Par Pierre Blanc-Sahnoun
Il y avait l’externalisation, le re-authoring, le remembrement, le travail avec les témoins extérieurs, les cérémonies définitionnelles, il y a désormais le “témoin intérieur”.
Pour l’instant, c’est une pratique qui s’adresse plutôt aux superviseurs, mais rien n’est (jamais) figé. La pensée de David Epston est à son zénith, il pétille d’idées et de pistes nouvelles, relie des champs a-priori éloignés, brode des questions inimaginablement poétiques, branche des parapluies et des machines à coudre sur des tables de dissection.
Et dans cette “re-paradigmisation” des pratiques narratives à laquelle il se livre joyeusement, il ne cesse jamais d’être fidèle à Michael White, à leur amitié, à leur recherche sans limite, à leur aventure commune qu’ils rechignaient tant à enfermer dans un nom.
David se rapproche d’autres sources de la narratives et ré-explore notamment le travail de Kirsten Hastrup, anthropologue danoise et sujet d’une fascinante expérience théâtrale. Se prêtant à la création d’une pièce sur elle, elle répond à toutes sortes de questions des membres de la troupe qui va écrire et jouer cette pièce. Assistant à la représentation de sa vie, qui met en scène un “non-moi”, elle réalise que devenue public d’elle-même, ce qu’elle est en train de contempler est en fait un “non-non-moi”.
Cette expérience changera sa vie. Elle écrira avoir accompli par la suite des choses dont elle n’aurait jamais imaginé être capable sans cela. David le théorise à peine et le transpose tout cru dans le champ de la thérapie narrative, en retirant une pratique de supervision fascinante qu’il appelle “insider witness” (*) par opposition à l'”outsider witness” de Barbara Myerhoff, même si finalement les deux techniques ont beaucoup de points communs, à commencer par leurs représentations de la construction de l’identité.
Donc, le thérapeute joue le rôle de son client et l’interprète librement. Il est interviewé par le superviseur comme s’il était le client. Ils parlent librement de tout, y compris des espoirs et des rêves du thérapeute pour le client. L’ensemble est enregistré et documenté. Dans un deuxième temps, le client est invité à regarder l’enregistrement et à réagir sur les réponses de son thérapeute, précisant notamment les réponses qu’il aurait données lui aux mêmes questions et explorant avec lui l’interstice entre les deux réponses.
Les possibilités sont énormes, les quelques exercices que nous avons faits vertigineux. “L’expérience confirme le point que les identités sont toujours intentionnelles, inventionnelles et inventives, dit David, il n’y a pas d’existence du moi, mais une invention de moi-même pour moi-même”. Gageons que nous allons être nombreux à tester cette approche et à pouvoir continuer à apprendre ensemble en échangeant sur nos découvertes. De belles choses sont à construire.
(*) : “témoin intérieur” s’est imposé pour le traduire en français mais le débat reste ouvert.
Un article est en cours de rédaction par David Epston, je vous tiens au courant dès qu’il est formalisé. Ce post avait pour but de rendre compte de l’existence de cette piste de recherche mais certainement pas que des praticiennes et praticiens narratif(ve)s ne se lancent sur la foi de ce simple petit article, bien évidemment. Quand on voit la difficulté et la finesse que cela réclame, allons y prudemment et n’oublions jamais, comme le dit David, que “toute question peut être humiliante”…
Bonjour et merci de ton article, Pierre. J’y ajoute deux mots qu’a utilisé David:
Rigueur et consentement.
Je ne sais pas si nous allons être nombreux ou pas dans les jours qui viennent, à l’utiliser directement, mais si oui, n’oublions pas ces deux mots-là!
David nous a invité à bien nous entrainer avant d’inviter les clients là- dedans, et aussi à tout faire, dans l’exploration de nouvelles territoires avec le plus grand rigueur.
quelle aventure!
Nota il n’y a pas d’article pour le moment sur ces pratiques….
Que dommage que je n’aie pas pu assister à la conférence cette fois-ci. J’aimerais beaucoup en apprendre davantage sur ce témoin intérieur : existe-t-il quelque part un article à propos des travaux de David sur ce sujet, même en anglais ? Si oui, comment puis-je me le procurer ?
Bonjour et merci Pierre pour ce résumé et la possibilité que tu nous offre de “dèbattre” sur le terme de “témoin intérieur”.
Personnellement, si demain, en supervision, je viens exposer le cas d’un de mes patients (en thérapie), je n’aurai pas l’impression de me positionner comme témoin intérieur mais, de livrer un témoignage internalisant qui m’aidera pour la suite de la thérapie !…
Très bonne journée
Sandrine