Lapsang but implicit

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Ce “pun” (désopilant) d’Elizabeth Feld, amatrice de thé de Chine devant l’éternel, permet d’introduire l’un des concepts les plus vertigineux de l’approche narrative.

Nous avons repris au cours d’un séminaire avancé de la Fabrique Narrative la carte de l’absent mais implicite qui avait été présentée en septembre 2008 à Paris par Shona Russell et Sue Mann, comme un travail en cours de développement, et nous avons essayé de la retraiter à la manière de la Fabrique, c’est à dire comme une carte de randonnée qu’il convient de considérer depuis le ciel plutôt que comme un édifice vertical que l’échafaudage de questions permettrait de bâtir peu à peu.

De quoi s’agit-il ? Dans toute plainte d’un client relative à une histoire dominante de problème, il y a un sous-entendu relatif à la possibilité d’autre chose de plus satisfaisant. Et dans l’existence même de cette possibilité, qui permet de formuler cette plainte, il est posé implicitement que le client a déjà été en contact avec cette autre chose plus satisfaisante. Exemple : si le client se plaint de la solitude, c’est qu’il a une certaine expertise sur ce qui serait différent de la solitude et plus satisfaisant pour lui. Cette expertise passe par une construction narrative sur ce thème : films, rencontres, livres, super-héros, histoires familiales, culturelles ou religieuses… sa notion de la “non-solitude” a une histoire sociale et culturelle. C’est cette exploration que nous propose le travail sur l’absent mais implicite, soit en passant par la mise en lumière de ses réponses et de ses résistances au problème, résistances qui impliquent une compétence souvent noyée dans le déferlement du problème, soit par l’exploration du champ sémantique de la plainte.

Et c’est là que cela devient vraiment intéressant. Car chaque personne propose sa propre construction narrative du monde, et si pour moi, le noir est l’opposé du blanc, pour le client, ce sera peut-être le rouge ou le vert. De même, le contraire de la solitude pourra être l’amour, le lien, la famille, la compréhension, etc. Comme le disait Michael White (2007), la plainte est à la fois une entreprise de résistance, mais un poteau indicateur vers une valeur préférée à laquelle elle rend hommage.

L’absent mais implicite est un fabuleux raccourci, fondé sur la déconstruction Deleuzienne de l’histoire de problème et de la façon spécifique dont le client a choisi d l’exprimer. Le contexte élargi qui nous est donné à voir ici est un contexte langagier, fondé sur l’acte de nommer ce qui est et de choisir ce nom par rapport à ce qui, personnellement, est considéré comme son contraste. De même qu’un thé n’est ni un café, ni un Coca, ni un Ricard, ce qui est important ici est de savoir ce que le thé n’est “le plus pas”, spécialement, pour cette personne particulière.

Michael White a écrit un article célèbre sur le sujet : “Re-engaging with history : the absent but implicit”, que Béatrice Dameron a eu l’heureuse idée de traduire en Français et de mettre prochainement à la disposition de tous les praticiens francophones sur son site www.croisements-narratifs.fr

Nul doute que ce concept extraordinairement puissant (et extraordinairement difficile à enseigner) ouvre un champ d’investigation nouveau et passionnant, et que vos témoignages sur les conversations que vous avez menées avec vos clients sur ce thème seront éclairantes pour tout le monde, si vous voulez bien les partager.

7 réflexions au sujet de « Lapsang but implicit »

  1. Merci encore Beatrice pour ce travail extrêmement précieux de traduction et de décryptage. C’est vrai que l’absent mais implicite est loin d’être la partie la plus simple de la narrative car nous touchons là au cœur de l’architecture du langage, au “macro-assembleur” de notre représentation du monde et de nos vies dans le monde. Mais quelle puissance, quelle beauté, quelle poésie ! Nous y reviendrons…

  2. Merci Béatrice ! Vos traductions sont un outil très précieux. Je viens d’imprimer l’Absent mais implicite. J’avoue que j’ai du mal à intégrer cette notion. L’étude de ce texte est alors une nécessité.
    Je vais donc lire, relire, essayer de comprendre la finesse et la subtilité de cette approche qui paraît essentielle.

  3. La traduction de « Se ré-engager avec son histoire : l’absent mais implicite » est prête : http://www.croisements-narratifs.fr/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=38&Itemid=79
    A me replonger dedans, j’ai une fois de plus été frappée par la beauté des cas présentés et par l’émotion qu’ils me font partager.
    Je remarque aussi que Michael parle rarement de « l’absent mais implicite », et beaucoup plus souvent de « ce qui était absent mais implicite dans ce qu’exprimait … ». C’est-à-dire que cet inexprimé ne correspond pas à une catégorie conceptuelle (le contraire, ou l’opposé, ou…), mais renvoie à des expériences spécifiques de son histoire qui ont eu du sens pour l’auteur. Et ce sens, même quand il est présent seulement à l’état de fine trace, permet à l’auteur de discerner des différences entre les expériences de sa vie, au point de pouvoir mettre un nom sur ces différences : par exemple, quand la vie est perçue comme injuste, ou qu’elle provoque du désespoir, ou une colère destructrice, c’est l’expression d’une différence avec d’autres expériences vécues.
    Michael réfute l’idée suivant laquelle c’est dans l’ordre des choses que quelqu’un qui a subi des trauma ou des deuils soit désespéré, ou se sente sans valeur. Il ne croit pas qu’il existe une nature humaine qui puisse expliquer ça comme quelque chose de bien naturel. Et il pense qu’une telle approche «naturaliste » ou « humaniste » obture la curiosité du praticien. Et qu’elle aboutit à une impasse : une conception de l’identité comme mono histoire (définie par la plainte ou le trauma).
    La posture narrative témoigne du fait que quelqu’un qui n’aurait connu que des abus ou des disqualifications par exemple, et n’aurait aucune expérience différente, serait dans l’incapacité de nommer l’injustice ou l’abus. Dans cette optique, l’exploration de l’absent mais implicite dans ce qui est exprimé permet de restaurer des conceptions de l’identité comme multi histoires en rappelant des histoires de résistance, ou de re-groupement, ou de connexions, ou d’initiatives personnelles …

  4. Je n’ai pas la prétention d’être éclairante ! après réflexion, je dis quand même…
    J’ai entendu prison qui aurait du être privation de liberté… et c’était son contraire vivre libre, un “asile” contre l’agression.
    J’ai entendu suicide, et c’était son contraire, un désir de vie, comme un coup de pied au fond de l’eau !
    J’ai dit la haine… et c’était l’amour !
    Trois exemples où les mots exprimaient leur contraire !
    On peut tout mettre dans un mug ! homonyme, synonyme, contraire…
    On peut aussi tout lire, interpréter, dire !
    On peut même se tromper…
    Sans doute difficile à enseigner “le plus pas”… et à pratiquer ?
    Ne risque-t-on pas d’ offrir ou d’imposer au client une intention qu’il n’a pas; par exemple, vouloir à tout prix positiver ?

  5. Pas de belles histoires d’absent mais implicite pour le moment, mais je voulais dire que “Lapsang mais Implicite” était une idée “collective” de la Cooperative, qui mérite tout de même qu’on fasse un T shirt pour la prochaine conférence narrative.

    Bel article. Merci,

    Elizabeth

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