Piles de pierres dans les Terres du Possible

Un article de Wolfgang Tonninger & Udo Bräu

De quelle manière l’approche narrative rend-elle les personnes et les organisations plus agiles ?

piles-de-pierreLa difficulté a commencé avec la traduction du titre. L’idée que nous discutions de “Jalons dans les Terres du Possible” n’avait tout simplement pas de sens dans le discours de la gestion de projet. Des termes comme “poteaux indicateurs”, “balises” et autres “bornes” montraient leurs limites. La difficulté est importante puisque, d’un point de vue constructiviste, tout est traduction.

Dans les montagnes, nous sommes habitués à nous orienter grâce à des piles de pierre, dans des conditions de brouillard et/ou de quasi-voile blanc, lorsqu’il n’y a aucun point d’orientation. Pour nous, en tant qu’auteurs de ce livre, cela signifie que notre curiosité a poussé notre peur dans ses retranchements et que le risque pris en l’écrivant valait le coup. Et aussi que nous avons laissé derrière nous notre méconnaissance et que nous nous sommes heureusement retrouvés à la fin de la journée, à la fin de l’écriture de ce livre. L’exigence d’agilité que nous nous sommes imposés s’est transformée en posture et en programme.

book-stonepiles-in-the-possibility-landVoici donc notre livre – Wegmarken im Möglichkeitenland – une pile de pierres. Des positions qui témoignent une méfiance fondamentale envers toute pensée qui viendrait imprégner les esprits lorsqu’ils sont assis. Une méfiance pour toute position statique ou codifiée. Le fait que notre moi est une construction qui se nourrit des contextes sociaux n’est pas, d’un point de vue narratif, décevant mais plutôt une gigantesque opportunité. Parce que toute construction est principalement dé- et re-constructible, elle peut être façonnée et rendue à l’auteur. C’est cette dynamique que nous exploitons dans notre pratique dialogique nommée Travail sur l’histoire (StoryWork).

Ce livre a été écrit pour les personnes se retrouvant dans des processus de changement, et pour les consultants du changement qui sont en mesure de se rappeler que derrière tout processus il y a un humain. Un livre qui poursuit l’approche de la thérapie familiale – avec les figures de proue que sont Michael White, David Epston et Karl Tomm – dans le monde des affaires. Un livre qui n’instrumentalise pas les histoires en tant que véhicules, mais utilise la dynamique de la construction identitaire comme un ouvre-porte dans les terres du possible. Le travail sur l’histoire (StoryWork) est toujours un travail culturel, même dans les entreprises. Il reflète les restrictions culturelles, extrapole de nouvelles pistes d’action et réclame un espace de jeu où la diversité n’est pas seulement possible mais souhaitable en tant que moteur de l’innovation.

Il y a quelques semaines, David Epston m’a envoyé un texte de Christoffer Haugaard. Un texte qui milite contre cette idée reçue que le travail narratif consisterait juste à remplacer un ensemble d’outils pour réorganiser la pensée et changer les personnes. Le travail narratif est complètement différent. Il résiste à la tentation qu’ont toutes les psycho-disciplines de prendre le pouvoir sur des sujets qu’on leur a confiés. Il conteste même, avec une posture qui ébranle les termes discursifs de la formation et qui examine minutieusement le contexte social, culturel, politique, éthique et historique des histoires de problèmes qui saturent la vie des personnes ; une posture qui prend au sérieux le processus de subjectivation, au lieu de tourner autour de l’essence et de la vérité du sujet à problème ; finalement, une posture qui n’est jamais neutre et qui tire sa puissance éthique en révélant le processus de positionnement, de réflexion et de mise en forme.

“L’effet escompté de ce travail éthique de la thérapeute/coach narrative sur elle-même par rapport au pouvoir est de promouvoir la visibilité, la responsabilité et la mobilité. Cela décentre la thérapeute/coach, l’ouvre à la question et à la critique et l’encourage à promouvoir la diversité, la différence et le changement dans les relations de pouvoir.” – Christoffer Haugaard, ebenda, p 16.

Peut-être avez-vous remarqué que le sujet de cette citation était féminin. Toute forme, dans laquelle nous nous coulons, fait partie du jeu. Rien n’est dû au hasard, tout compte. Parce qu’il n’y a rien en dehors du discours. Le locus privilégié (pour les experts) n’existe pas. Nous devons continuer à bouger. Parce que notre agilité est notre compétence.

Malheureusement, notre livre est à ce jour uniquement disponible en allemand.
Nous vous souhaitons une tonne d’inspiration et d’idées !

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Wolfgang & Udo

4 réflexions au sujet de « Piles de pierres dans les Terres du Possible »

  1. Wolfgang, Udo, if I had known I would never have skipped the German class in college! My heart breaks not to be able to read the entire book when I see how thrilling already this short presentation is. It puts back narrative coaching in an ethical process and we think here in the Fabrique Narrative community that this is hyper important. So Danke Schön!

  2. “Le travail narratif résiste à la tentation qu’ont toutes les psycho-disciplines de prendre le pouvoir sur des sujets qu’on leur a confiés. Il conteste même.”

    J’ai tellement hâte de m’y former !

    Merci pour ce bel article, engagé.

  3. Déjà votre article de présentation fait du bien et est passionnant à lire alors j’imagine le livre ! Au pied du Mont-Blanc où j’ai vécu enfant nous nommions cairn ces pierres empilées pour marquer les chemins de randonnée. Je vous espère traduits prochainement pour randonner dans votre sillage auprès des entreprises. Ou je me remets à l’allemand !
    Merci !

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