DE DELEUZE À DELOREAN : LA THÉRAPIE NARRATIVE COMME VOYAGE DANS LE TEMPS

imgresUne conférence passionnante et très attendue de John Winslade (NZ) sur le voyage dans le temps, Deleuze, et la thérapie narrative. Notes de travail prises à la volée.

Parler de mémoire, c’est faire référence au temps. John nous propose une machine à voyager dans le temps qui nous emmène où nous voulons dans notre mémoire. Il fait également référence à la façon dont Deleuze, philosophe du temps, conceptualisait la thérapie comme une « machine à expérience » qui permettait au client de mettre au point son propre « projet de devenir ».

Ainsi, la thérapie narrative a déjà le voyage dans le temps au cœur de ses mécanismes. Ceci s’oppose à Freud qui voyageait dans le passé à la recherche des causes et en déduisait à la lumière du complexe d’Œdipe que les abus sexuels étaient des fantasmes et non des traumas réels subis par les patient-e-s (ce qui influence encore beaucoup de traditions thérapeutiques). Ceci s’oppose également à la Gestalt, au behaviourisme ou à la thérapie centrée sur la personne dont le parti-pris est de rester ancré dans le présent (et ce qui est également lié à l’historicité de leurs fondations, après la guerre).

Deleuze propose une philosophie du temps qui pose que les événements préexistent à l’identité. Chaque événement est enchâssé dans une série de variations, et  relié  à ses voisins par le sens (ça vous rappelle quelque chose ?) D’après lui, nous prenons nos décisions sur la base du sens (et non pas de la logique, de l’intérêt, de l’inconscient…) Dans la thérapie narrative, la question actualise l’événement et lui donne sa pleine existence car elle produit l’expérience. John nous dit “qu’une question est une capsule temporelle”.

Les gouvernements totalitaires (comme en Roumanie) ont créé des communautés sans mémoire, y compris le totalitarisme de marché qui dénie le futur et le changement climatique par ex. Le voyage vers le futur serait nécessaire pour éviter les désastres. Deleuze nous propose deux lectures du temps basées sur les Stoïciens : Chronos (passé – présent- futur) et Aion (l’arc du temps, infiniment divisible et plastique). Il pose que la façon dont nous lisons le temps est multiple : rien n’est séparé de ce qui est déjà arrivé, le passé et le futur font partie du présent et l’habitent éternellement.

L’Aion nous offre une base pour évaluer les événements en relation avec l’arc du temps et nous permet de définir “identitairement” une vie, une carrière, une histoire… éthiques. Ce concept de « projet de devenir » supporté par le sens de l’Aion permet de revisiter les catégories narratives que nous connaissons bien : les conversations de remembrement, les conversations externalisantes (fixer une expérience problématique à un certain moment dans le temps et régler le cadran de la machine sur un autre moment, la cartographie (non-causale) des effets du problème, etc. Les connections entre les événements demeurent, déterminées par le sens et rien d’autre.

Quelques exemples de ces questions à voyager dans le temps avec différents réglages sur le cadran :

  • « y a t-il eu un moment où ce problème a pris des vacances et t’a laissé vivre ta propre vie ? »
  • « comment cet événement (unique outcome) cadre t-il avec la façon dont tu veux vivre ? »
  • « Comment ceci parle t-il aux valeurs qui sont importantes pour toi ? »
  • « que dirait ta grand-mère (décédée) des décisions que tu prends pour reprendre la possession de ta vie ? »
  • « quelle est l’histoire de ta capacité à lutter contre les effets de ce problème »

Toutes ces questions « dé-territorialisent » l’expérience d’un moment pour la transplanter dans un autre.

Les thérapeutes ont besoin de machines à voyager dans le temps pour partir à la recherche de la vie. Désolé de ne pas dévoiler un nouveau modèle de DeLorean (voir photo), John  termine sa Keynote par une chanson Maorie qui parle des ancêtres : « quel est le plus grand cadeau que nos ancêtres nous ont laissé ?  C’est le cadeau de l’amour ». Ca aussi, c’est un cadeau de la vie.

3 réflexions au sujet de « DE DELEUZE À DELOREAN : LA THÉRAPIE NARRATIVE COMME VOYAGE DANS LE TEMPS »

  1. Cet exemple de retour vers le futur ne m’est pas inconnu. J’ai souvenir d’en avoir parlé avec David Epston lors de la Master Class à Bordeaux au mois de mars. Très heureux que cette idée pousse dans la boîte à idée des thérapies narratives. Nous pourrions un jour échanger avec John Winslade sur “la thérapie narrative comme voyage dans le temps” entre Deleuze et Ricoeur “temps et récit”…
    Serge Mori

  2. Je suis bien d’accord mais je ne parviens pas à lire le reste de l article.
    Comment y accéder?

  3. Merci à Pierre pour le partage de ces journées.
    Merci John pour cette machine à “voyager dans le temps”
    un véhicule utile et nécessaire n’est ce pas ?
    Tout est dit (ou presque) :
    … une chanson Maorie qui parle des ancêtres “quel est le plus
    grand cadeau que nos ancêtres nous ont laissé ? c’est le cadeau de
    l’amour.”
    🙂

Les commentaires sont fermés.