VIOLENCES SEXUELLES ET PRATIQUES NARRATIVES

UnknownPar Lysiane Panighini

Je m’appelle Lysiane Panighini et je suis psychothérapeute. Ma pratique d’entretien ou plus exactement de ” conversation” est l’approche narrative et pour rien au monde je n’échangerais cette pratique contre une autre…Les personnes que j’accompagne vienne me voir pour des problèmes très diversifiés : troubles alimentaires, deuils, crise existentielle…
Si parmi elles, plusieurs ont subies ces violences sexuelles, ce n’est jamais ce qui a motivé leur demande d’aide.

En effet, la verbalisation des ces violences est si difficile, que le plus souvent, elle surgit pour la 1ère fois dans l’intimité du cabinet, au détours d’une conversation, alors même que l’acte a été commis plusieurs dizaines d’années auparavant.

Si chaque histoire est particulière, elles ont néanmoins un point commun, c’est l’inégalable souffrance dont elles sont porteuses.

De même, si chaque femme est particulière et différente, elles ont néanmoins plusieurs points commun dans leur manière de vivre au plus profond d’elles mêmes cette irréparable expérience.

En effet, chacune fait émerger de leur narration des sentiments aussi paradoxaux que la culpabilité et la honte et dès lors, se sentent coupables et responsables de ce qui leur est arrivé.

Et la question que l’on peut se poser, c’est par exemple, comment une femme adulte peut se penser responsable et coupable d’abus sexuels subis alors qu’elle n’avait que 4 ans!

N’y a-t-il pas derrière cette idée, entre autres, la croyance inhérente à différentes cultures que nécessairement lorsqu’une femme subit des violences sexuelles, c’est qu’elle a tout fait pour cela, ou tout au moins qu’elle n’a rien fait pour y résister ?

La pratique narrative, en ce sens, est un formidable outil d’accompagnement et de déconstruction de pensée selon laquelle ” je suis coupable et responsable de ce qui m’est arrivé”.

 Le fil conducteur de cet accompagnement sera :

– La déconstruction de fortes croyances issues de cultures diverses selon laquelle “une femme qui a subi des abus sexuels aurait provoqué l’acte d’une certaine manière”.

Pour cela, les questions porteront sur l’origine de ces croyances : religion, communauté, culture familiale, sociétale etc. Le but de cette déconstruction étant que la personne soit en mesure de porter un méta-regard “critique” (dans le sens noble du terme, une critique peut en effet être bonne ou mauvaise) sur ces croyances transmises par des générations d’individus, et d’harmoniser ce nouveau regard avec les valeurs les plus importantes pour elle.    

 – Le repérage “d’actes de résistance” à l’acte commis, posés par la personne, afin de les rendre visibles à ses  propres yeux.

Le plus souvent, lorsque nous pensons “acte de résistance”, nous pensons à quelque chose de visible, clairement défini comme par exemple “se débattre.”

Alors que de nombreuses manières de résister existent, lesquelles ne sont pas forcément d’une grande visibilité, la double écoute du praticien lui permet d’entendre “la fine trace” pouvant passer inaperçue, car noyée dans l’histoire dominante “je suis coupable”.

J’ai pour exemple, une jeune femme qui me racontait que chaque soir, elle allait se réfugier dans le lit de sa Maman “pour éviter la chose”.

Mais chaque soir, sa Maman la renvoyait dans son lit, pensant qu’elle faisait un caprice…

Dans l’histoire d’une autre jeune femme son acte de résistance consistait à se coucher avec plusieurs culottes et jeans superposés afin de “décourager le prédateur…”

Dès que je perçois ces actes de résistances aux abus, (et ces actes de résistance existent toujours),  mes questions de thérapeute narratif vont leur donner de la consistance, et ainsi prendre leur vraie place de contre-histoire. Cette partie du travail est puissante car de fait, le sentiment de culpabilité diminue au profit de sentiments revalorisés d’estime et de respect de soi, eux même pouvant être associés par exemple à des valeurs de courage et de ténacité.

 Pour illustrer mes propos, voici l’exemple de Leila.

Une femme de la cinquantaine prénommée Leila me raconte que lors d’une soirée entre jeunes elle a été victime d’un viol. Elle avait alors 19 ans.

Le lendemain elle se confie à son amie qui lui dit ” dis donc tu es une grande fille, tu aurais pu te défendre!!!”

1er coup d’assommoir me dit-elle.

Après quelques jours, elle finit par parler à sa mère qui lui dit “ne dit rien à ton père, depuis le temps qu’il te dit de ne pas t’habiller aussi court !”

2ème coup d’assommoir. Ces 2 interventions m’ont terrassées ajoute t-elle. Je me suis vue comme un déchet, comme une moins que rien. Puis elle continue : “Aujourd’hui, je pense qu’elles avaient raison, je me suis exposée et je n’ai rien fait pour éviter ça.

Mais cette histoire n’a jamais cessé de me hanter. ”

Lors de nos premières conversations, et afin de ne pas faire resurgir une trop forte émotion déjà très présente, j’ai délibérément choisi de mettre de côté le descriptif de l’agression.

Effectivement, mon expérience prouve que replonger la personne dans le trauma présente le risque de réactiver des émotions douloureuses associées aux sentiments de dévalorisation qu’elle peut avoir d’elle même, venant ainsi les renforcer.

C’est la raison pour laquelle dans tous les cas et en premier lieu, je m’attelle à externaliser la culpabilité et à poser des questions sur tout qui aurait pu provoquer, voire encourager ce sentiment.

De cette façon, Leila a mis en lumière de quelle manière l’image de la femme s’était construite dans notre société et comment elle même était le jouet de cette construction. Ce fut long et difficile car très souvent la voix de la culpabilité réapparaissait pour dire “oui…mais…j’aurais pu …”

Puis, une fois la voix de la culpabilité quelque peu affaiblie, mon intention étant de faire surgir une “histoire de résistance”, nous avons pu évoquer les circonstances de cet événement dramatique.

Mais 30 ans s’étaient passés et Leila avait une impression générale associée à des émotions telles que la peur et le dégoût, mais peu de souvenirs précis.

Mon questionnement s’est donc porté sur ce qu’elle aurait pu voir, entendre, toucher etc. afin de mettre en lien ses perceptions avec des actes possibles de défense.

Lors de ces conversations il est apparu 2 fines traces : que dans un 1er temps elle avait essayé de tenir fermement serrées ses jambes l’une contre l’autre et qu’ensuite selon ses propres termes elle avait été “raide comme un planche” pensant le décourager.

A partir de là, j’ai pu accompagner Leila sur le chemin d’une déconstruction d’image déficiente, associée au fait qu’elle était “coupable et responsable” de ce qui lui était arrivé.

Il est apparu qu’au contraire elle avait  fait preuve de courage, de ténacité et de rébellion, face à un acte violent et dégradant.

 Pour conclure…

Après que l’identité de la femme digne et respectable ait remplacé celle du “déchet”, après que le sentiment de fierté ait remplacé celui de la culpabilité, Leila a eu le désir de donner du sens à cette reconstruction.

C’est ainsi qu’aujourd’hui Leila œuvre dans une association aidant et regroupant des personnes victimes de violences sexuelles.

 

5 réflexions au sujet de « VIOLENCES SEXUELLES ET PRATIQUES NARRATIVES »

  1. Bonjour. Merci pour ce témoignage parlant, respectueux et très riche d’enseignement et d’apprentissage. Je suis de tout cœur avec vous, et les femmes que je devine dans votre écrit, dignes et résistantes, que vous accompagnez.

  2. Bonjour Lysiane.
    Je suis très émue par ce que tu écris, émue par le sujet bien sûr, et par les effets des idées et des pratiques narratives, quand elles sont utilisées par des personnes comme toi. On sent dans ta pratique à la fois beaucoup de délicatesse et d’humanité et néanmoins des intentions et un soutien solides dont on ne te détournera pas… comme si tu étais absolument déterminée à ne pas laisser “déchet” pourrir la vie de Leila et des autres femmes qui viennent te voir. Cette détermination fait du bien. Je suis heureuse et soulagée de savoir qu’il existe des gens comme toi, qui pourraient aider quelqu’un de mon entourage si un jour il y avait besoin.

  3. Merci pour ces exemples très forts qui permettent de bien percevoir comment s’articule votre pratique renforcée par l’approche narrative.

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