Copines d’avant

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Cela fait plusieurs fois que j’entends parler d’amours de jeunesse retrouvées sur des sites communautaires et dont la re-rencontre provoque une sorte d’épisode régressif de retour vers l’adolescence et de déni des choix, des engagements et des responsabilités du présent.

Il me semble que ce phénomène apparemment assez fréquent a une lecture possible en termes de définition identitaire. Nous découvrons en effet souvent la relation amoureuse à l’adolescence dans un contexte qui nous permet de construire un nouveau pan de notre identité, c’est à dire de décider en tant que personne autonome ou s’efforçant de l’être ce qui compte pour nous dans le lien amoureux et dans le choix d’un objet d’amour qui ne serait ni tout à fait papa, ni tout à fait maman.

Ceci se produit en général à un moment où nous n’avons aucune attache et où l’avenir nous apparaît entièrement ouvert, sous l’aspect métaphorique d’une surface blanche ou d’une route à dessiner, où notre style de vie laisse une large place aux topiques de l’adolescence chantés nostalgiquement par Aznavour et tous les crooners du temps disparu : “mes amis, mes amours, mes emmerdes”. Les années et les responsabilités nous isolent de ces espoirs, de ces rêves et de ces principes de notre adolescence qui constituent, comme tous les rêves et les espoirs, une part d’autant plus essentielle de notre identité qu’elle ne s’est jamais usée à l’épreuve du réel et de ses coins carrés.

L’amour de jeunesse retrouvé nous remet en contact avec cette partie reniée de nous-mêmes, agissant avec la puissance sensorielle de la fameuse madeleine. Il nous propose un public qui ne nous a pas vu prendre du ventre, perdre nos cheveux et renoncer graduellement à notre projet de devenir une rock star, un public dont le regard nous reconstruit à l’identique en nous invitant au déni et en nous reliant à ce qui au début, était si important pour nous. Ces crises arrivent donc en priorité dans la vie des personnes qui se sont barricadées dans une fausse image d’elles-mêmes, ont sacrifié leurs rêves sur l’autel du devoir, ont perdu sans même s’en rendre compte le contact avec ce qui avait du sens pour elles et qui leur explose à la figure avec la rencontre du témoin ou du complice de ces rêves, jouant et jouissant à croire que tout redevient possible.

La reconstruction de cette partie essentielle de notre identité s’opère par le remembrement (“remembering”) que produit la réintégration au plus haut niveau de notre club de vie de ces personnages qui nous proposent l’illusion tentatrice d’un temps suspendu. Les crises “Copains d’avant” sont une résistance de notre identité, un signal que nous avons laissé quelque chose se noyer en nous, qu’il y avait là des histoires précieuses que nous avons égarées. Essayer de refaire le chemin à l’envers et de re-passer à l’acte avec l’être retrouvé nous expose à des catastrophes. Par contre, considérer cet aspect de résistance et honorer la partie de notre identité à laquelle ces retrouvailles nous reconnectent, essayer d’en épaissir les traces encore présentes aujourd’hui dans notre vie pour en faire de riches histoires préférées me semble une voie intéressante d’intégration de soi en soi.

Car c’est bien de vivre qu’il s’agit. Mon amie Véronique, dont le corps est récemment décédé, écrivait dans l’un de ses carnets : “j’ai toujours aussi peur de mourir mais j’ai de moins en moins peur de vivre.”

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Les commentaires sur ce post (et sur les autres) sont à nouveau les bienvenus. La politique de ce blog en la matière sera de pratiquer la posture décentrée et influente, en s’efforçant d’être cohérent avec le sens de cette posture dans notre vie et dans notre travail.

Une réflexion au sujet de « Copines d’avant »

  1. C’est l’histoire malheureuse d’une de mes patientes, dont le mari l’a plaquée du jour au lendemain pour vivre le “parfait” amour avec sa “copine d’avant”, présenté à l’épouse comme “le véritable amour de sa vie”. Exit l’histoire d’amour qui a uni ces deux personnes durant les 20 années de leur mariage, exit les trois enfants et les belles histoires de cette union Le tout empaqueté et filtré par l’histoire dominante. Et qu’en est-il de celle qui reste? quelle identité peut-elle construire quand son conjoint disqualifie chaque instant passé avec elle? Quand tout ce qu’elle a vécu lui est renvoyé comme “faux”?
    Quand la “catastrophe du passage à l’acte” dont tu parles est agie, il y a “l’autre”.

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