Ne stressez plus !

Chacun donne le meilleur de lui-même quand il n’a plus besoin de stresser. Une chronique de PBS (“Newzy”, septembre 2008) controversée par certains coachs et psys spécialistes du stress qui s’accrochent à l’idée du “bon stress”…

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Certaines critiques du coaching ne sont pas fondamentalement dénuées de fondement. Ainsi, celle développée notamment par Roland Gori de faire oeuvre de normalisation sociale, c’est-à-dire d’être les agents involontaires (ou opportunistes) d’un système qui pousse les managers à la conformité disciplinée à l’égard du dogme de la performance obligatoire. Je trouve que l’histoire du « bon stress » et du « mauvais stress » en est une illustration intéressante.

Il existe en effet une espèce de culture du sens commun managérial qui s’est développée ces dernières années, selon laquelle, grosso modo, un peu de stress, c’est du bon stress : il vous aide à relever les défis, améliorer vos performances, avoir des idées, de l’endurance, du culot, etc. C’est une sorte de doping naturel non seulement acceptable, mais nécessaire pour aider le manager à répondre aux nombreux challenges de son environnement, forcément « stressant », exigeant un dépassement de soi permanent (et blabla, etc.)

Le mauvais stress, par contre, c’est celui qui bouche les artères, qui dézingue les anévrismes, qui coince le dos, qui vous réveille à 4 h du matin avec les autoroutes de l’information dans la tête… Eh bien je n’y crois pas. Il n’y a pas de bon stress. Il y a juste le stress de faire des efforts importants à longueur d’année pour atteindre les objectifs et ne pas se faire virer, et la façon dont chacun s’y prend pour s’adapter tant bien que mal…Faire croire aux gens qu’une partie du stress est bonne parce qu’elle leur donne du coeur à l’ouvrage, c’est un peu comme si on leur disait que fumer (mais juste un petit peu), prendre de la coke (mais pas trop), ça aide à se mobiliser et à travailler plus efficacement. Le stress, c’est un coup de martinet, une décharge chimique qui injecte sa dose à notre organisme pour qu’il puisse grimper la côte. Faire l’apologie du bon stress et du bon stressé, c’est faire oeuvre de normalisation économique en accréditant l’idée que la performance est inséparable de l’effort et que cet effort est favorisé par des stimulants dont les effets collatéraux sont l’inévitable prix à payer pour rester au top.

Moi je pense que les enfants ne stressent pas quand ils jouent, que les artistes ne stressent pas quand ils créent, que les surfeurs ne stressent pas quand ils ont trouvé le bon angle sur la vague, que les bons vendeurs ne stressent pas quand ils vendent, mais qu’ils s’amusent. Je pense que chacun d’entre nous donne le meilleur de lui-même (et le meilleur de ses performances) quand le stress n’est plus nécessaire, car notre activité s’inscrit dans nos valeurs, nos projets, nos rêves, nos engagements, que cette activité a un sens précis pour nous, que nous nous y sentons compétents, respectés dans cette compétence et contribuant ainsi à un objectif que nous trouvons juste et utile.

On ne fait pas toujours ce qu’on veut et évidemment, dans toute activité, il y a une part génératrice d’effort, d’inconfort et donc de stress. Mais inciter les gens à stresser en leur disant que ça les rend plus performants, c’est les inciter à se soumettre sans discernement aux contraintes les plus toxiques de leur environnement et à considérer que s’ils ne parviennent pas à devenir un « bon stressé », mais persistent à en souffrir mois après mois, c’est obligatoirement qu’ils ont un « problème de stress ». Et ça, c’est dangereux, parce que c’est un mensonge.

4 réflexions au sujet de « Ne stressez plus ! »

  1. J’avais tendance en effet à confondre les notions de trac et de stress. Ce ne sont pas les mêmes. Les Anglophones ne les confondent pas du tout :

    “J’ai le trac “se dit “I’ve got the wind up” (dans le sens “vent” de wind), belle image même si elle m’échappe un peu mais je ne suis pas anglosaxonne pour bien saisir les subtilités du vent et de la pluie, et je pressens même du plaisir dans ce wind up !!!
    Stress signifie force, contrainte, efforts, agitation, tension en mécanique, tension nerveuse en médecine (source : Harrap’s).

    J’entends bien là la différence que vous faites entre un effort choisi et un effort subi.
    Néanmoins, un étudiant qui a le trac avant de passer un oral, est-il dans une situation choisie ? Peut-être, en fait, à la différence de l’étudiant stressé à qui cette épreuve serait imposée.

  2. Bonjour Pierre, je découvre cet article en visitant tes Errances Narratives, et je me réjouis de découvrir que je ne suis pas le seul à penser que le “bon stress”, c’est du bullshit…
    Croire que les résultats n’ont de valeur que si les obtenir a été long et difficile (et stressant, tant qu’à faire), plutôt que rapide et amusant, ça doit faire partie du discours dominant.
    Et ta réponse au premier commentaire met le doigt sur l’élément clé qui génère le stress : le fait qu’une situation est subie au lieu d’être choisie. J’ajouterais que l’impression de n’avoir aucun contrôle sur la situation est aussi un facteur clé, comme cela a été mis en évidence dans un certain nombre d’études.
    Bien à toi.

  3. Merci Elizabeth pour votre commentaire… qui va dans le sens de mon propos. Appelez cela “stress” si vous voulez mais y a t-il vraiment un rapport entre la sensation que vous ressentiez d’être enceinte et ce qui arrive à un manager obligé de licencier son équipe alors qu’il ne le désire pas, ou bien un ouvrier confronté à un plan social ? La différence, justement, c’est le désir lié à la situation, le fait qu’elle est choisie et non subie.

  4. Comme j’aimerai vous croire. Cette image d’une vie qui serait tellement douce sans stress…est tentante…

    Et pourtant tellement de choses dans mon expérience me montre le contraire. Le plus grand et le plus délicieux des stress que j’ai connu c’est quand j’étais enceinte. Bien sûr cela aurait sûrement été mieux sans, mais comment l’éviter ? En ne faisant pas d’enfant?

    Un autre stress terrible et tout aussi délicieux c’est avant de monter sur scène, le fameux trac, quand on se dit “mais qu’est-ce que je fait là? ” Et pourtant pour rien au monde un acteur ne voudrait être ailleurs. Alors bien sûr il s’agit de jouer…et de se jouer de ce stress là…

    Voilà, merci pour votre article qui m’a obligé à me poser la question.

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