Par Pierre Nassif
Un compte-rendu détaillé -et inspirant- de la conférence de Dina par l’auteur de “Rechercher un emploi autrement” (l’Harmattan).
J’ai eu le bonheur d’assister à cette conférence donnée par Dina Scherrer, mardi dernier, le 10 mars. J’avais déjà lu son livre : « échec scolaire, une autre histoire possible », paru chez L’Harmattan et je connaissais donc un peu son travail. Elle le présentait en compagnie de deux membres de l’institution : Valérie, professeur de Français en 4ème et Calidou, médiateur éducatif dans les Hauts de Seine (92).
Depuis 7 ans, Dina coache des élèves de SEGPA, ces classes de collège dans lesquelles sont envoyés les enfants dits en échecs. Grâce à sa posture narrative, elle les aide à effacer toutes ces étiquettes que la société leur colle dessus. Alors ils considèrent chacun sa propre histoire, ses propres rêves, ce qu’il aimerait vivre et ils redeviennent les auteurs de leur propre vie.
A propos de son métier, Valérie dit « j’étais au bord d’arrêter, ras-le-bol, comme la plupart des enseignants ». Malgré ses réticences initiales, elle accueille Dina, en vient à recevoir d’elle un début de formation à l’approche narrative et à soutenir sa démarche, au service des jeunes.
Calidou dit que les médiateurs éducatifs sont une spécialité des collèges de son département. Leurs services sont financés par le Conseil Général. Il a reçu de Dina une formation plutôt conséquente (15 jours). Il parle de son attitude de bienveillance à l’égard de tous les acteurs « de l’élève à l’enseignant en passant par le CPE et les parents» qui lui a permis d’assurer sa mission. Il intervient à la demande de l’un de ces acteurs. Il accepte l’institution telle qu’elle est. C’est dans cette mesure qu’il est accepté et donc qu’il peut y arriver.
Dina : « le regard qu’on porte sur un individu forge son identité. La plus grande difficulté, avec les jeunes, c’est de faire émerger une demande. Pour cela, j’ai mis en place des outils. La première question à se poser, c’est : pourquoi est-ce que je veux accompagner des jeunes ? Se poser cette question dès le début, cela permet, le moment venu, d’être aligné. Les leviers sur lesquels je travaille tout le temps sont la confiance en soi d’une part, car son absence contrecarre l’apprentissage et le sens d’autre part, car ces jeunes ne savent plus pourquoi ils vont à l’école. Je fais avec ce qu’ils aiment, ce qu’ils apprécient, ce qui les intéresse ».
Dina se réfère à David Denborough :
– Peu importe qui on accompagne, il faut écouter ses difficultés, mais aussi tout ce qu’il a essayé de mettre en place pour y faire face.
– Reconnaître les effets du problème dans sa vie du jeune.
– Relier le jeune et ses expériences à quelque chose de collectif. Lui permettre de contribuer à la vie des autres.
– Faire de nos clients les porte-parole d’un problème social.
Dina parle de la posture du coach narratif, décentrée et influente, fondamentale là, comme ailleurs.
Posture décentrée :
La personne que l’on accompagne est au centre : créer un espace à l’intérieur duquel les jeunes sont au centre.
Les personnes que l’on accompagne ont le statut d’acteur principal de leur vie. C’est eux qui ont le savoir.
C’est une attitude de curiosité : on oublie ce que l’on sait.
La capacité du praticien narratif à donner la priorité au savoir de la personne, à ses connaissances, à ses expériences.
Posture influente :
Etablir au moyen de questions un contexte qui permet au jeune de construire plus richement une histoire qui soit en rapport avec ses espoirs, ses valeurs, etc. On ne pose pas de question par hasard.
Laisser entrer la personne dans les territoires de sa vie laissés à l’écart
Nous faisons ensuite un exercice sur l’absent mais implicite. Une dame est volontaire pour raconter un évènement de sa vie qui l’a profondément agacé. La salle prend en note ce qui dans ces propos contredit l’histoire de problème et permet de poser les jalons de l’histoire préférée. Cette dame intitule son histoire : « Bécassine en informatique ». Elle raconte ses démêlés avec son ordinateur. Cela commence tragiquement : elle ne va pas réussir à réaliser une présentation qu’elle doit pourtant communiquer le jour même, car tout lui résiste et notamment Powerpoint. Finalement, elle contourne le problème et elle s’en sort.
Les mots fusent de toutes parts. Son discours fourmillait à son insu de paroles d’espoirs, de mots indiquant ce qu’elle aimait dans le travail, comment elle l’aimait, ses exigences, etc. Elle prend la parole après avoir tout entendu. Elle confirme. On sent une certaine émotion. Elle retient ce qui lui parait être le plus important : pouvoir faire les choses sereinement.
C’est sur ce principe que fonctionne un outil que Dina décrit ensuite, destiné à faire émerger des demandes. Elle dessine un cercle. A l’extérieur de sa circonférence, sur un cercle concentrique imaginaire, elle écrit tous les « je ne veux pas » qu’exprime le jeune, en réponse à ces questions. Apparemment, il est plus facile pour eux de dire ce qu’ils ne veulent pas que de dire ce qu’ils veulent. Ensuite, à l’intérieur de la circonférence, sur un rayon partant de chaque « je ne veux pas », elle lui demande quel est le « je veux » qui lui correspond. Elle note alors : « je veux passer », « je veux être respecté », etc. Ces « je veux » sont alors transformés en objectifs de travail.
Elle parle ensuite de l’arbre de vie, que je suppose connu. J’ai noté ces définitions données par Dina ce jour-là : « Le tronc, c’est ce qui fait que l’arbre est solide » ; « les racines, c’est ce dont on a besoin pour avancer ». Cela m’a permis de repenser aux choses abstraites et compliquées que je raconte lorsque je propose à un client de dessiner son arbre de vie. De devoir expliquer les choses à un enfant, finalement, c’est précieux !
Dina nous passe une vidéo réalisée dans une classe. Deux élèves sont volontaires pour jouer le rôle d’Absentéisme. Dina interroge Absentéisme sur ses projets pour les jeunes qu’il rencontre, sur la manière dont il s’y prend, les difficultés qu’il rencontre et comment il les résout … Cela fonctionne incroyablement bien. Les deux acteurs se relaient et décrivent avec finesse et pertinence les mécanismes de l’entité qu’ils représentent. Les autres enfants confirment. Ce film nous prouve que ce sont bien eux, les experts.
J’aurais aimé pouvoir parler de la fleur de qualité, qui m’a paru être un merveilleux outil de cohésion de groupe. Malheureusement, je n’ai pas tout compris. C’était une soirée tellement riche. L’état de jubilation dans lequel je me trouvais commençait à émousser mes facultés d’attention. Mais elle vous l’expliquera …
Pierre,
Super article. Merci de ce témoignage
Errances me permet de rester en contact avec vous tous, et c’est top.
J’aime.
Merci pour ce compte-rendu Pierre !
Je voulais juste me permettre de citer l’auteur-inventeur de l’outil “la fleur des qualités” que tu mentionnes à la fin de ton article.
Il s’agit de Gersende Bado, qui est coach, et qui accompagne, entre autres, des jeunes. C’est un outil ludique et puissant, qui permet de redonner confiance et estime de soi à chacun.
Merci Pierre pour le partage de cette conférence de Dina qui renforce l’idée de la force tranquille de la pratique narrative…
Dina, Laurence, Luc,
Quel bouquet!
Bravo les amis et merci de ces partages. Je le sens fière de faire partie de cette communauté de bonnes volontés agissantes, chacune dans son domaine pour changer, refuser les évidences, essayer… Toujours plus loin…
A très vite.
Affectueusement