nous devons nous rendre visibles, nous devons connaître le nom de ceux que nous aidons afin de veiller à ne pas les normaliser, mais à les conduire vers leur propre royauté. Les accompagner ne signifie pas les porter sur notre dos : notre posture est humble. Nous sommes des guerriers du silence qui font renaître la parole et la possibilité de vivre autrement.
Nous habitons ici et maintenant et soutenons les personnes et les groupes dans l’affirmation de leur singularité. Oser sortir de notre cache nous permet d’aider les autres à grandir et à se sentir fiers de raconter leur histoire. Nous sommes des passeurs entre le visible et l’invisible. Nous osons travailler partout et avec tous : papooses, guerriers et vieux chefs afin de les aider à faire refleurir leur projet et à reprendre leur place dans leur vie et dans la cité. Nous voulons faire connaître ce que nous pouvons apporter : tisser des liens et des réseaux, des réseaux avec les autres et des liens avec soi-même, ouvrir la porte d’un tas de possibles.
Notre force est d’être justes, notre talent est de voir la grandeur de l’autre, notre équilibre est d’avoir un soleil dans le ventre.”