David Epston pointe une différence importante entre “loitering” (rôder) et “lingering” (flâner).
“Loitering”, c’est traîner dans le coin avec le regard affûté de celui qui a faim et cherche l’opportunité. On a traduit ça en français depuis les années Médiat par “vagabondage” et on l’a enseigné sous ce terme. “Lingering”, par contre, c’est traîner dans le coin pour le plaisir, les mains dans les poches. David écrit : “c’est pareil que rôder, mais sans intention de commettre un crime.” Et il donne un exemple : “Il trouvait la conversation tellement fascinante qu’il a traîné dans le bar (je ne suis pas du tout satisfait de cette traduction de “linger” par “traîner”, qu’est-ce que vous diriez, les créaducteurs ?) donc, qu’il a traîné dans le bar largement après l’heure où il avait promis à sa partenaire de rentrer pour le dîner”. L’enseignement est une biographie involontaire. Bref.
Et David ajoute : “(linger) permet d’être fasciné par la particularité de l’autre, comparé à beaucoup d’autres thérapies/systèmes de pensée psychologiques qui se focalisent plutôt sur le point auquel l’autre peut être rendu généralisable”.
J’avais envie de partager ça, et aussi de dire que nous avons peut-être été influents à notre insu sur la posture de nombreux praticiens narratifs de langue française en utilisant “vagabonder” (y compris dans le concept des “Errances” Narratives). Qu’est-ce que cela changerait à ton regard sur le ou la client-e si tu te reliais à une expérience de rôdeur au regard affûté ? Comment ta façon de rechercher les méandres, les rebondissements, les personnages secondaires, les détails anodins des histoires peut s’alimenter à l’expérience du “lingering”, ce moment où tu perds la notion du temps parce que la conversation est tellement trop branchée sur la vie ? Et surtout comment être à ces deux endroits à la fois tout le temps ?
C’est aussi pour vous dire qu’il reste encore des places pour la Master Class de David Epston les 17, 18 et 19 octobre dont le programme sur les relations de pouvoir entre histoires dominantes et contre-histoires est bien fascinant, pour parler comme lui, et certainement plus de détails sur les techniques de “insider witness” (toujours rien) et de Pratiques Narratives Performatives qu’il est en train d’inventer en utilisant le théâtre. Moi, personnellement, je trouve ça énorme.
Pierre Blanc-Sahnoun
“Il trouvait la conversation tellement fascinante qu’il s’attarda dans le bar…”