English version here
Je fais mes bagages. Un coup d’oeil dans mes valises pour voir ce que je ramène de ce printemps narratif d’Adelaide.
D’abord il y a l’anglais et cette impression permanente que même si l’on comprend 90% de ce qui est dit, les choses essentielles et vraiment indispensables sont contenues dans les autres 10%. J’ai échangé avec beaucoup de non-anglophones, de la Russie au Buthan, qui partagent cette vigilance sur le fait que l’anglais, en tant que langage et en tant que culture, ne devienne pas une norme dominante pour la diffusion des idées narratives dans le monde ce qui serait dommage tant ces idées représentent un espoir pour les humains. Non, je n’ai pas subi un lavage de cerveau, je parle librement et de mon propre chef, mais merci de poser la question.
Il y a aussi le constat douloureux que malgré l’infinie patience de David Mann, mes progrès dans la compréhension de cette activité immensément mystérieuse qu’ils appellent le cricket ont été plus que modestes. J’ai appris à distinguer les équipes l’une de l’autre, ce qui n’est déjà pas si mal pour un Français (dixit David).
J’ai découvert un pays cool où on ne se prend pas la tête, où on mange le fromage après le dessert, où les bières sont servies sans verre, où l’on paie l’addition avant de passer à table. J’ai goûté un steak de kangourou et je ne l’ai pas apprécié tellement j’avais trop la honte de manger du kangourou.
J’ai rencontré des narrative people du monde entier et il sont ouverts, fraternels, sensibles, attentifs à l’autre, drôles, sincères (comme nous) et vraiment super humbles (pas toujours comme nous). Après dix ou quinze ans de pratique, de lecture, d’études, ils disent : “j’essaie d’appliquer les idées narratives dans mon travail” mais jamais : “je suis un praticien narratif formé par Michael White”. Autant pour moi et pour tous ceux d’entre nous qui seraient tentés de se la péter parce qu’ils ont suivi quelques workshops, aussi géniaux qu’ils aient pu être.
Sur le plan technique, je suis devenu conscient que le fait de situer les problèmes à l’extérieur de l’individu n’est pas lié à une sorte de métaphore thérapeutique mais qu’il vient du fait que tout simplement, les problèmes sont à l’extérieur, créés et alimentés par l’ingéniérie sociale de contrôle et d’auto-discipline mise en place par le pouvoir moderne. Du coup, l’individu ne m’apparaît non plus comme un corps avec des histoires dans sa tête, mais comme une entité relationnelle située au centre d’un vaste réseau d’expériences mises en histoires, lesquelles relient la personne à d’autres personnages réels ou virtuels et à différentes identités produites, définies et négociées en permanence par ces différentes relations. Non, je n’ai rien fumé, ce n’est pas très gentil de poser cette question.
A propos de questions, j’ai réalisé le point auquel les questions sont “nos pinceaux, nos protest songs, nos outils de travail” (S. Madigan) et combien la fabrication de questions qui permettent de raconter des histoires alternatives riches et puissantes fait la différence et constitue notre compétence d’artisans. Le flux et le reflux des narrations et des renarrations permet de tisser des identités riches d’un continent à l’autre, avec des peuples opprimés, des détenus, des personnes exclues de la société normalisée à cause de leurs orientations sexuelles, politiques ou de leurs origines. Et aussi dans les entreprises. Mon travail va désormais s’orienter vers l’application des idées narratives dans les entreprises, qui sont des communautés, dominées comme jamais dans l’histoire par l’idéologie libérale de la performance, de la croissance et de la rentabilité, dont les savoirs et compétences locaux sont rabotés systématiquement, parfois avec la complicité cynique ou naïve de coachs reconnus.
Mais le plus grand choc pour moi, c’est le travail de David Denborough avec la musique. J’ai réalisé qu’il était possible d’utiliser les chansons et leur fabrication pour faire émerger, rendre audible et honorer ce qui aide les gens à tenir le coup. J’ai déjà exprimé ailleurs dans ce blog cet enthousiasme de sortir la musique du champ récréatif et entendu des réactions sceptiques : ça fait boy scout, ça ne marchera jamais dans la culture française, c’est trop loin de la culture des entreprises. Peut-être. Mais je vais essayer quand même. Parce que chanter des chansons aux gens, c’est une sacrée histoire dans ma vie. Et je connais au moins une personne qui me reconnait pour ça. Pas vous ?
Cette magnifique photo est de Jean-Louis Roux
I’m back : my last letter from Australia (English version)
I’m unpacking my bags. A quick check of my suitcases to see what I have brought back from this narrative spring in Adelaide.
First, the English language, and this constant feeling that even when I understand 90% of what is being said, the essence and really crucial substance is confined in the remaining 10%. I met many non-Anglophones from Russia to Bhutan who share my vigilance vis-à-vis English becoming a dominant story for the spreading of narrative ideas around the world, both as a language and culture, which would be a shame as these ideas represent such hope for humans. No, I was not brainwashed. I speak freely and I express my own thoughts, but thanks for asking the question.
I also have to painfully admit that, despite the infinite patience of David Mann, my progress in understanding the extraordinarily mysterious business referred to as cricket was at the most quite modest. I became able to tell which team was which, which is not too bad for a Frenchman (according to David).
I discovered a “cool” country, where life is simpler, cheese is eaten after dessert, beer is served without a glass and you pay the restaurant bill before sitting down to eat. I tried a kangaroo steak, but didn’t enjoy it for shame of eating kangaroo.
I met narrative people from around the world and found them open, friendly, sensitive, aware of others, funny and sincere (like us) and really very humble (not always like us). After ten or fifteen years of practice, reading and study, they would say: “I try to apply narrative ideas in my work,” but never, “I am a narrative practitioner trained by Michael White.” A good example for me and any others among us who might be tempted to boast about having attended a few workshops, as wonderful as they may have been.
From a technical perspective, I became aware that the fact we situate problems outside of the individual is not based on a therapeutic metaphor, but arises from the fact that, very simply, problems are located “outside”, and are created and fed by the social engineering of control and self-discipline imposed by the modern power. As a result, the individual no longer appears to me to be a body with stories running through his mind, but a relational entity located at the heart of a vast network of experiences creating stories, which tie the individual to other real or virtual people and different identities created, defined and constantly negotiated by these various relations. No, I didn’t smoke anything. That’s not a very nice question.
With regard to questions, I realized the extent to which questions are our “paintbrushes, protest songs and work tools” (S. Madigan) and how the structuring of questions that allow for the telling of alternative rich and powerful stories makes a difference and constitutes our skill as craftsmen. The coming and going of narrations and re-narrations allows for rich identities to be weaved together between continents with oppressed people, prisoners, and those excluded from our standardized society due to sexual or political orientations, or their origins. And also in companies. My work will now focus on the application of narrative ideas in companies, which are communities dominated today more than ever by a liberal ideology of performance, growth and profitability, where local knowledge and skills are systematically shooed away, at times with the cynical or naive complicity of recognized coaches.
But my greatest takeout was David Denborough’s work on music. I realized that songs and their creation could be used to help support the emergence, create a stage for and honor that which helps people face difficulties. Elsewhere in this blog, I have already expressed this enthusiasm and the desire to remove music from the recreational field, and have met with skeptical reactions. “That’s somewhat simplistic.” “That will never work in French culture; it’s too far from corporate cultures.” Maybe. But I’m going to try anyway. Because singing songs to people is a big story in my life. And I know at least one person who recognizes me in this. Don’t you?
(This magnificent photograph is by Jean-Louis Roux)
Je suis touchée par ton partage, tes prises de consciences dilués par ton humour. Un peu comme si on y était …
Ne pas se prendre la tête. Utiliser toutes ses ressources. Oser.
Et on en arrive toujours au même point : c’est soi-même son meilleur outil et son outil final.
Merci Pierre pour cette direction que tu proposes.
UTILISER LES CHANSONS OUI LA MUSIQUE OUI ET LA DANSE ? L’EXPRESSION CORPORELLE ?…
J’adore lorsque des compétences extra professionnelles et importantes pour un individu, peuvent être intégrées et mélangées à l’activité professionnelle pour le plaisir et quelque part, pour “faire de notre vie un chef oeuvre” … Super idée Pierre, d’utiliser tes compétences de musiciens dans ton travail … wouaouh !!! à suivre !
Pierre, lors de ton prochain voyage, tu pourrias envisager de réaliser des podcats en chanson. En tous les cas, merci pour nous avoir fait partager ton day to day. JF