L’au-dehors et l’en-dedans

La construction de passerelles entre l’approche narrative et la psychanalyse n’en est encore qu’à ses débuts.

De nombreux éléments les séparent (rôle du transfert, définition de l’inconscient, construction théorique, posture du praticien, stratégie du silence…) encore qu’il existe beaucoup d’écoles et de styles de pratiques différents de la psychanalyse dont certains sont très narrativo-compatibles. Un article de Christian Beels, un psychiatre qui a eu une longue relation professionnelle avec Michael White offre des pistes intéressantes. Cet article intitulé “Some historical conditions of narrative work” (Family Process Vol 48. No3, 2009, disponible en téléchargement sur le site du Dulwich) remet en perspective les origines de la psychanalyse, de la thérapie familiale systémique et de l’approche narrative qui en est historiquement issue.

Une phrase de Jacques Lacan, citée récemment par Thierry Groussin, offre également une nouvelle perspective : “l’inconscient, ce n’est pas l’au-dedans mais l’en dehors”. Cette phrase est éclairante car elle propose une topologie de l’inconscient alternative au modèle de Freud, énergétique, qui peut rappeler la thermodynamique et où Michael White et David Epston voient une référence métaphorique à la machine à vapeur, dispositif technique le plus complexe de l’époque (“Les moyens narratifs au service de la thérapie”, Satas, 1980).
L’inconscient comme un “en-dehors” évoque pour sa part le travail clandestin des histoires dominantes, ce que Michel Foucault appelle les “idées silencieuses” qui produisent à leur insu les représentations du monde des individus et des groupes.

Ainsi externalisé, l’inconscient ne relève plus de la chaudière pulsionnelle individuelle, mais de la partie de la construction identitaire opérée dans l’ombre par ces “métaphores mortes” (M. White) qui se présentent comme des vérités et occupent tellement de territoire qu’il n’y a plus de place dans la vie de l’individu pour la moindre voix minoritaire ou version alternative.

6 réflexions au sujet de « L’au-dehors et l’en-dedans »

  1. Chaque lecteur est libre de répondre à un commentaire en fonction de son intérêt pour le sujet et pour le commentaire en question. D’expérience, les commentaires qui suscitent le plus de réactions sont ceux qui ouvrent de nouvelles perspectives de réflexion et proposent de nouvelles options.

  2. Et pourquoi ne pas construire de passerelle?…

    Pourquoi la psychanalyse demeure-t-elle une référence en psychologie ou en psychothérapie? peut-être tout simplement parce que tous les professionnels du champ de la santé mentale en France ont nécessairement étudié le modèle psychanalytique.

    En quoi est-ce un problème? ça n’empêche pas de réfléchir, de critiquer, de s’en détacher, d’en garder ce qui fait sens pour chacun et de s’ouvrir à d’autres modèles et systèmes de pensée.

    La psychanalyse n’est pas les hommes, Freud ou Lacan. Tout comme la narrative n’est pas Michael White.

  3. Pourquoi construire absolument des passerelles entre deux approches si différentes. Le refus de Michael White d’apparaitre comme un gourou est important et il s’oppose au comportement de Freud ou de Lacan qui ont tout fait pour s’entourer de mystère et créer l’école psychanalytique sur le modèle des religions en excommuniant d’avance les sceptiques.

    Pourquoi faut-il toujours que la psychanalyse soit la référence en matière de psychologie ou de psychothérapie ? A écouter l’intervention de Michel Onfrey presque au début de cette émission.
    http://www.franceculture.com/emission-conferences-de-michel-onfray-questions-reponses-14-2010-07-30.html

    A noter pour ceux qui ne supportent pas Onfrey qu’il a demandé à ce qu’un cours sur la psychanalyse soit organisé dans le cadre de l’UP. Belle leçon pour les sectaires.

  4. Merci de votre commentaire Catherine. J’étais un peu déçu du manque d’enthousiasme sur ce sujet qui est pourtant fondamental et passionnant. Nous souhaitons que sur ce blog, le débat et l’échange intellectuels aient leur place, même si les émotions et les enthousiasmes sont évidemment les bienvenus. Votre commentaire va dans ce sens.

  5. J’applaudis! A l’origine d’obédience psychanalytique, puis formée à la narrative et à la systémie, ma pratique professionnelle emprunte ces différents regards au gré des situations et de mes ressentis. Ils coexistent sans se faire de l’ombre et constitue pour moi une grande richesse.
    J’ai entendu beaucoup de discours réfractaires à la psychanalyse dans le milieu de la narrative, à la mode de “c’est le dernier qui a parlé qui a raison”, Mickael White étant encensé comme celui qui a révélé “la vérité”, à l’opposé même de ce qu’il a enseigné.

    A l’image de la Rhune en pays basque, que vous la regardiez depuis Ascain, Hendaye ou l’Espagne, les points de vue ont beau être très différents, il s’agit de la même montagne.
    C’est dommage de ne rester qu’à Ascain et de se priver du panorama vu d’ailleurs.
    D’autant qu’à y regarder de plus près, les points de vue se rejoignent.

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