Par Sandrine Janssen
Au mois d’octobre, j’ai accompagné une équipe de dirigeants libéraux associés qui m’a sollicitée sur le thème : Respecter et concilier les besoins des associés dans un contexte économique difficile et stressant.
La demande émanait de trois des associés sur quatre. Ces trois associés avaient comme caractéristiques communes d’être dirigeants, hommes, sportifs et facilement en lien avec des valeurs de compétition et de dépassement de soi. Ce sont des associés qui adorent se retrouver le soir pour parler du business, réfléchir à faire mieux; mais aussi juste passer un bon moment ensemble.
La quatrième associée s’avérait être une femme, plutôt en lien avec des valeurs d’empathie, de discrétion, de compassion et en pleine recomposition familiale ,mère d’un bébé de trois mois, à la tête d’une famille recomposée assortie de 2 ados… Vous imaginez bien que, sans négliger le plaisir de se retrouver entre associés le soir pour discuter, ses priorités d’emploi du temps des soirées pouvaient être différentes…
La demande sous-jacente des trois associés était:« Quid de l’implication de notre associée dans ce moment de notre histoire ou le chaos extérieur nous oblige à faire la différence et à faire partie des meilleurs pour survivre ? »
Nous avons donc initié ce travail en étudiant la relation: Pourquoi se sont ils choisis. Qu’est ce qu’il les a amené à s’associer dans ce cabinet? Quels espoirs cela représentaient dans leur vie?… Ils se sont rapidement mis d’accord sur l’idée de symboliser leur communauté sous la forme d’un navire dans lequel chacun a pu embarquer les valeurs et les qualités précieuses pour lui.
Arrive le début d’après-midi, je reprend sur l’idée d’offrir une sorte de cadeau à chacun des autres associés qui indiquerait la qualité qu’il a, et qui est la plus précieuse pour le navire aux yeux de l’offreur…( Vous voyez bien mon intention…)
Bref, nous abordons l’océan des problèmes sur le coup de 15 heures seulement…
et là, Patatras ! La pression est trop forte, et malgré l’utilisation de nombreuses métaphores maritimes (les monstres marins qui cherchent à faire chavirer l’embarcation) l’associée (qui n’a pas dormi plus de 4 H la nuit d’avant pour cause de bébé,) n’arrive pas à contenir son émotion et se replie dans le silence. Ses associés, bien que compatissants, n’arrivent pas à respecter sa demande de temps tellement ils sont frustrés de ne pas avoir pu exprimer leurs interrogations et obtenir des réponses…
À 18 heures nous nous séparons sur un constat assez décevant et frustrant.
Évidemment dans la foulée, je leur écris un retelling qui insiste lourdement sur leur capacité à faire le choix de résister aux problèmes. Et je les incite à revenir finir le séminaire dès que possible…
En parrallèle, je demande une séance de supervision….pour comprendre où j’ai « raté une marche… » Timing, animation, enchainement des séquences…tout y passe.
Hier enfin, les voila pour l’après midi de fin du séminaire…Entre-temps évidemment les problèmes ont continué à grandir et à prendre de plus en plus de place dans les têtes et dans les cœurs…D’autant plus qu’en décembre, je leur avais demandé de répondre à deux questions préalables pour préparer le « terrain », et comme par hasard, je n’avais pas reçu la réponse de l’associée malgré mes relances.
Nous voilà donc mardi 14h30, réunis pour « on ne savait quoi »… Puisque l’associée revenait de vacances le matin même.
Eh bien, ça s’est remarquablement passé grâce à une raison « technique » que m’avait indiquée mon cher superviseur Pierre Blanc-Sahnoun (tu me flattes, NDLR). Il m’avait dit, « en fait vous n’avez pas eu le temps d’étudier les effets des problèmes le premier jour, du coup, ils n’ont pas compris ta métaphore des monstres marins et n’y ont pas adhéré»
Une fois élucidé la question de la non-réponse (qui s’avérait juste être une erreur d’adresse mail), j’ai donc débuté la session par la fixation des règles. « Nous allons parler des problèmes, cela nécessite une méthode »: Parler de soi et pas «sur l’autre», ne pas interpréter, parler factuellement, rester bienveillant et curieux, ne pas juger …
Ensuite, je leur ai dévoilé une feuille de paper board que j’avais séparée en quatre cadres:
En haut à gauche, j’avais remis les éléments de contexte extérieur qui ont déclenché la situation (les enjeux économiques, la pression, les risques…)
En bas à droite, leurs espoirs tels qu’ils les avaient exprimés la dernière fois.
Et 2 cases pour les problèmes:
Dans une, ils ont répondus successivement à la question: « Quels sont les problèmes qui menacent votre embarcation aujourd’hui? »
Et dans l’autre pour chaque problème « quels sont les effets de ce problème sur votre relation avec vos associés », et « quels sont ses effets sur votre relation avec vous même? »
A l’issus de ce tour de parole qui a duré environ une heure et demi, la situation était totalement bouleversée.
L’idée que le problème ne concernait que l’associée et son implication dans les affaires, avait été balayée par celle qu’ils sont tous confrontés à 3 ou 4 problèmes qui affectent différemment chacun des 4 associés mais qui ont comme effet commun de dégrader la relation de confiance entre eux.
Et aussi des impacts très désagréables et sur la vie de chacun en tant que personne, qu’associé(e) et que dirigeant(e)…
La suite a été bien sûr plus facile, ils ont revisité leurs espoirs à l’aune de ce qu’ils venaient de comprendre, ils ont réfléchi et exprimés leurs idées sur leur façon personnelle de contribuer à diminuer les effets des problèmes sur la relation de confiance entre eux, ils ont imaginé des images et des stratagèmes pour ne plus être dupes des tactiques des problèmes.
En 3 heures la situation qui semblait totalement bloquée : notamment par le silence et l’interprétation, s’est trouvé débloquée. Nous nous sommes séparés cette fois, sur l’idée qu’il fallait célébrer ce nouveau départ et continuer.
Je vous livre une très jolie expression que l’un d’entre eux a proposé « Pour discuter des problèmes, on va faire attention à s’asseoir du même côté du canapé »…
La magie de la Narrative ne cessera jamais de m’émerveiller. La force des espoirs et la bienveillance naturelle des Hommes aussi…
Et n’oublions pas de dresser des échafaudages pour que nos clients puissent nous suivre dans les métaphores…
Sandrine, bravo pour ce bel article super transparent et précis qui nous rappelle utilement combien il est important de « flâner » (“loitering”) avant de se précipiter sur ce que l’on croit avoir identifié comme le problème, alors qu’il s’agit simplement d’un effet du problème. Externaliser un effet du problème alors que l’on pense travailler avec sa majesté le problème lui-même, dans l’intention très louable et positive d’aller plus vite dans la reconnection du client à son histoire préférée, c’est prendre le risque soit d’un manque de puissance globale du moteur narratif, soit de se retrouver comme Sandrine en panne de vent pour faire avancer le navire…
Merci Sandrine pour ce témoignage éclairant (histoire préférées, histoire de problèmes?) et pour ce partage qui nous renforce.
Merci Sandrine 😉
Cela me donne encore plus d’espoirs pour l’accompagnement de mes groupes de jeunes en pleines tempêtes scolaires
Je t’embrasse
Merci pour ce partage qui vient éclairer certains “loupés” … tant la tentation est grande pour le praticien de filer illico loin des îles à problèmes vers les rivages alternatifs et préférés du client…
Je ne me lasse pas des histoires d’effets et de problèmes qui sont, pour moi, “le nerf de la guerre”. Merci Sandrine pour ce partage.
Renforce bien l’idée que très souvent la confusion est possible entre le problème et l’effet du problème, et que notre intention de coach, ne doit pas se laisser embarquer dans cette histoire là.
merci Sandrine.
Merci, Sandrine, de nous faire partager cette belle aventure.
Externaliser les problèmes et travailler sur leurs effets, c’est par là que nous avons démarré l’approche narrative. C’est un essentiel.
Ce que j’ai adoré, c’est le retournement : au début l’associée avec le bébé était LE problème, puis les autres étaient affectés par des problèmes, et finalement tous ces problèmes avaient des effets communs. A partir de là, les problèmes et leurs effets ont été dépersonnalisés, vous avez pu en parler calmement et commencer à co-construire leurs réponses …
Merci Sandrine, histoire très intéressante et inspirante! Elizabeth
Passionnant ! …merci Sandrine pour ce partage, merci de raconter tes difficultés (on se sent moins seuls…) et la manière de les confronter. Je partage ton enthousiasme sur l’apport de la supervision en général et de ce superviseur en particulier :).
Bravo pour cette très belle mission !