CE QUE JE RETIENS DE DAVID EPSTON

Par Laurence d’Andlau

LE RESPECT IMMENSE DONT DAVID FAIT PREUVE VIS-A-VIS DE LA PERSONNE
La délicatesse avec laquelle il pose ses questions.

Par ex : « est-ce que cela te dérangerait que je m’intéresse à cela ? » ou, « voudrais tu me dire quelque chose de cette vision que tu as eue ce jour-là ? », ou « est-ce quelque chose dont tu veux bien me parler, ou bien est-ce quelque chose que tu veux garder pour toi ? si tu voulais en garder une partie pour toi parce que c’est trop privé, je le comprendrais », ou encore « je peux te demander quelque chose ou puis-je te poser une question ? », ou encore « est-ce agréable pour toi d’évoquer ces souvenirs ? »
Et chaque fois posons notre question après l’assentiment de la personne.
Si une question est difficile, mettons la difficulté sur la table et disons par ex : « est-ce que c’est difficile ? » ; si la personne dit oui : « essaie juste de deviner ! Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse ».

DAVID SE PLACE PRES DE LA QUESTION

Partons d’un exemple concret. Lorsque Martine lui parle de la créativité dont elle fait preuve avec les amis australiens qu’elle reçoit, elle propose plusieurs options : leur apprendre le Français, à cuisiner, à peindre, à improviser ; David choisit la cuisine, expression de la culture française depuis 300 ans, dit-il. Il aime la cuisine française, il en parle avec d’autres dans son pays, et il a même observé deux éléments de qualité, concernant la préparation de la nourriture et le style de repas, éléments dont il va se servir pour poser des questions plus précises .

Autre exemple : Martine parle de simplicité de la vie, de respect de la santé et d’équilibre.
Entre ces trois options qui lui sont proposées par Martine, il choisit celle qui l’intéresse lui, celle qui lui parle. Il pose ses questions à partir de son vécu. Ce qui lui permettra de poser des questions spécifiques, et partant de mener une exploration précise.

David pose ses questions à partir de sa connaissance expérientielle (insider knowledge), à partir de sa propre expérience, de ce qu’il a vécu, de ce à quoi il peut se référer, de ce que cela éveille en lui de positif. Il pose la question qui l’intéresse le plus dans son expérience : la simplicité, la cuisine. Du coup, cela introduit une note vivante, concrète, personnalisée dans la relation entre les 2 personnes.

« THE QUESTION SHAPES THE ANSWER », ETRE INFLUENT

Plus nous pensons notre question et plus nous lui apportons de soin, plus la personne va avoir l’impression que c’est une bonne question et plus la personne s’investira pour y répondre.
Ceci implique de la part du coach ou du thérapeute une grande attention à soi. Car je peux avoir tendance à me mettre au service de l’autre et à m’oublier moi-même. Or je reçois beaucoup de l’autre. Nous travaillons à parité. Etre décentré sans m’oublier, trouver du plaisir à mon travail, développer une capacité d’écoute, de rebondissement, de créativité. Car comment être créatif si je ne suis pas là ?
C’est une voie à deux sens.

LA METAPHORE LITTERAIRE

Voir l’histoire comme un morceau de roman : on y retrouve des acteurs, une intrigue, des rebondissements, du suspense, du mystère, de l’imagination … La question va indiquer quel mystère est à résoudre, il y a suspense.

LES DEUX HISTOIRES SONT EN COMPETITION

La 1° histoire, l’histoire dominante, l’ancienne histoire est remplie de drame, de catastrophe, de souffrance, elle étouffe tout, elle est maléfique. L’histoire dominante donne l’impression qu’il n’y a pas d’issue, pas d’autre histoire possible, elle occupe toute la place. C’est l’histoire du problème, lourde, pénible, paralysante, comme une statue figée, elle est comme une étiquette posée sur le problème ET sur la personne.
Tandis que la 2° histoire, la nouvelle histoire, appelée contre-histoire par David, est l’histoire de la personne, légère, puissante, joyeuse, dynamique, porteuse d’action, fluide, le courant passe. Et cela se voit dans le langage non verbal de la personne. C’est celle qu’on a envie de développer, celle qui est agréable, avec un projet qui englobe le futur, elle est réjouissante.

Notre intention est que l’histoire dominante passe à l’arrière plan.

La contre-histoire influence l’histoire dominante, car elle apporte vie, espoir et enthousiasme, tandis que l’histoire dominante n’offre rien d’autre que du déjà vécu.
Lorsque cette 2° histoire arrive, c’est comme si elle disait à la 1° : «  je ne te laisse pas faire, je prends la place ». Apparaît une notion de jeu, une drôlerie, de la légèreté. Nous retrouvons la métaphore du poids. Quelqu’un dans le séminaire a dit : « l’histoire dominante ne fait plus le poids ».
La nouvelle histoire minimise l’ancienne histoire, elle la conteste, sans toutefois l’annuler.
Car nous savons que l’histoire dominante ne s’avoue pas facilement vaincue, qu’elle va se battre pour conserver son statut de dominant ; les deux histoires vont entrer en concurrence pour le sens le plus convaincant, chacune visant à reléguer l’autre à l’arrière plan.

La nouvelle histoire challenge l’ancienne, la parasite, la discrédite. La personne découvre des avocats de l’autre camp, elle n’est plus toute seule, et cela va lui permettre d’avoir une représentation d’elle autre que celle que lui véhiculait l’histoire dominante. Cette contre-histoire devient un atout pour la personne, elle peut désormais se raconter plusieurs histoires. Peut-être continuera-t-elle à se raconter l’ancienne histoire, mais elle a désormais le choix, et l’histoire dominante n’est plus la seule qu’elle puisse se raconter. La contre-histoire ouvre un choix pour différentes versions.

Belle métaphore de David : la différence entre les deux histoires rejoint la différence entre la tragédie dans laquelle le destin est écrit d’avance et à la fin tout le monde meurt, et le roman où le héros prend des initiatives pour récupérer la main sur son destin.

INQUIRY : L’ENQUETE

C’est la base de notre pratique, notre instrument principal.
Qu’est-ce qu’on explore ?
Car la bonne histoire n’est pas encore là.

On enquête sur les capacités, les atouts dont la personne fait preuve dans la vieille histoire qu’elle nous raconte. On part sur une question positive et concrète (down to the ground) pouvant orienter vers une 2° histoire possible, on part sur ce qui s’oppose à la 1° histoire.
On relie ces atouts de la personne avec une nouvelle histoire : ce qui compte pour elle, quels espoirs, rêves, intentions elle a pour sa vie. Par ex, la personne est venue avec un problème professionnel, et elle va s’apercevoir que sa passion est pour sa vie privée, même si elle est dans un lieu public …

LA LANGUE ET L’ESPRIT ANGLO-SAXON

L’anglais est la langue de la thérapie narrative, et pourtant l’expression narrative n’est pas le langage courant des anglo-saxons.

Une remarque me vient à ce propos, concernant une différence culturelle entre Français et Anglo-saxons, différence qui se reflète dans leurs langues.
Le Français serait plus généraliste, plus théoricien, plus attiré par le négatif. L’Anglo-saxon, contre modèle pour la plupart des Français, n’hésite pas à mettre en exergue le positif et à ancrer dans le concret, « down to the ground ».
Je me rappelle de mon double apprentissage des équations du 2° degré en mathématiques,, une 1° fois en France, l’année d’après en Angleterre, qui m’a ouvert les yeux sur les différences d’approche entre Français et Anglo-saxons.
J’avais 14 ans.
En France, le professeur de mathématiques nous avait démontré, avec peine pour nous certes, la formule générale qui allait ensuite nous permettre de résoudre toutes les équations du 2° degré, en appliquant tout simplement cette formule (approche généraliste top/down).
En Angleterre, nous avons commencé par résoudre des équations du 2° degré au cas par cas, sans formule. Au bout de quelques semaines, à partir de tous ces cas particuliers, nous avons dégagé la formule générale (approche concrète, bottom up), puis nous sommes passés à autre chose.

Enfin le morceau de choix, l’épicentre, le clou de ces journées avec David a été L’AUTRE INTERNALISE.
Mais « L’autre internalisé » mérite à lui tout seul tout un article, plus qu’un article, tant c’est subtil, comme une jonglerie aérienne et maîtrisée, qui demande un entraînement fou pour s’y mouvoir avec aisance et facilité.

4 réflexions au sujet de « CE QUE JE RETIENS DE DAVID EPSTON »

  1. Laurence, pour avoir bcp cherché une traduction adéquate, je retiens, si tu me le permets, “connaissance expérientielle” pour “insider knowledge” ! Merci !

  2. Salut Laurence,
    Merci pour cet article.
    J’ai aussi été touché par la “délicatesse” dont tu parles à propos d’Epston, qui manifeste par là cette conscience qu’il a que ses questions touchent à qqch d’intime, de précieux chez la personne, et que celle-ci n’a peut-être pas envie de parler de ça à qqn qu’elle ne connaît pas…
    Ton article m’a fait réfléchir à ce qui m’a le plus marqué moi-même lors de cette classe de mer.

    C’est un épisode précis de la video de l’accompagnement d’Epston à Sebastian.
    Sebastian explique qu’il est un “bon gars” jusqu’à ce que la colère le prenne. Epston se sert à un moment du joueur de foot Tomas Brolin, que Sebastian a re-membré, pour l’aider à lutter contre ce “cactus” de la colère : “Si Brolin avait ce problème, comment agirait-il contre le cactus de la colère ?”. Et Sebastian répond “Parce que c’est un bon joueur de foot, il demanderait probablement à jouer au foot avec le cactus de la colère.”. A ce moment-là, bien que son intention soit de lutter contre le cactus de la colère, Epston obtient une réponse… qui donne un beau rôle à la colère pour Sebastian, risquant ainsi d’épaissir son histoire de problème au lieu de la rogner.
    Epston reprend alors “Ok, disons plutôt que si Brolin jouait contre le cactus de la colère, comment s’y prendrait-il pour marquer contre lui ?”. Et Sebastian répond “Etre malin et la contourner”, reprenant ainsi le fil de l’exploration de la lutte influente contre le problème.

    Il m’arrive de poser des questions qui, bien qu’ayant comme intention de lutter contre le problème, ont pour conséquence au contraire de l’épaissir. Dans ce cas-là, j’essaie de passer par un autre outil/concept/carte.
    Ce que j’ai trouvé très formateur dans cet épisode, c’est la virtuosité avec laquelle Epston “corrige le tir”, tout en conservant la même idée (Brolin comme personnage re-membré aidant à lutter contre la cactus).
    Biz
    Laurent

  3. Laurence, un immense merci de partager avec autant de clarté ce que tu
    retiens de David Epston.
    C’est avec impatience que j’attends son livre, tu me donnes envie de le
    dévorer 🙂
    Merci également à François Balta qui parle de ce respect de l’autre qui est la base d’une réelle coopération. Sans cette “acceptation”, le travail ne peut être utile, efficace.
    Certes il n’y a pas que la narrative dans la vie, mais c’est ce que j’ai rencontré de meilleur à ce jour.
    Merci à toute notre communauté, merci aux invisibles visibles,
    Merci Michael !

  4. Merci à Laurence de ce retour très bien illustré par des exemples concrets de questionnement. Le respect des frontières (ce qui dépend de moi, c’est la question, et je peux à chaque question marquer/reconnaître aussi ce qui dépend de l’autre) est la base d’une réelle coopération.

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