L’AMITIE ETHIQUE

par Dina Scherrer

Lors d’une des dernières Master Class, à la Fabrique Narrative à Bordeaux, où étaient conviés Cheryl White et David Denborough, a été abordé un point qui m’a particulièrement touchée et qui parle d’amitié éthique. Si ce point m’a touchée, c’est qu’il m’éclaire encore plus sur les principes de l’approche narrative.

L’idée de « l’amitié éthique » est née de la rencontre de Michael White avec David Epston, un autre psychothérapeute rencontré lors d’une conférence. David Epston animait un atelier avec très peu de personnes présentes. Quelqu’un a dit a Michael qu’il devrait aller voir “ce que racontait ce mec là”, ce qu’il fit et une amitié est née.

Par la suite, Michael et Cheryl, son épouse, invitèrent un soir David Epston à diner. A un moment, Michael se leva : « Je vous laisse, je vais raconter une longue histoire à ma fille pour l’endormir ». Il laissa Cheryl et David seuls un bon bout de temps. Puis, il revint avec l’enfant qui ne s’endormait pas. David Epston, en spécialiste de l’enfance, proposa alors à Michael de ramener la petite au lit pour l’endormir lui-même. Après pas mal de temps, la petite fille dit à David : « Est-ce que tu peux renvoyer papa ?  Il raconte de meilleures histoires que toi ! ».

Cette petite aventure a été l’occasion pour les deux hommes d’échanger sur les quelques principes devant orienter les comportements dans une amitié vraie :

 « On sera  honnêtes, on  partagera nos erreurs et nos limites, on n’essaiera pas d’avoir une image qui ne correspond pas à nous mêmes. On veut pouvoir parler de toutes choses et partager les espoirs, être ouverts et directs l’un envers l’autre. On décide de rester  reliés, connectés avec les choses qui nous tiennent à cœur et on ne se laissera pas entrainer, ni dériver.»

Tout cela a l’air de bon sens en amitié, n’est-ce pas ? Cependant, pour comprendre la portée de l’histoire, il faut bien en analyser le « fait générateur ». Que s’est-il passé en fait autour de cette fillette qui ne s’endort pas ? Un ami de passage propose de venir à l’aide du père qui ne parvient pas à l’endormir. A priori, rien que d’anodin et de bien intentionné… Ce pourrait-être vrai et il n’y aurait rien de plus à dire. Mais les protagonistes de l’histoire, David et Michael, en l’occurrence, on perçu autre chose: derrière l’aide spontanée, David avait une posture de compétition. En douceur, son offre  sous-entend: “Je vais te montrer ce que je sais faire!” Michael et David ont eu la sagesse de s’en rendre compte, ce qui leur a permis d’en parler et de poser les principes de « l’éthique de l’amitié ».

On pourra dire que la société anglo-saxonne privilégie la compétition, qu’elle y est un réflexe naturel et qu’il n’en est pas de même chez nous. Cependant, quand on s’observe assez finement, on peut repérer quelquefois la petite tentation que nous avons tous de « se la péter » et, même si on le fait gentiment, ce n’est pas sans conséquences. Cela peut être la manifestation d’une histoire personnelle d’infériorité qui resurgit ici et là et contre laquelle nous essayons de réagir. C’est humain, bien sûr. Mais cela peut polluer une relation, d’autant que l’autre ressentira sans doute comme une petite piqûre d’épingle mais le gardera pour lui.

David et Michael convinrent de vivre leurs principes pleinement, par exemple, de s’appeler quand ils seraient en difficulté dans leur vie professionnelle. Pendant notre Master Class, la mise en pratique de cette histoire s’est traduite par cette invitation : « Trouver un endroit dans notre vie ou nous nous sentons capable de tout partager sans être dans une attente imposée d’une image. Réfléchir avec qui nous pourrions, dans cet esprit-là, partager nos erreurs pour les transformer en enseignements et en nouvelles pratiques ».

 

Dina Scherrer fait partie à titre permanent de  la Faculté de la Fabrique Narrative , qu’elle a intégrée à la rentrée dernière en même temps que Catherine Mengelle.