L’HOMME A LA TETE DE CISEAU

C’est une famille : leurs têtes et leurs visages sont taillés dans d’humbles outils de récupération, leurs corps constitués de dizaines de petits morceaux de bois collés ensemble. Il s’agit d’une oeuvre d’une plasticienne française vivant à Abidjan, Sophie Leuthe.

Ce trypique familial était au centre de la première journée de découverte des pratiques narratives que nous avons eu l’honneur d’animer en Cote d’Ivoire, à l’initiative de Se Former Autrement et de sa Présidente, notre amie Stéphanie Tchibanda.

Regardez bien ces statues. Elle proposent une métaphore saisissante de l’identité narrative. Leur tête pourrait constituer une définition identitaire pauvre, totalisante et dominante. Le père avec sa tête de cisaille, raide et tranchant, coupant court à la discussion. La mère avec sa tête de pelle, nourricière et travailleuse, épuisée d’avoir porté tant de chargements. L’enfant, petite pelle de jardin, destiné à planter et sarcler.

 

Mais chaque morceau de leur corps offrirait une alternative, une variation infinie. Chacun de ces petits cubes de bois vient d’un arbre différent, issu d’un terroir particulier, produit du hasard et des saisons, qui a vu passer les flots, les hommes et les pirogues pendant des décennies, portant dans ses cernes l’histoire des cycles de la vie. Ce bois a ensuite été taillé, dégauchi, conditionné, assemblé. Il a fait des caisses qui ont transporté des fruits et des armes. Des lits où des enfants ont été conçus. Des bibliothèques où des ouvrages de philosophie ont veillé sur des sagesses et éveillé des esprits. Des navires qui ont porté les espoirs et les rêves de leurs capitaines.

L’identité dominante serait la tête de ciseau et les conclusions que l’on pourrait en tirer, partant d’une représentation culturelle dominante de la façon dont pourrait vivre un homme à la tête de ciseau. L’identité narrative riche serait constituée par le foisonnement de récits attachés à chacun des fragments de bois qui constituent cette forme que l’on nomme par commodité individu en découpant des pointillés autour de son corps pour le différencier artificiellement du reste du monde, mais qui serait l’assemblage bourgeonnant, plein de possibilités et tenant courageusement debout de cet enchevêtrement d’essences, de trajectoires et de rencontres, comme autant de portes ouvertes sur une infinité de mondes.

 

Les œuvres de Sophie Leuthe peuvent être vues dans son atelier d’Abidjan, ainsi que dans différentes expositions Ivoiriennes et internationales.

3 réflexions au sujet de « L’HOMME A LA TETE DE CISEAU »

  1. Bravo Stéphanie pour cette belle initiative!
    Au plaisir de te retrouver.
    Frédérique

  2. Je rebondis sur “morceau”.
    Et , je me dis que l’infusion de la narrative me permet d’envisager ces morceaux comme autant de déconstruction/construction de l’identité, comme un champ des possibles toujours plus fertile, et riche .En parallèle , je ne peux m’empêcher d ouvrir le tiroir de la psychologie où le morcellement de la personnalité constitue un classement pathologique ds la DSM. Raccourci, ? Identité/personnalité; autant de pistes qui me conforte dans l’idée du travail de fourmi que je réalise dans l’accompagnement.Et vous?

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