Par Frédérique Boulanger
Frédérique rend ici hommage à ses racines Corses par le biais d’une renégociation du récit dominant, et en passant vers un reflet selon un angle différent sur le paysage de l’action, de l’identité intentionnelle de “se taire”.
J’ai regardé un reportage sur France 5 dimanche soir : “Corse, île des justes?” En Corse il y a eu 0 déportation de Juifs durant la seconde guerre d’après Serge Klarsfeld. En fait, il semble qu’il y en ait eu une seule “par accident ” d’après Louis Luciani (professeur d’histoire au collège de Luri en Corse). A quoi cela tient? A l’attitude du préfet Balley et de la population. Les corses ont pour tradition de protéger “l’opprimé” et de se taire, de ne pas pratiquer la délation (il y a bien sûr des exceptions). Par ailleurs, ce sont des montagnards pour lesquels la solidarité est une vraie valeur et une question de survie.
Cette culture très forte a protégé la population qui ne s’est pas laissée corrompre par l’histoire dominante du moment et au contraire a considéré chacun des Juifs (i ebrei) venus se réfugier, comme un des leurs. Il y a pourtant eu jusqu’à un occupant pour deux habitants dans l’île et le préfet Paul Balley, juste s’il en est, n’aurait pu agir comme il l’a fait s’il n’avait pas été soutenu par la population.
Cette situation particulière est très peu connue, la soi-disant fainéantise des corses, leur violence et leur fonctionnement clanique éventuellement mafieux sont beaucoup plus souvent évoqués.
Elle est très peu connue aussi et surtout, car en Corse on n’évoque pas ces choses là (même entre générations) car il n’y a rien à en dire, elles vont de soi. C’est pour ça que j’aime mon pays (u me paese).
Je me retrouve dans cette identité et dans ce code de l’honneur, bien plus que dans la violence (plus propre aux hommes). Je me retrouve dans cette façon d’être un homme, dans cette indépendance, ce courage et ce sens de l’essentiel, cette réelle empathie pour l’autre. J’essaie d’en être digne.
Les hommes corses ont été très nombreux par la suite à prendre part aux combats (22 000 il me semble), ce qui fait beaucoup par rapport à la population de l’île à l’époque. L’habitude de se défendre seul.
Bonjour,
j’ai trouvé il y a deux ans, dans un salon de thé breton (!), un petit livre édité après guerre sur le camp de Ravaruschka, camp de représailles pour “prisonniers de guerre indisciplinés” (tentant l’évasion) situé en Pologne.
Ce livret m’a touché car le nom de Ravaruschka était cité par mon père.
Je cite de mémoire un passage marquant. Les auteurs y parlent de 10 (je crois) soldats corses internés qui choisissent de s’évader de ce camp de représailles, en creusant un tunnel. Ils décident qu’ils sortiront du tunnel un par un, toutes les 10 (?) mn. Chacun d’entre eux, parmi les premiers, sera chargé de retenir et d’attirer les gardiens qui ne manqueront pas de les attraper, afin de laisser un maximum de chance aux suivants.
Ils ont tiré au sort l’ordre de sortie.
C’est ainsi que les 8 premiers sont repris, et permettent aux 2 derniers de s’évader et de rejoindre la France libre.
Cette solidarité et ce courage m’ont marqué, et j’y repense aujourd’hui en relisant cet article.
Bonne journée.
Salut Frédérique,
Je te remercie moi aussi pour ton témoignage, que je trouve très beau.
Dans ce que tu racontes de “ton pays”, je fais des liens avec le mien, le Languedoc, qui est culturellement une terre de résistances.
Sans remonter jusqu’aux Cathares, beaucoup de gens y ont pris le maquis en 40 pour ne pas cautionner l’inacceptable (comme tu dis, il y a aussi eu des exceptions).
Ils ont ensuite farouchement cru dans le communisme (à certains endroits, même la terre est rouge…), qui leur semblait un idéal de résistance, avant de se rendre compte qu’ils avaient été trompés par une autre forme de pouvoir liberticide.
Ensuite, quand il a été question d’installer un camp militaire entre Narbonne et Perpignan, des blindés de plusieurs tonnes se sont envolés sous l’effet du plastique… L’Armée s’est ensuite rabattue au nord, sur le Larzac, qu’elle a fini par annexer malgré plusieurs années de lutte.
Ca a lutté aussi récemment pour que l’Occitan, qu’on a du mal à traduire en Français, reste enseigné à la fac de Montpellier.
C’est un pays où les gens travaillent la terre depuis toujours. Chez moi, sem pas aqui per faire des rasonaments, on se méfie des beaux parleurs qui utilisent des mots compliqués sans mettre en pratique.
Et on préfère résister pour garder le plus de liberté possible, plutôt que de collaborer en cherchant des compromis impossibles avec des gens dont l’intention est d’asservir.
Le paysage de l’identité et le paysage de l’action se reflètent l’un dans l’autre comme 2 miroirs placés face à face (Michael White). Se taire = identité problème dominante (au service de valeurs communautaires). Reflet dominant / action = omerta et protection de “terroristes”. Reflet alternatif / action = protection des Juifs. Et brusquement les conclusions identitaires que nous tirons sur “les Corses” deviennent différentes.
Merci Florence pour cette “vérité historique”. Cela me ramène à mon histoire personnelle. Famille juive pendant la guerre, ma mère mon frère et moi, n’avons jamais été inquiété.
Ce serait trop long à détailler ici mais aujourd’hui, grâce à toi, je réalise que nous devons probablement ce “miracle” à un cousin de mon père qui était pourtant anti sémite, fasciste, d’extrême droite… et j’en passe.
Pour la première fois je viens d’avoir la curiosité de consulter son autobiographie et j’apprends : ” Horace de Carbuccia, issu d’une ancienne famille corse, est né à Paris le 1er mars 1891.” Il était le gendre de Jean Chiappe, qui a été mon “tuteur” à la mort de mon père en juin 40.
J’arrête là l’histoire de famille… tout ça pour dire que tous deux étaient nés en Corse.
Je vois l’histoire autrement. Aujourd’hui je vois que c’est probablement à ce sens de la famille, de l’honneur et du respect d’autrui que nous sommes passés entre les mailles du filet. Le Vel d’Hiv était à 1km de chez nous et maman était juive italienne de naissance. (française par son mariage, mais cela ne comptait pas)
Pardonnez moi si c’est trop perso… mais la Corse ne mérite t elle pas cet hommage ?
Super récit, Frédérique; J’aime beaucoup cette façon de mettre n lien les identités culturelles, les histoires dominantes et alternatives pour créer un récit très riche! bravo!
Merci beaucoup Frédérique pour ton témoignage. Je ne connaissais pas cette partie de l’histoire qui dit que la Corse est aussi l’endroit où l’on peut être le plus en sécurité en France, qui parle de solidarité. Cela vient fortement contredire pas mal d’histoires que l’on raconte notamment des histoires de violence, des histoires de gens repliés sur eux-mêmes. Quel bel exemple de contre histoire.
merci Frédérique,
Ce texte me touche beaucoup, car il me fait prendre conscience, à quel point nous ne mettons jamais en doute l’ Histoire qui nous est transmise de générations en générations et prenons pour des vérités ce qui n’est qu’un angle de vision
Merci Frédérique, je me reconnais dans ton post. Je suis Corse. Élevée entre “la parole d’honneur” et la “loi du silence”, je ne connaissais pas l’étendue de cette pratique sur l’ile pendant la guerre; ce qui me pousse à me questionner sur l’histoire dominante qui consiste à se taire en toutes circonstances.
Oui j’aime beaucoup cette histoire aussi. Ici l’histoire dominante est contrebalancée de magnifique façon par un comportement collectif héroïque. L’écrivain nigériane Chimamanda Adichie utilise le terme “histoire unique” – qui fait écho à notre “pensée unique” – pour histoire dominante. Je ne résiste pas à l’envie de vous transmettre son speech sur TED, même s’il est ancien et célèbre, car je crois qu’elle développe bien ce thème à sa manière et qu’elle renforce l’histoire de Frédérique :
http://www.ted.com/playlists/62/how_to_tell_a_story.html
C’est sous-titré en français.
PS qui n’a rien à voir : j’avoue humblement n’avoir pas compris la phrase de présentation de l’article.
Magnifique post, je suis très touchée. Merci de ce partage au-delà des stéréotypes…d’Asterix? On touche ici au profond, au sens, bien au-delà des clichés touristiques qui sont autant de masques et faux-semblants, surtout quand les autochtones les acceptent ou pire, les endossent.