“Vivre ensemble a l’ombre du Génocide”, tel est le problème désormais des survivants rwandais, obligés de cotoyer quotidiennement au sein de leur village ou même de leur propre famille ceux qui ont perpétré des actes épouvantables il y a quinze ans.
Les conseillers en traumatisme d’Ibuka, au nombre de 40, formés par nos amis du Dulwich Center d’Adelaide (Australie) et Evanston Family Therapy Center de Chicago (USA) et rémunérés sur des budgets internationaux en voie de disparition (nous en reparlerons), sillonnent les villages. Ils vont inlassablement de famille en famille pour aider les gens à réparer leur vie, reconstruire un espoir, puiser dans leurs propres ressources, valeurs et espoirs pour arriver à supporter cette difficile cohabitation. Eux-mêmes rescapés ou enfants de rescapés, ils utilisent les idées narratives dans le contexte le plus difficile qui soit.
L’un des aspects des pratiques narratives, développé ces dernières années en particulier par David Denborough et David Newman consiste à utiliser une grande variété d’approches créatives pour documenter les histoires préférées, leur permettre de voyager facilement et de recruter un public. L’écriture de chansons narratives à partir des savoirs et compétences mis en oeuvre par les personnes pour résister à l’adversité en est l’une des possibilités, dans laquelle en tant que musicien, je me suis beaucoup investi personnellement.
A la question de savoir quelles compétences ils avaient mis au point et sur quelles pratiques de vie ils s’appuyaient pour “vivre ensemble à l’ombre du Génocide”, les conseillers en traumatisme réunis en petits groupes de travail ont répondu par une quantité impressionnante d’idées, d’initiatives, de méthodes, dont le retelling occupait 6 pages dactylographiées serrées. J’ai eu le grand honneur d’accompagner leurs mots le long du chemin qui transforme des idées en chanson et de les poser de mon mieux sur une musique. Sans m’étendre sur la composition des chansons narratives (nous en parlerons bientôt à l’occasion d’une Master Class à la Fabrique Narrative), je dirai simplement que faire tenir toute une histoire et des centaines d’idées en quelques couplets et un refrain implique de faire des choix, que ces choix peuvent refléter le coeur des valeurs, espoirs et rêves des narrateurs mais également tomber un peu à côté sans que la compétence du musicien à accoucher la chanson des gens à partir de leurs savoirs soit mise en cause.
Lorsque le groupe ou la communauté se reconnaît dans sa chanson et se l’approprie, cela se traduit par une énergie magnifique. Dès lors, la chanson se déploie et s’envole, elle entre dans le coeur de ses auteurs et devient le porte-parole de leurs espoirs. Nous avons eu la chance de voir ceci arriver à Kigali : d’une petite version guitare et voix, nous avons été portés par l’enthousiasme des conseillers, avec la chance de rencontrer un chanteur lui-même membre d’Ibuka qui a prêté sa voix aux mots des conseillers, une choriste, un pianiste, puis des donateurs qui ont permis de financer l’enregistrement du titre en studio. Cette chanson fait désormais partie du patrimoine culturel d’Ibuka, elle sera jouée lors des cérémonies de commémoration du Génocide, personne ne peut prévoir jusqu’où elle s’envolera. Aussi loin que la porteront les ailes de leur rêve commun…
Pour écouter la chanson, voir ci-dessus.
Avec l’aimable autorisation de l’Association IBUKA. Paroles : les conseillers en traumatisme d’IBUKA, Chant : Pierre Claver Hodali Irakoze, claviers : Venant Tumukunde, guitare et musique : Pierre Blanc-Sahnoun, choeurs : Aya Okumura, arrangements additionnels et ingénieur du son : Patrick Bugingo Ndanga, Enregistré au studio Narrow Road de Kigali (Rwanda), producteurs La Fabrique Narrative, Linda Moxley, Ruth Plutznick. (Attention, sur certains ordinateurs, il faut attendre que la chanson se charge avant de pouvoir l’écouter en entier)
UNE CHANSON-REPONSE D’UN GROUPE DE LA FABRIQUE NARRATIVE
Lors de la master class des 25 et 26 novembre sur les développements créatifs dans les pratiques narratives, avec la visite très appréciée de John Stillmann, nous avons fait un petit atelier de “narrative songwriting” à partir des travax de David Denborough. Entre autres réalisations, cet atelier a débouché sur une chanson collective qui est une réponse à la chanson “des survivants” et que nous avons envoyée aux conseillers d’Ibuka.
Vous pouvez l’écouter ci-dessous :
ou bien en allant à l’adresse suivante :
http://www.divshare.com/download/13340694-22f
Paroles, chant et choeurs : Luc Pouyanne, Chantal Caumel, Martine Blanc, Christophe Belud, Christophe Levéjac, Sandie Rimbert, Dina Scherrer, Laurence d’Andlau, Monique Lévy, Catherine Mengelle, Sandrine Janssen, Elizabeth Feld. Musique et arrangements : Pierre Blanc-Sahnoun. Guitare 12 cordes : Christophe Belud. Pied de micro : John Stillmann. Enregistré et mixé à la Fabrique Narrative (Mérignac) et au studio “Bureau des histoires” (le Bouscat).
Ouh la la c’est beau toutes ces voix mélangées… J’ai chanté avec vous le casque sur les oreilles… Je regrette de ne pas avoir pu être là avec vous. Une prochaine fois. Bravo et merci pour cette création.
ouahhh !!!! bravo pour votre création collective, merci de ce beau partage, je l’ai écouté et réécoutée, j’en ai des frissons…
Ouh! Ouh! Ouh! Ouh! Un refrain d’une unique voix cherchant sa voie a travers tous les continents du monde. La voie aujourd’hui est celle vers le Rwanda, vers “les survivants, bien vivants du Rwanda”. Comment, avec une recette de cuisine de David, une dose d’émotions partagées phénoménale, un Géni-Pierre saltimbanque aux fourneaux, on extirpe une chanson universelle, le temps de boire un café.
L’émotion me gagne encore!!!!!!
J’ai été très émue en réécoutant notre chanson. Je suis fascinée qu’une chanson puisse naitre comme ca en quelques heures grâce à nos mots, au talent de Pierre et à notre envie commune de mêler nos voix et nos mots à ceux “des survivants mais bien vivants du Rwanda”. Je trouve qu’il se dégage une unité, une humanité et une force dans nos voix mêlées nourries de nos propres histoires. Et je comprends bien en nous écoutant l’intention, celle de faire un petit bout de randonnée avec eux, comme des temoins pour leur rappeler les fleurs sur leur chemin.
simplement ,mes larmes ont coulé en écoutant, des larmes de fraternité et d’espoir
J’aime l’idée que la chanson lie, témoigne, donne du sens.
J’aime l’idée que quelque part une souffrance s’allège.
J’aime l’idée que blancs et noirs partagent.
J’aime l’idée que les conseillers soient issus de leur communauté.
J’aime l’idée de te savoir jouant de la guitare pour eux, avec eux, pour nous.
Je pourrais raconter une histoire préférée avec toutes les chansons qui m’ont marqué, des chansons de Léonard Cohen, de Dylan, de Garfunkel, de Barbara… jusqu’à la chanson que mon épouse a composé pour moi le jour de notre mariage.
En revanche la marseillaise ne fait pas partie de mon histoire préférée !
J’attends avec impatience la suite de l’histoire…
Magnifique chanson ! Je garde tant de mots : ensemble, au fond du coeur et continuer pour nos enfants …..
Je garde la couleur de l’espoir et de l’amour pour eux.
Chaleureusement
Chantal
Parfois, la musique se suffit à elle même… parfois les mots n’ont pas besoin de musique…
Parfois, la musique renforce la puissance des mots.
Si je ne devais retenir qu’un seul mot pour raconter toute cette histoire, je retiendrai “CONTINUER”.
Une seule image = le soleil levant
Une seule leçon = avancer, progresser, grandir.
Bravo et merci à tous ceux qui continuent à croire, espérer, construire la vie !
Mes pensées les plus chaleureuses vont vers vous.
Trop beau!!!!! je reste scotché a mon fauteuil. Cette terre d’afrique est pleine de ressources géniales. Longue vie a cette chanson d’espérance!
Top de chez top!!!!
Ces voix, ces mots, cette musique… et mes frissons tout le long… Rencontre de gens d’amour qui a permis quelque chose de merveilleusement beau et vrai.
Ici aussi, j’ai envie de continuer la route de nos parents, pour nos enfants, et pour tous ceux pour qui la vie peut être tellement cruelle. Le souffle de cette chanson est un souffle d’espérance. Merci à tous ceux et celles qui y ont participé, merci à leurs dons de paroliers, de musiciens, de chanteurs et de techniciens.
C’est une très belle chanson.
Silence au fond de moi, après ces mots
ces voix…
Quelle puissance….
Je sens mes larmes devant la beauté; des voix des survivants …
” Nous continuons
la route de nos parents
pour nos enfants.”
Ceci touche ce que Moshe, un survivant de l’Holocauste m’a dit lorsque je l’ai demandé quelles qualités l’ont aidé dans des moments difficiles. Il a répondu : ” L’optimisme et ne jamais baisser les bras”; ce que j’ entends reflété dans ces mots, dans cette chanson que je souhaiterais partager avec lui.
Lors de l’atelier d’initiation de la Fabrique il y a 15 jours, j’ai partagé avec le groupe le témoignage de Pierre sur le génocide que je venais de recevoir en email, (voir dernière Errances). Après la lecture, il y a eu une silence profonde dans la salle. Plus tard dans la journée, en se servant du matériel que le groupe a mis sur des feuilles sur le mur, leurs réponses à cette témoignage, un petit groupe a composé une réponse/re-telling du groupe pour les survivants et pour Pierre:ils m’ont donné l’autorisation de le partager ici:
(ceci devrait être chanté aussi, avec les voix de coeur sur le refrain…):
“Notre silence est témoin de la souffrance que tu racontes.
« Si tu m’avais connu comme je me connais moi … »
Ibuka.
Je suis touché dans ma matrice d’humain et c’est le cœur de groupe qui vous répond.
La haine, l’ignoble, l’inimaginable violence contre la vie.
La violence est en chacun de nous. Il y a un monstre dans l’humain, il est en moi.
« Si tu m’avais connu comme je me connais moi … »
Ibuka.
La fragilité de l’être humain lorsque ses peurs le dominent insuffle le désir de soutenir la vie.
Nous honorons vos forces et vos résistances.
« Si tu m’avais connu comme je me connais moi … »
Ibuka.
J’ai écouté. Nous nous sommes tus. J’ai fermé les yeux, pensé à toi là-bas, vu l’horreur, entendu ta voix et ta guitare et puis vu les sourires et les femmes qui vont à la messe. J’ai senti mon ventre vivre.
« Si tu m’avais connu comme je me connais moi … »
Ibuka.
Formidable chanson. Une belle manière d’honorer leurs maux et leurs mots. “Continuer la route de nos parents pour nos enfants” cette phrase m’a beaucoup touchée. J’ai l’image d’un flambeau qu’ils portent et, en continuant la route et en transmettant ce flambeau ils font en sorte que la lumière ne s’éteigne jamais sur ceux que l’on a perdu. Merci pour ce partage.