Ruth Pluznick était à Bordeaux pendant deux jours pour un séminaire sur l’approche narrative et la santé mentale.
Elle nous a parlé en particulier du projet qu’elle mène à Toronto avec son associée et qui consiste à interviewer des enfants qui ont grandi avec des parents confrontés à des difficultés mentales importantes, puis à interviewer les parents individuellement et en groupe, et à croiser les expertises de vie des deux groupes en les documentant.
C’était la première fois que la Fabrique Narrative organisait un séminaire très clairement tourné vers la psychopathologie. Nous ne faisons pas en général une très grande distinction entre coaching narratif et thérapie narrative dans la mesure où nous considérons qu’il s’agit de deux processus d’accompagnement aux intentions relativement proches, même s’ils se réalisent dans des contextes éloignés.
Pourtant, le tout petit groupe qui a vécu cet atelier avec Ruth a pu réfléchir au fait que si les pratiques narratives sont consistantes dans la recherche des compétences de vie des clients et dans leur façon de transformer le client lui-même en consultant, avoir de bonnes connaissances en psychopathologie est tout de même très appréciable pour un praticien narratif, non pas pour soigner lui-même, mais pour repérer et orienter.
Nous avons peut-être été trop influencés par un discours théorique et radical sur Foucault, l’histoire de la folie, le pouvoir moderne et sa façon de classifier les individus dans des catégories définies par la norme sociale. Nous avons peut-être pris des positions un peu excessive sur le rejet de toute forme de diagnostic, de toute forme de nosologie, au profit de l’expertise du patient sur sa propre maladie que nous avons sans doute confondue avec son expertise sur la façon de lutter contre les effets de sa maladie sur sa vie. Ceci nous a amenés à une position très radicale sur les médicaments, vus souvent comme des outils du pouvoir moderne, des camisoles chimiques pour la normalisation sociale et culturelle des patients. Certains d’entre nous avons peut-être mélangé une position politique et une position thérapeutique.
Ruth nous donne une leçon de tolérance et de modestie à travers des récits qui nous amènent à comprendre l’utilité de la médication, l’importance de travailler en équipe avec des regards croisés venant de différentes disciplines, et surtout l’importance du respect de tout ce qui peut rendre la vie du patient plus facile et l’aider à diminuer les effets de la maladie mentale. La maladie mentale existe, elle n’est pas une construction narrative, même si le diagnostic peut le devenir dans certaines conditions et enfermer le patient dans une histoire dominante de diagnostic. Pour autant, il n’est pas question d’ignorer que les médicaments peuvent aider à diminuer les effets des voix dans la schizophrénie, par exemple, et créer l’espace où les clients ont besoin de se tenir pour explorer de nouveaux territoires de leur identité. Notre posture politique ne doit pas remplacer l’écoute simple et pragmatique de ce qui aide nos clients : certains clients ainsi sont rassurés et renforcé par le fait de disposer d’un diagnostic qui leur permet d’externaliser l’histoire de maladie. D’autres trouvent dans la médication une aide appréciable.
Notre travail n’est pas de remplacer celui des médecins, ou de considérer que le patient est lui-même son meilleur médecin, ou de considérer que nous sommes plus que le médecin car nous savons déconstruire la médecine et ses diagnostics. Nous sommes des passeurs, des accompagnateurs qui, là aussi, nous ne pouvons faire mieux que d’accorder à nos clients la curiosité fascinée pour leur vie qui leur permettra de se ré-intéresser à leur propre compétence, explorer objectivement les effets des problèmes dans leur vie, créer un référentiel de résistance ou un manuel à partager avec d’autres des trucs et astuces qu’ils ont trouvés pour réduire la souffrance qu’ils éprouvent. Lorsqu’ils sont parents, les aider à rester en contact avec leurs enfants malgré les ravages de la maladie mentale, et finalement, regarder ce qui peut être “rescued” de la folie, ce qui peut subsister d’une vision de ce qu’est un parent, distincte de ce qu’est la maladie.
Pour moi, ce sont de très belles leçons et une invitation à penser un peu plus modestement à notre travail de praticiens narratifs et à la façon dont les idées politiques qui servent de socle à notre approche, et notre désir de tout bien faire, peuvent parfois polluer notre travail. PBS
Pierre,
Je partage complètement les réflexions que tu t’es faites à partir de ce séminaire
j’avais commencé à mettre de l’eau dans mon vin à l’égard de ma croyance en la nocivité du diagnostic et des médicaments pour les problèmes mentaux, grâce à l’une de mes clientes
je suis confortée dans la nécessité de nuancer mes opinions
Par ailleurs, j’ai été très touchée de la simplicité avec laquelle Ruth a souligné son erreur d’avoir posé une question à Ilona, trop tôt. C’est pour moi, une leçon de tolérance envers soi-même
De l’avoir reprise plus tard, un peu autrement est aussi un exemple de la possibilité de retrouver la bonne route pour aider quelqu’un à tirer de son histoire douloureuse la connaissance de ses capacités à apprendre de la vie et à mieux vivre
cette rencontre est un très grand soutien pour mon travail de thérapeute
un grand meci à toi de mettre en place toutes ces rencontres si riches et épanouissantes
Fanny
Pierre, ton commentaire sur l’humilité et la modestie me fait penser au récit que Ruth nous a présenté.
Dans le cadre de son projet d’accueil des enfants dont les parents souffrent de maladie mentale, un jour, un enfant lui demande: “est-ce qu’on a le droit ici de parler de ce qui nous fait souffrir?”…. Là, elle prend conscience qu’en cherchant à repérer de fines traces de “bonne parentalité” malgré les difficultés et à épaissir ces histoires , elle orientait sans s’en rendre compte les enfants à ne parler que de ce qui allait. Ainsi n’offrait-elle pas suffisamment d’espace à ces enfants pour parler de leur souffrance à vivre auprès d’un parent malade.
Ecouter et reconnaître la souffrance est primordial nous a-t-elle rappelé pour que s’engage un processus thérapeutique.
Comme quoi, on peut s’appeler Ruth Pluznick, être une thérapeute reconnue, s’être formée aux pratiques narratives avec Michael White, pratiquer depuis plusieurs décennies et rester humble, faire des erreurs et apprendre d’elles encore et encore. Belle leçon qui vient saper l’éclosion de cette “police narrative”.
Oui, ces réflexions sont dans le droit fil de la vigilance sur une éventuelle “police narrative”. Le dogmatisme et une certaine radicalité peuvent constituer une tentation ou une erreur de jeunesse lorsqu’on s’initie à une nouvelle approche et que l’on voit la vie toute belle à travers de nouvelles lunettes magiques. C’est un défaut d’ailleurs dans lequel je me reconnais pas mal. Mais de travailler sans relâche, de lire des textes, de multiplier les rencontres quitte à être bousculé permet de prendre du recul et d’avoir une vision “multi-pistes” et un peu plus nuancée.
Une phrase de Ruth Pluznick qui m’est revenue : “le client n’est pas un expert de sa maladie, il est un expert de sa propre expérience de la maladie”. Il me semble que c’est important, comme différence.
Merci Pierre de ce recadrage éclairant sur l’humilité et la modestie de notre posture, de notre travail avec les Autres, de remettre au centre le désir et le besoin du client. Quid de l’influence de nos questions polluées par le reflet de nos idées politiques.
Tu viens de mettre en mots le malaise que je ressentais vis a vis de différents commentaires sur la vidéo “la police de l’amour”.
Merci beaucoup.
Nice, Pierre! Bien dit, merci.
Ruth nous a aussi partagé de belles pistes narratives pour reconstruire un lien entre un enfant et un parent qui a du mal à parenter à cause de ses difficultés de santé mentale, à partir de l’exploration des intentions du parent qui sont souvent mises en difficulté par les effets de ses difficultés de santé mentale.
Un merveilleux clin d’ oeil sur la puissance de l’exploration du contexte ( nous avons visionné une vidéo d’un entretien d’une fille dont la mère est “first nation” ( première nation, ou ce qu’on appelait amerindien canadien)).
J’ai aussi découvert toute une piste de l’exploration des tatouages comme ouverture à une histoire préférée, puisqu’il s’avère que cette mère avait deux tatouages où figuraient ses filles, dont un de la roue de médecine sur son bras avec les animaux totems d’elle et de ses 2 filles.
C’est un vraie richesse et une source d’inspiration pour nous de pouvoir échanger avec ces personnes du monde narratif entier. Je te remercie, Pierre, d’avoir tissé les liens qui ont rendu cela possible.
Merci à toi Pierre, de partager tes remises en cause et apprentissages. C’est réconfortant et apprenant. Je crois beaucoup (et je la constate) en la puissance de l’humilité courageuse. Je la vois ici : MERCI.
Merci de partager “la leçon de tolérance et de modestie” de Ruth. Leçon qui tombe au moment où je me pose des questions, où je doute….
A la suite d’une demande je me pose précisément la question de mes limites.La dépression est une maladie, le “client” est un “patient” !
Je reprends tes mots : “… l’importance du respect de tout ce qui peut rendre la vie du patient plus facile et l’aider à diminuer les effets de la maladie mentale.”
“…et notre désir de tout bien faire, peuvent parfois polluer notre travail.”
Merci de m’inviter à réfléchir. Heureusement la supervision est aussi là pour m’éclairer.