BONS VOISINS

Nous avons reçu Peggy Sax (thérapeute familiale américaine du Vermont) la semaine dernière pour une Master Class épatante sur le thème : “relier les vies de nos clients “. 

Au lieu de nous présenter un enseignement théorique structuré en chapitres ou de dérouler des concepts, Peggy nous a fait entrer de plain pied dans la vie de trois de ses clientes, qui avaient survécu psychologiquement à des catastrophes grâce à l’action de communautés de soutien actives autour d’elles.

A partir de ces exemples, elle a développé une métaphore des relations sociales basée sur l’idée de se comporter en “bons voisins” (neighbourly ways). La métaphore est plus adaptée à la culture américaine du voisinage qu’à la culture française (certains voisins sont de sacrés boulets et les rapports avec eux tiennent plus de la guérilla d’Achille Talon avec son voisin Lefuneste que des barbecue parties des Desperate Housewives). 

Pour autant, la création de “voisinages”, ou de “vies reliées” en thérapie ou en coaching narratif reste un puissant moyen de guérison sociale, peut-être le plus puissant qui existe, dans la mesure où comme le disait Stephen Madigan le mois dernier à Arcachon : “si les problèmes sont créés socialement, cela n’a pas de sens d’essayer de les résoudre individuellement”.

 Les idées de Peggy sur le sujet, extraits de son diaporama, sont les suivantes : 

  •  Construire le sentiment d’être relié aux autres (“inter-connectedness”) et d’une vie qui a un sens et un but, pour ceux qui nous consultent, avec l’aide de nos propres communautés de soutien,
  • Les gens parlent systématiquement d’une restauration du sens et de l’utilité de leur vie dès que leurs expériences douloureuses et les leçons qu’ils en ont tirées peuvent être utiles à d’autres.
  •  Le fait d’aider les autres ou de rendre service à d’autres personnes peut permettre aux gens de restaurer le sentiment de leur valeur personnelle et de leur appartenance à une communauté.

Les applications sont infinies, et nous sommes encore un peu timides en France en la matière, peut-être influencés par une culture très individualiste. Campagnes de lettres, visites à domicile, films, réunions et rencontres de personnes ayant lutté contre les mêmes problèmes, organisation d’actions bénévoles où les clients peuvent offrir leur contribution, sites web, pages Facebook et campagnes internet : les moyens de communication actuels multiplient les opportunités de revisiter et de moderniser les cérémonies définitionnelles développées par Michael White à la suite de Barbara Myerhoff.

Et vous, avez-vous des expériences de ce type à partager ?

Peggy Sax est l’animatrice d’une communauté virtuelle, “Reauthoring Teaching, creating a collaboratory”, avec désormais toute une partie en français grâce notamment au travail de Charlotte Crettenand et Catherine Mengelle. 

7 réflexions au sujet de « BONS VOISINS »

  1. Peggy: la page en anglais en attendant la version française serait super!

    Fanny: quelle belle histoire new yorkaise!

    elizabeth

  2. Merci à tous pour ces commentaires magnifiques. Je pense qu’ils sont le prolongement de l’inspiration et de l’authenticité que nous avons tous expérimentés grâce à Peggy. Sa façon de « respirer la narrative », son rayonnement, sa gentillesse, son talent à faire advenir les choses et à provoquer des situations nouvelles : autant de leçons proposées tranquillement et qui vont m’aider, qui m’aide déjà, à travailler de façon différente. Par exemple, depuis que Peggy est venue, j’enregistre et je documente systématiquement tous mes entretiens de façon à pouvoir les utiliser pour relier ensemble des vies similaires. Je viens d’une famille d’immigration récente, et les relations communautaires y étaient très importantes pour pouvoir survivre matériellement et psychologiquement (ils avaient tous quitté leur pays à la même époque, laissant derrière eux leurs parents et leurs familles, leurs maisons et leurs amis,et la seule façon dont ils pouvaient se rattacher à leur identité , c’était de partager et de partager encore les histoires avec ceux qui avaient fait le même voyage depuis le même endroit). C’est vraisemblablement pour cela que je suis si touché par les pratiques narratives en général et par les pratiques de bon voisinage en particulier. Amitiés à tous.

  3. Je tiens à vous remercier, Florence Lautrédou, pour votre texte si poétique et touchant sur le récit de votre relation particulière avec votre voisin si bienveillant.

    En le traduisant pour Peggy, j’ai été frappée de constater à quel point certains aspects allant de soi, pour nous, francophones et de culture européenne (comme les références à Eric-Emmanuel Schmidt ou encore à la guerre d’Algérie), nécessitent d’être explicités pour être bien compris par une personne d’une autre culture ; la “simple” traduction ne suffisant pas.

    Je suis émerveillée de prendre conscience, encore une fois, de la profonde empreinte culturelle du langage, des mots, des expressions, des tournures de phrase que nous utilisons quotidiennement.

    Je suis un peu sortie du sujet que proposait Pierre, bien que j’ai l’impression d’expérimenter des “neighborly ways of being” avec Peggy et d’autres, même à des milliers de kilomètres de distance…

  4. Je suis maintenant de retour dans le Vermont, emplie de la saveur de mes souvenirs de ce temps passé en France et à la Master Class de Bordeaux. Puisque je ne ne comprends que le sens général de vos réflexions, j’ai demandé de l’aide à ma famille et mes amis pour m’assurer de bien comprendre chaque mot. Merci à ma belle-soeur, Anna Fierst, une personne qui a étudié le français toute sa vie, de m’avoir aidée à traduire le post de Pierre, et à Charlotte qui m’aide (une fois de plus) avec la traduction de cette conversation intrigante à propos de ces « Neighborly ways of being » (manières d’entretenir des relations de bon voisinage). Souhaiteriez-vous que je poste ici la traduction en Anglais afin que nous puissions inviter les anglophones à participer?

    Lors de ma visite en France, vous m’avez tous donné un si bonne nourriture (le dernier jour, je m’étais habituée à ma baguette quotidienne… tout comme ces fromages, vins et tomates mûres à point mémorables…). A présent, vous me donnez tellement de nourriture pour l’esprit, notamment à propos des différents contextes historico-culturels. Je suis en train de mettre en place une « Neighborly Ways Practice Page » qui devrait permettre de collecter d’autres réflexions à propos des divergences culturelles. Charlotte est d’accord de m’aider à la traduire en Français. Aimeriez-vous voir la version française ou préférez-vous attendre jusqu’à ce qu’elle soit disponible en Français? Les participants à la Master Class de Bordeaux ont contribué aux premières questions de cette page et j’adorerais entendre vos prochaines réflexions.

    Je suis également en train de réaliser l’ébauche d’un article sur le sujet des « Neighborly Ways ». Seriez-vous d’accord si je partageais certaines de vos histoires dans ce cadre?

    Voici seulement deux des principaux aboutissements.

    J’ai tellement à vous dire pour vous répondre – en attendant, j’aimerais vous dire « Merci ». Même si les « neighborly ways » sont peut-être moins habituels dans la culture française dominante, j’aimerais dire que j’ai expérimenté une hospitalité, une chaleur et un accueil extraordinaires partout où j’ai été en visite en France.

  5. Merci Pierre de nous faire partager ces belles possibilités de bon vosinage

    D’une certaine façon, j’ai vécu quelque chose qui y ressemble à New-York.
    Je suis allée voir les manifestants de Wall Street, qui avaient été expulsés vers une petite place qu’ils ont rebaptisés la place de la liberté. Ma fille a demandé à un flic où ils étaient passés, wall street étant impénétrable, entourée de barrière ; à notre surprise, il nous a indiqué très gentiment et précisément où ils se trouvaient. Les forces de l’ordre , pas si hostiles aux manifestants ?

    Nous avons trouvé des jeunes, des âgés, des handicapés, des démunis, des acteurs, des journalistes, soutenant ceux qui restent là nuit et jour
    Un journal était à la disposition de chacun : référence au printemps arabe, lien avec les manifestants des autres villes des USA, un espoir intense de maintenir la révolution “at home”

    Quelle révolution en effet, de mettre en cause la spéculation boursière et l’avidité monétaire, au coeur de Manhattan. Je me suis laissée dire que le milliardaire américain, qui a demandé au gouvernement de taxer les plus riches, comme le souhaite Obhama, soutient le mouvement.
    Quelle nouveauté, aussi, de voir des hommes s’appuyer sur l’expérience d’autres et sur leur succès.

    Nous étions transportées, ma fille et moi, d’espoir et d’enthousiasme devant cette mise en question pacifique d’un capitalisme qui dérape si injustement et cette solidarité entre classes sociales et entre pays si éloignés

  6. Merci, Pierre, de ce beau retelling des deux jours. je garde un souvenir fort de ces trois femmes , Suzanne avec son fauteuil des larmes (crying chair), son heart-art (art du coeur,) et son magnifique jardin, tous crées pour faire face à la mort de son fils par une overdose d’héroïne… et Joan et Alice avec leurs histoires et leurs façons de faire face et de faire preuve d’actes communautaires pour épaissir des histoires alternatives (ramener du Ben and Jerry’s Ice cream comme dessert pour le dîner communautaire de la communauté sinistrée par la tempête et les inondations, par exemple).

    As-tu envoyé le lien de ton histoire à Peggy?

  7. Joie de lire ce rappel d’humanité à l’aube d’une journée où, ombres furtives disparues à un détour de l’escalier, lignes de fuite derrière l’ascenseur, silhouettes dérobées derrière une porte qui se referme trop vite, j’ai encore, comme chaque matin, entrevu mes voisins! Beaucoup d’appartements et de voisins dans ma vie, et à chaque fois pour Paris ( étonnamment à l’étranger, j’ai eu de vraies rencontres), toujours cette honte- comme s’il fallait se méfier de ces gens qu’on n’a pas choisis. Nos voisins, ces proches, les si mal nommés.
    Heureusement, ton post le rappelle, les “neibourghly ways” existent…souvent corrélés à la simplicité de leurs protagonistes. A 20 ans, à l’issue de 4 années solitaires dans Paris, tendance “sans famille ” moderne, j’ai connu Ahmed, mon voisin harki de la rue Monge, un grand-père providentiel, mieux qu’une nouvelle d’Eric-Emmanuel Schmidt. Pendant deux ans, nous nous sommes reliés et aidés, lui en me nourrissant, car mes préoccupations d’alors n’intégraient pas une alimentation régulière, et le couscous est devenu mon nutriment hebdomadaire, dispensé généreusement par mon voisin qui chaque fin de semaine m’attendait pour un déjeuner rituel du dimanche. Moi je le nourrissais sans doute d’une autre façon-pas dans les mots, il y a des histoires de vie dont les personnes ne souhaitent pas parler et j’avais compris que son odyssée de supplétif musulman intégré à l’armée française pour ensuite fuir son pays et sa vie entrait dans cette catégorie de l’intime douloureux-sans doute par ma présence, inconditionnellement affectueuse, l’âge de la petite-fille qu’il aurait pu avoir, un rappel de la Bretagne qui le fascinait (l’océan et ses falaises, nos iles, les légendes celtes, il m’écoutait sans cesse les décrire)et un élan de partage qui nous unissait chaque semaine à mâcher ce bon vieux mouton sacrifié pour notre amitié. Je n’ai jamais eu de voisin aussi généreux, un de ces êtres qui vous amènent un sourire sur les lèvres au moment de vous endormir. Ahmed et moi avions des vies simples, pas grand chose à perdre, une curiosité et de l’ouverture l’un pour l’autre. l’ingrédient de la magie dans la vie. L’âme agit!

Les commentaires sont fermés.