SÉRENDIPITÉ ET POSTURE DÉCENTRÉE

serendipitePar Laurence d’Andlau

Un article qui explore les liens qui peuvent exister entre l’approche «sérendipitesque» et l’approche narrative.

Je viens de lire un petit livre, prêté par un ami scientifique, qui m’a passionnée :
« Des hommes couverts de nuages » . Pourquoi ce titre, me suis-je demandé. L’explication ne vient que dans le cours du livre : obnubilare en latin signifie « couvrir de nuages ». Lorsque nous sommes obnubilés par un « objet unique », nous sommes couverts de nuages et nous devenons quasi stériles face à des problèmes pour lesquels les réponses nous sont a priori inconnues. Obnubilés par quoi ? Par une obsession ? Par une histoire dominante que nous nous racontons et à laquelle nous ramenons tout ce qui nous arrive et même nos projets ?

La sérendipité, c’est l’inverse de l’obsession qui nous couvre de nuages et nous empêche de voir clair et large : c’est une attitude de curiosité, un désir d’exploration et de découverte, une capacité à s’étonner, une disposition pour aller vers l’inconnu, bref une posture décentrée dirions-nous en langage narratif.

L’attitude de curiosité, le désir de découvrir, la capacité à nous étonner et à être créatifs nous font sortir de chemins connus pour aller explorer des chemins vicinaux.
Nous prenons le risque de quitter une voie dominante, un objet unique, pour nous engager dans un chemin de traverse dont l’issue est incertaine. C’est aussi nous donner la chance de découvrir quelque chose d’inconnu de nous.

Comme l’explique clairement Roselyne Granier , c’est en faisant preuve de sérendipité que Fleming a découvert la pénicilline. De nombreux autres scientifiques ont eu ce même talent, souvent accompagné d’un saut inventif, lorsqu’ils ont découvert le stimulateur cardiaque, le walkman, le post-it ou le verre de sécurité, pour ne citer que ceux-là. Ils étaient engagés dans une belle voie de recherche, lorsque de manière inattendue, ils ont remarqué une petite chose qui pouvait paraître au premier abord anodine et sans importance. Cela a été leur choix que de s’intéresser à ce « crapaud » , leur décision de changer le cours de leur recherche, de porter leur attention sur une chose a priori secondaire, de se décentrer et de s’engager vers ce qui allait peut-être devenir une pépite.

Or, que faisons-nous dans nos démarches de coaching narratif ?
Nous entendons « l’histoire dominante » certes, mais notre attention est prête à remarquer ce qui est secondaire, à peine visible et perceptible, a priori négligeable, ou tout au moins différent. Et nous sommes prêts à le ramasser, le mettre sur la table, et à déployer notre créativité au service d’une avancée en terrain inconnu.
La démarche narrative ne consiste-t-elle pas justement à le mettre à la lumière, à travailler dessus, car il peut devenir porteurs de nouvelles possibilités ?

En tant que coachs « narratifs », nous nous mettons dans une posture « décentrée et influente » qui va donner à nos clients la liberté de choisir de privilégier une « histoire préférée », i.e. une voie qui correspond à ce qui est le plus important pour eux et à ce qu’ils aiment faire. Ce faisant, la liberté de sortir d’une voie dominante souvent imposée par la société, par exemple une exigence redoutable d’efficacité et de perfection en toutes circonstances (aussi bien professionnelles que personnelles et familiales) .
Une posture décentrée et influente qui nous permet d’aider nos clients à sortir d’une focalisation sur un objet unique qui les obnubile et les couvre de nuages, et de déplacer leur attention vers d’autres objets possibles.

« Exoticiser le domestique », disait Michael White. Une façon de regarder autrement : voir des détails insignifiants comme importants et intéressants à explorer. C’est la même chose. On va avoir la même écoute « sérendipitesque » du client parce que des choses qu’il dit et qui n’ont l’air de rien, au lieu de les laisser passer, on va tout de suite les chopper, les mettre en exergue et les explorer. Dans un état d’esprit composé de disponibilité, de curiosité et d’émerveillement.

Sur le même sujet, voir aussi :

Serendipité et coaching, un article de Roselyne Granier

Notes : 

[1] Des hommes couverts de nuages, de Miguel Aubouy, Les Editions Nullius in Verba, 2013

2 « Sérendipité et coaching » par Roselyne Granier, in la Newsletter de Mediat Coaching n° 162, mars 2015, voir le lien ci-dessus.

3 Dans les contes, le crapaud  symbolise « une chose minuscule, sans intérêt, sans grâce, sans pertinence apparente, qui ne paie pas de mine », à côté de laquelle on passe facilement sans s’y intéresser ni la prendre en compte. Or le héros se penche vers cette chose insignifiante et imprévue, à un moment précis de son histoire.

4 cf les « shoulds » et les « coulds » de l’approche narrative, mis au point par Amanda Redstone, Sarah Walther et Annette Holmgren

10 réflexions au sujet de « SÉRENDIPITÉ ET POSTURE DÉCENTRÉE »

  1. Bonjour,
    Je tombe sur cet article et n’y suis pas indifférent.
    Je viens en effet de publier mes mémoires chez Atramenta (Atramenta.net) sous le titre : Le sérendipiteux, maïeutique mémorielle brouillonne.
    Peut-être que ce livre peut vous intéresser.
    J’ai publié à cet occasion un article sur mon blog (voir site web mentionné) : “Pour être lu, il faut être nu”.
    Cordialement.
    D. Martin-Prével

  2. Sérendipité … et si c’était comme de jouer avec les nuages, de leur souffler dessus afin d’observer leur changement de forme et de saisir l’ étoile filante ou la bulle de savon qui n’attendait que cela…
    merci Laurence, merci Errances.

  3. Bonjour, je découvre votre site et ce blog avec plaisir, conseillée par un ami et pair.
    Merci Laurence de cette belle correspondance entre pratique narrative et sérendipité.
    Puisse cet état d’esprit diffuser et amener de la lumière autour de nous ;o)
    Le lien vers mon article sur sérendipité et coaching : http://www.mediat-coaching.com/blog-2015-03-01-serendipite-et-coaching.html
    Bien à vous tous,
    Heureuse de rejoindre votre communauté de réflexion narrative
    Roselyne

  4. @Elizabeth … Après avoir lu moi aussi l’an dernier ce petit livre superbe de Miguel Aubouy en 2014 (cliquer sur le lien), j’ai pris contact et déjeuné avec lui quelques semaines plus tard, je lui ai raconté mon histoire de nuage ouvert ce qui l’a touché, et je lui ai parlé de narrative ce qui l’a fort intéressé … Il sera je l’espère un de nos invités le moment venu !
    Ses 4 livrets sont des bijoux http://nulliusinverba.fr/des-hommes-couverts-de-nuages/ et plusieurs devraient suivre 2016.
    ps : il faut vraiment que je me mette à écrire pour le blog de la Fabrique 🙂

  5. Merci Laurence pour ce partage. Une belle manière de faire le lien avec la posture narrative et tout ce qu’elle permet en terme de nouveaux chemins possibles. Bises. Dina

  6. Merci Laurence,
    Belle image et métaphore bien porteuse!
    Je ne peux pas m’empêcher de faire le lien avec notre ami Pierre C qui s’est de- obnubilé en devenant Nuage Ouvert….
    Comme quoi!…
    Elizabeth

  7. Merci Laurence de cette belle métaphore qui me renvoi directement a un de mes amis photographe, Jean Jacques Dornes (je vous engage d’ailleurs a regarder son travail de rue), qui a fait une exposition photographique intitulée “sur les trottoirs de Sérendipe”.
    Trés belle exposition et ce que tu viens de nous conter me fait voir toutes les photos de Jean Jacques sous un oeil bien différent. Leur expression artistique a changer de sens dans ma mémoire.
    Incroyable…..

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