par Kathy Cronin-Lampe
En collaboration avec, Puni Tufuga, Shannon TeKira, et Amber Herbert
Traduit par Pierre Nassif, voici un article qui va inspirer tous ceux qui travaillent avec les idées narratives avec des communautés confrontées à des problèmes graves et envahissants. Dak est un terme argotique pour désigner la marijuana, et l’on retrouvera dans ce beau texte de notre collègue Cathy Cronin-Lampe une méthode créative d’externalisation “théâtrale” qui nous avait été présentée en avril dernier par David Denborough et Cheryl White dans leur travail contre le HIV en Afrique.
Cet article est dédié à notre ami Tennessey qui occupa une place importante au sein des groupes qui y sont décrits. Tennessey est mort le 2 septembre 1997.
Nous éprouvons réellement la nécessité de parler de Dak, car dans nos vies, il est toujours là. Vous êtes amenés en permanence à choisir entre en prendre ou s’en passer. S’en procurer est des plus simples. Si vous connaissez quelqu’un qui connait quelqu’un vous êtes bon. Dans chaque faubourg de Hamilton, il existe un revendeur, un dealer. Dak est partout. Il est ici à l’école. En tant que jeunes, nous croyons que nous devrions avoir des activités telles que pratiquer le sport, et que nous ne devrions pas dépendre des drogues.
Un de nos meilleurs amis, Tennessey est mort, et nous sommes sûrs que la drogue y est pour beaucoup. Lorsque cela arrive à quelqu’un pour lequel vous ressentez des tonnes d’amour, vous voyez les choses de manière entièrement différente. Quand il était défoncé, il devenait de plus en plus déprimé, même s’il pensait que cela lui faisait du bien. Dak l’empêchait de parler aux autres et l’entraînait à mentir à ceux qu’il aimait. Il voulait parler à quelqu’un, mais il avait le sentiment de ne pas le pouvoir, car alors cette personne se rendrait compte de sa dépendance et cela le gênerait énormément.
Finalement Tennessey prit position contre Dak. Il rejoignit notre groupe. Il se débarrassa de cette chose. Il en ressentit une grande fierté. Mais alors il fut à nouveau séduit. Tous ses camarades en fumaient. Il vivait davantage dans l’isolement quand il s’en passait et dans la solitude. Ses camarades avaient de l’importance pour lui. Il voulait se débarrasser de Dak. Il détestait ce qu’il lui faisait, ainsi qu’aux personnes qui avaient de l’importance pour lui. Mais s’en débarrasser, c’était dur également. Je ne pense pas qu’il aurait voulu dire à qui que ce soit qu’il était retombé là-dedans. Il se serait senti tellement humilié. A tout moment, un de ses amis fumait encore en disant : « on arrêtera demain, » ou encore « après ce joint… » Je considère que Dak est à l’origine d’un trop grand nombre de suicides.
Puni Tufuga
Mi 1997, un certain nombre d’étudiants s’adressèrent à nous, Ron Cronin-Lampe et moi (Kathy Cronin-Lampe), en tant que conseillers au Melville High School de Hamilton, en Nouvelle Zélande, dans le but de parler de Dak, de son rôle dans leur vie et dans les vies des personnes qui leur tenaient à cœur. Parmi eux, certains de ces étudiants voulaient de l’aide pour « chasser Dak », tandis que d’autres voulaient en savoir davantage à son sujet, avant d’être fixé sur son utilité.
Nous décidions alors, Ron et moi de demander à tous ces étudiants s’ils aimeraient participer à une expérience, dans laquelle ils constitueraient un grand groupe unique, dans le but de travailler ensemble, en tant qu’étudiants des 3ème et 5ème unités. Nous leur avons expliqué que nous désirions tenter quelques nouvelles manières de discuter des problèmes, et que nous aimerions faire une vidéo qui pourrait être utilisée à des fins d’éducation et d’information. Les deux groupes exprimèrent leur enthousiasme pour une telle idée, et semblaient partant pour que leur travail soit diffusé sur une vidéo, spécialement lorsque nous leur avons dit que nous voudrions la présenter à nos collègues universitaires, dans le cadre de nos études.
Lorsque nous nous sommes réunis en grande assemblée pour la première fois, nous avons présenté en introduction l’idée de tenir une conversation externalisante avec le problème – en l’occurence avec Dak. Nous avons parlé de la richesse des connaissances collectives au sujet de Dak, et nous avons demandé à l’assemblée si cela l’intéresserait de réunir toute ce qu’elle en savait. Nous avons discuté des questions qu’ils pourraient poser à Dak pour comprendre l’influence qu’il exerçait sur eux. Nous avons parlé de notre idée d’interroger le problème, afin de le mettre à l’épreuve et de comprendre comment il fonctionnait. Le groupe fut enthousiaste à l’idée de participer à notre projet et il avait le sentiment que l’exercice pourrait lui être utile.
L’interview de Dak
Chose intéressante, les deux membres du groupe qui tenaient à jouer le rôle de Dak furent ceux qui l’avaient chassé de leur vie. Les autres décidèrent qu’ils voudraient bien noter leurs propres questions en tant qu’enquêteurs et ils se partagèrent ensuite leurs copies. Nous avons écrit leurs questions au tableau et d’autres questions émergèrent. Parmi celles-ci :
– Qu’est ce que tu t’efforces de faire aux gens ?
– A quoi les gens t’utilisent-ils ?
– Qui t’a inventé ? Es-tu le même tout le temps ?
– Que veux-tu pour ceux qui t’utilisent ?
– Quels sont tes rêves d’avenir?
– Quelle influence souhaites-tu exercer sur le monde ?
– Comment les gens ont-ils entendu parler de toi la première fois ?
– Comment se fait-il qu’ils veuillent en savoir encore davantage à ton sujet ?
– Qui convainc les gens de commencer à t’utiliser ?
– Comment se sentent la plupart des gens après leur première expérience de toi ?
– Pourquoi les gens reviennent-ils vers toi ?
– Comment fais-tu pour que les gens soient accrochés à toi ?
– De quelle manière s’exerce ton influence sur notre communauté ?
– Explique-nous certains des risques que les gens prennent lorsqu’ils t’invitent dans leur vie ?
– Incites-tu les gens à être honnêtes et sincères et à dialoguer avec leur famille, leurs professeurs et le Principal ?
– Que penses-tu du Principal, des conseillers-guides, de la police ?
– Qu’est-ce qui te rend si puissant ?
– Est-ce que tu pratiques la ruse pour que les gens s’imaginent que tu es « cool » ?
– En quoi l’argent t’intéresse-t-il ?
– Que donnes-tu aux gens qui n’ont pas les moyens de payer pour t’avoir ?
– Dans quoi investis-tu l’argent que tu gagnes ?
Ici Puni et Shannon, qui jouèrent le rôle de Dak, décrivent leur vécu lors cette discussion :
Puni : Lorsque j’ai pris en charge le rôle de Dak avec Shannon, j’étais en colère. Je voulais provoquer les autres afin qu’ils se soulèvent et qu’ils contre-attaquent. Je voulais qu’ils se mettent en colère et qu’ils voient ce qu’était Dak et ce qu’il faisait aux gens. Je leur donnais cette information dans le but qu’ils se soulèvent. Quand nous jouions le rôle de Dak, il fallait que nous soyons vraiment dominateurs, que nous nous exprimions vraiment avec force. A chaque question, nous devions répondre sur le champ, car si nous nous mettions à bafouiller, une autre question fuserait. Nous devions avoir le pouvoir car Dak doit avoir le pouvoir. Je l’ai bien vu. C’est ce qu’il fait. Il retire tout simplement aux gens leur pouvoir.
Au début Shannon et moi, nous les avons bousculés et ils gardaient leur calme. Quant ils nous ont demandé comment nous les amenions à nous fumer et à nous avoir dans leur vie, nous avons dit : « Nous avons nos revendeurs et nous avons nos dealers et nous nous efforçons de faire en sorte qu’ils vous connaissent. Nous les amenons à vous faire fumer gratuitement, car ainsi vous vous mettrez à nous aimer. Nous ferons en sorte que les amis qui sont dans notre réseau vous rendent accros. Ça ne nous dérange pas que vous le soyez. Tant que vous en achetez, nous en vendons. » Ah, c’était bien !
Shannon : Je crois qu’on était vraiment bons dans le rôle de Dak. Quand nous étions vainqueurs, ils se sentaient vraiment bêtes. Quand Dak avait le pouvoir, je me sentais bien.
Amber, qui jouait l’un des étudiants jouant un rôle de journaliste d’investigation explique à quoi cela ressemblait d’être sous l’emprise du pouvoir de Dak :
C’était comme si pour chaque question que nous posions, ils disposaient d’une réplique immédiate. C’est pour cela que nous nous sommes sentis réellement faibles – comme si nous étions envahis.
Après que le groupe a posé à Dak les questions auxquelles il voulait des réponses, nous avons interrompu le tournage et nous avons demandé aux étudiants comment ils s’étaient sentis lorsque Dak leur répondait. Ceci donna le signal d’une intense discussion : à quel point Dak était puissant et arrogant ! Comment il les avait réduits à rien, comme des corniauds ! Nous avons alors parlé des amis de Dak et aussi des fois où il n’était pas arrivé à exercer son influence sur les gens, comme il l’aurait voulu ou comme il y aurait aspiré.
Questions à Dak : les circonstances où il est rejeté ?
Les enquêteurs décidèrent qu’ils interrogeraient à nouveau Dak dans le but de trouver une parade à l’histoire qu’il leur racontait. De la même manière, nous avons alors écrit les questions au tableau, en complétant la liste à la demande :
– Que se passe-t-il lorsque les gens te disent non ?
– Que deviennent tes rêves lorsque tu es rejeté ?
– Dak, comment ont fait les gens qui ont réussi à t’éviter ?
– Comment et quand une personne réussit-elle à parler plus fort que toi ?
– Comment agis-tu lorsque tu es confronté à de la résistance et à de la détermination ?
– Est-ce que la détermination rend inopérantes tes visées sur les gens ?
– Comment se fait-il que certaines personnes aient réussi à te chasser ?
– Comment se fait-il que certaines personnes ne se soient jamais intéressées à toi ?
– Comment se fait-il que te connaissant, certaines personnes te considèrent comme un parasite ?
– Comment t’y prendras-tu pour revenir dans la vie des gens qui t’ont tourné le dos ?
– Que disent de toi la bonne forme et la bonne santé ?
– Sur quel ton t’adresses-tu à ceux qui t’on rejeté ?
– Que dis-tu de ceux qui ne t’essaieront pas ou de ceux qui te défient ?
– Certaines personnes te maîtrisent ; comment se fait-il que tu ne les maîtrises pas ?
– Certaines personnes que nous connaissons t’ont chassé pour être en bonne forme ; qu’en penses-tu ?
– Comment s’y prennent les medias pour te rejeter ?
– Si un groupe de personnes s’assemble contre toi, que feras-tu ?
– Qui est le plus capable de s’opposer à toi ?
– Que font les gens pour t’éviter ? Comment le font-ils ?
– Comment sais-tu que c’est le moment de te retirer ?
A la réflexion, tant Ron que moi avons senti que nous n’avions pas accordé suffisamment d’importance à cette étape. Rétrospectivement, il aurait été bon sans doute, de donner davantage de temps entre les sessions, afin d’élaborer plus complètement ces questions, ce qui aurait permis d’approfondir davantage la réflexion sur l’impact de Dak sur la communauté et sur l’influence qu’il prétendait y exercer.
Les deux personnes qui jouaient le rôle de Dak nous ont informés qu’elles se sentaient fortes et que les questions avaient été faciles à balayer. En face de cette domination affichée par Dak, le groupe laissa vite tomber le journalisme d’investigation, pour se remettre à interroger Dak à propos du problème et à tenter d’en débattre avec lui. Cette partie de la session prit fin et le groupe s’exprima : il se sentait un peu à plat et découragé devant l’ampleur du problème. Nous en avons discuté ensembles, nous demandant comment poursuivre à partir de là. Nous avons alors décidé ce que serait l’action suivante. Nombreux étaient les membres du groupe qui déclarèrent que cette expérience et ce projet correspondaient bien à une réalité de leur vie : cela représentait l’exacte situation de leur relation personnelle avec le problème. Dak réussissait ses visées avec certains d’entre eux, mais pour la première fois, il semblait que cela ne leur convenait pas. Ils ne voulaient plus se voir réduits au silence par Dak. Ils voulaient que la session suivante commence par un nouveau visionnage de la vidéo.
Nouvelle confrontation avec Dak
Au début de la session suivante, le groupe regarda à nouveau la vidéo, et Ron et moi, nous remarquâmes un changement complet dans leur état d’esprit. Un grand nombre ne voulait pas jouer les journalistes. Ils voulaient parler à Dak, ils voulaient le faire trébucher et le piéger. « Nous voulons bousculer Dak et le sortir», déclarèrent-ils ; ils voulaient dire à Dak comment il affectait leur vie et cette fois, « il allait les entendre ». Le groupe voulait se présenter rassemblé et le confronter. Même si une telle idée ne correspondait pas strictement à ce que nous attendions de cette vidéo à l’origine, elle était suffisamment en accord avec l’esprit de Roth et Epston (1998) et elle ressemblait à la poursuite d’une conversation externalisant le problème.
Ainsi, prenons connaissance de la description d’Amber :
« Lorsque nous avons regardé à nouveau la vidéo et que nous avons réalisé ce qui se passait, je me suis senti stupide à l’idée qu’une telle chose puisse l’emporter si facilement. Cela nous contrariait. Lorsque nous avons entendu Dak dire qu’il pouvait gagner tellement, car il pensait être en mesure nous retirer notre pouvoir, nous avons finalement compris ce qui se passait. En un éclair, nous avons vu ce que Dak nous faisait. Même si c’était une sorte de jeu, c’était sérieux en même temps. »
Le groupe se mit à interroger à nouveau Dak, reprenant largement les questions de la précédente liste, et les journalistes démontrèrent à la fois de la persistance et de la détermination lorsque Dak devenait évasif. A nouveau, écoutons Amber :
« Nous avons commencé à poser de bonnes questions, des questions rudes. A la fin, Dak n’avait pas tellement de réponses. Je me suis senti effrayé et perdu. A un moment donné nous avons arrêté nos questions et nous nous sommes mis à l’injurier ».
Au moment de conclure cette partie de la vidéo, les membres du groupe commençaient à remarquer que Dak devenait de plus en plus faible et silencieux, et que leurs voix prenaient suffisamment de force. Ainsi que Shannon le décrit :
« Après un certain temps, Dak commença à perdre une partie de son pouvoir et il n’aimait pas cela. Les voix des autres devenaient de plus en plus fortes. A la fin, Dak n’avait plus le pouvoir. »
Le groupe demanda que nous commencions la session suivante en visionnant à nouveau cette partie de la vidéo, de manière à voir l’évolution des positions respectives et les brèches qui s’ouvraient et qui permettraient à une histoire différente de voir le jour.
Revue du dialogue
Lorsque nous avons repris après deux semaines d’interruption due aux vacances, je m’attendais à ce que des changements soient apparus au sein du groupe ; j’avais également peur que les vacances, l’ennui, la pressions des pairs ainsi que d’autres causes aient laissé à Dak le champ libre pour retrouver sa forte emprise sur certaines vies. Le groupe se réunit et nous avons parlé de la pause des vacances. Deux étudiants annoncèrent que Dak les avait circonvenus à nouveau ; mais tous les deux dirent qu’ils s’étaient sentis si sales, après l’évènement, qu’ils avaient été capables de refuser par la suite. D’autres membres du groupe, qui firent état d’avoir « chassé Dak », en étaient tous très fiers. Certains disaient qu’ils n’étaient « pas si sûrs » d’avoir écarté Dak pour toujours et d’autres disaient qu’ils ne le laisseraient plus jamais prendre le contrôle de leur vie. Ils débattirent pour savoir s’ils pouvaient l’utiliser tout en « gardant le contrôle » ; cette idée fut accueillie avec scepticisme, car Dak était tellement fourbe qu’il pouvait les tromper, en les amenant, à tort, à y croire. Tous les membres du groupe s’étaient mis à tenir des « conversations externalisantes » au sujet de Dak.
Ils demandèrent qu’on passe la vidéo, qu’ils revirent depuis le début. Après cela, les deux personnes qui avaient joué le rôle de Dak demandèrent s’ils pouvaient poser quelques questions au groupe, en restant dans le rôle de Dak. Je ne savais où cela nous mènerait, et je leur demandais alors de vérifier avec le groupe si c’était de circonstance : tous y consentirent. Cela s’avéra une grande erreur car ainsi, Dak repris de la voix et qu’avec cette voix, sur un ton railleur et théâtral – dont je me souviens maintenant qu’il était concerté – ils demandèrent les raisons pour lesquelles le groupe avait accepté de se soumettre à leur parole. A quoi ces utilisateurs s’attendaient-ils de la part de Dak ? Ils réagirent par un rire moqueur aux suggestions telles que : « je pensais que je pouvais me servir de toi sans devenir dépendant », « je garde le contrôle, contrairement à toi », « j’espérais que tu m’aiderais à dominer la colère », « je pensais que si tu m’aidais à me calmer les nerfs, j’obtiendrais mes unités de valeur », « tu me fais avoir des amis », et « mes amis me trouvent cool quand je suis défoncé. »
Ces deux étudiants demandèrent alors s’ils pouvaient sortir de leur rôle et s’ils pouvaient animer deux groupes de discussion au sujet de ce qui venait d’être dit : comment ils s’étaient sentis, en jouant le rôle de Dak et comment les autres se sont sentis lors des interviews. De la même manière, le reste du groupe donna son accord et une franche discussion s’ensuivit pour savoir comment ils pouvaient activement s’aider entre eux à « surmonter Dak ». J’aurais aimé pouvoir filmer cette session, car elle m’éclaira sur les possibilités d’étendre ces rôles à d’autres personnages. La vitalité de la conversation me rendit pénétrée de l’importance qu’il y aurait à donner à de telles conversations une vaste diffusion, car celles-ci pourraient constituer d’inestimables ressources, généralisables à d’autres domaines dans notre école : des sujets tels que la santé, le savoir-vivre, les cas de société.
Conclusion
« Je ne dirai pas que les conversations que nous avons tenues nous ont amenés tous à ne plus fumer du Dak, mais cela a changé notre manière d’en parler. Certains parmi nous avaient déjà arrêté, d’autres fumaient encore un peu. Si des adultes avaient essayé de tenir cette sorte de conversation, cela n’aurait pas aussi bien marché. La raison pour laquelle cela a marché, c’est que nous étions en contact avec d’autres étudiants. C’était formidable qu’il y ait eu un tel mélange. Nous n’étions pas que des Maori. Il y avait des Maoris et il y avait des Pakehas et des Samoëns, d’âges différents. » (Amber)
Comme Amber l’explique, les conversations que nous avons partagées semblaient favoriser une manière différente de parler de Dak et de réfléchir à son sujet. Qu’est-ce qui rendait cela possible ? Lorsque j’ai présenté ces notes au groupe pour vérifier l’exactitude de ce que j’avais écrit, ils discutèrent de l’importance qu’avait revêtue pour eux le fait de mener une enquête en interrogeant le problème, afin de mettre en évidence tout ce qu’ils pouvaient à son sujet. Et ensuite, comme il avait été important de revoir cette partie de la vidéo. C’était pendant qu’ils regardaient cette vidéo, qu’ils remarquèrent que leur manière de penser se mettait à bouger.
Ils me demandèrent si tous les « problèmes » seraient aussi « arrogants » et ils cherchèrent à imaginer si une telle approche pouvait marcher pour interroger d’autres problèmes. Pour eux, il avait été important également, et ils le dirent, que les personnes choisies pour jouer le rôle de Dak aient été des membres forts du groupe, possédant une solide connaissance du sujet. Ils dirent que lorsqu’ils ont remarqué que ceux-ci commençaient à donner des signes de faiblesses et à se replier, ils surent qu’ils étaient en train de l’emporter sur Dak. Je leur ai demandé s’ils trouvaient que la technique des vidéos représentant des gens interrogeant des problèmes était une bonne manière d’apprendre. Ils répondirent qu’il en était ainsi seulement si le procédé était conduit par les étudiants.
Ils me demandèrent ce que je pensais de l’idée d’interroger « d’autres cultures », non comme des problèmes, mais en cherchant à construire du sens à partir du point de vue neutre de quelqu’un d’extérieur. Certains dirent que le procédé serait utile en de telles circonstances, car alors ils ne se sentiraient pas coupables d’ignorance, ce qui les aurait empêchés de poser des questions. Il semble que le potentiel de ce procédé des conversations externalisantes soit illimité, dans des contextes scolaire. A propos de Dak, il existe toujours de puissantes raisons de continuer à dénoncer son influence et ses méthodes à Melville High School, ainsi que l’explique Puni :
« Je ne sais pas ce que Dak penserait du fait qu’il soit dénoncé désormais. Je ne sais pas ce qu’il penserait du fait que toute la matière dont nous avons parlée soit maintenant mises par écrit ! Dak est une chose bien tranquille. Il amène fréquemment les gens à dissimuler et à mentir à son sujet. Je n’avais jamais, au grand jamais, vu Dak dénoncé comme nous l’avons fait. Par conséquent, je ne sais pas ce qui va se passer maintenant.
Tennessey faisait partie de notre groupe. Nous savions qu’il était salement drogué. Il était réellement décidé à s’en débarrasser. Je crois qu’il était vraiment, vraiment accro. Il était déprimé et tellement malheureux. Quand il nous disait qu’il dirait « non » à Dak, cela avait une grande signification. Tennessey pensait qu’il était important de parler de Dak. Il le ressentait fortement. Je crois qu’il aurait beaucoup aimé que nous en parlions toujours et que nous parlions de lui. Il aurait voulu qu’on dénonce Dak. Je crois qu’il est avec nous lorsque nous le faisons. Mais nous devons savoir que cela ne rend pas toujours la vie plus facile, lorsque nous nous mettons en travers du chemin de quelque chose de fort, lorsque nous nous opposons à nos camarades. »
Traduit de l’anglais par Pierre Nassif
[1] Dans le texte, Dak représente tantôt la substance et tantôt un personnage du même nom. Il est noté avec une majuscule dans les deux cas, comme ici. J’ai choisi de lui attribuer le genre masculin (ndt).
Notes
[i] Cet article a été publié initialement dans les N° 2 et 3 du Dulwich Centre Journal. Il est reproduit ici avec l’autorisation du journal.
[ii] A l’attention des lecteurs qui souhaitent explorer davantage le thème des conversations au sujet de la drogue : veuillez consulter de P. Moss et P. Butterworth MOSAIC: An alternative resource for working with young peope around drug use (MOSAIC : une ressource alternative pour travailler avec les jeunes au surjet de l’usage des drogues) aux Publications du Dulwich Centre et New perspectives on addiction (nouvelles perspectives au sujet de la dépendance, publiés dans la newsletter du Dulwich Centre (N° 2 et 3, 1997, édition spéciale)
[iii] Kathy, Puni, Shannon et Amber sont joignables en écrivant à : c/ Melville High School, POBox 3107, Hamilton, Nouvelle Zélande.
Voici la réponse de Cathy Cronin-Lampe à notre message lui demandant l’autorisation de traduire et de publier ce texte :
J’ai été très heureuse de recevoir ton e-mail. Il me semble qu’il y a tellement longtemps que j’ai écrit cet article, mais je suis très honorée que vous souhaitiez le traduire et le publier. Vous avez bien évidemment ma permission, et s’il vous plaît, sentez-vous libre d’utiliser « conversation avec Dak » dans tous les contextes où vous pensez que ce sera utile. Mon mari Juan et moi-même avons travaillé avec des jeunes, dans des contextes scolaires, durant ces 20 dernières années. Nous sommes passionnées par les effets de l’approche narrative dans notre travail avec eux.
Nous avons fait partie de l’équipe de l’université de Waikato qui a travaillé à l’introduction en des « pratiques restauratives » dans les programmes scolaires dans à la fin des années 90. Depuis cette époque, nous avons formé beaucoup d’écoles en Nouvelle-Zélande au Canada. Nous avons écrit un nouvel article plus récemment (il a également été publié par le Dulwich Centre) qui explore l’idée d’introduire la philosophie relationnelle et restaurative ainsi que les pratiques narratives dans les programmes scolaires. Cet article souligne également l’importance qu’il y a à travailler de façon narrative en cas de conflit et de problèmes. Il encourage la notion que les conflits offrent une opportunité de créer des relations et de nouvelles connexions. Nous croyons fermement que les histoires alternatives créent des possibilités et de nouvelles voies pour pouvoir avancer. Nos chaleureuses salutations et à toi à ta communauté de praticiens.
Un article très intéressant! Merci Pierre de nous avoir partagé ta traduction!
Elizabeth